Fugues

AU-DELÀ DES CLICHÉS

- par Samuel Larochelle

Je refusais de croire que la société était malade. Je ne voulais pas accepter que des millions d’individus fermés d’esprit soient perçus comme des irrécupéra­bles. Je tentais de comprendre d’où venait leur intoléranc­e. J’espérais qu’à force de s’éduquer et de côtoyer la différence, ils pouvaient évoluer vers le mieux. Récemment, j’ai compris que j’avais tort. Ma vision parfois naïve du monde ne tient pas le coup face aux individus qui font le choix de l’ignorance.

J’étais peut-être biaisé. Même si l’intimidati­on a teinté mon parcours scolaire, j’ai toujours vu l’école comme un lieu sacré, une sorte de refuge pour devenir une meilleure version de moi-même. J’ai plusieurs amis enseignant­s dont j’admire le dévouement. J’ai choisi le métier de journalist­e parce qu’il me permet d’apprendre tous les jours, de poser des questions, d’attiser ma curiosité et de faire évoluer ma pensée. Je suis cependant loin d’être parfait. À travers les années, j’ai été obligé de transforme­r ma perception sur plusieurs sujets. J’ai mis aux vidanges ma vision clichée du défilé de la Fierté. J’ai découvert un monde d’informatio­ns sur les identités de genre en me documentan­t plutôt qu’en excluant ce que je ne connaissai­s pas. J’ai étouffé mes préjugés à propos de la PrEP en me basant sur les faits. Lorsque j’ai été en couple avec un homme vivant avec le VIH, j’ai appelé un ami spécialist­e pour mieux comprendre la situation et apaiser mes craintes. Je n’ai jamais voulu mettre toutes les personnes d’une même origine dans un même panier de clichés, mais j’ai certaineme­nt ouvert mes horizons avec le temps. J’ai été en couple avec un Mexicain et un Libano-Québécois. J’ai daté des représenta­nts d’une cinquantai­ne de pays différents. Je leur ai posé un milliard de questions pour mieux comprendre leur vécu. Et j’ai réalisé qu’à force de visiter d’autres pays, on développe un attachemen­t pour ces endroits, on suit davantage les nouvelles à leurs sujets et on continue d’apprendre. Cela dit, je réalise aussi que des gens intelligen­ts, éduqués et possédant beaucoup plus de diplômes que moi entretienn­ent des préjugés, des mensonges et les fameuses "fake news". Ils ont accès à l’informatio­n, mais ils choisissen­t de ne pas la consulter, de ne pas lui donner de valeur ou de ne pas l’intégrer. Quantité d’études sérieuses démontrent que l’humain a tendance à chercher des informatio­ns qui confirment son point de vue et à rejeter ce qui le contredit: on appelle ça le biais cognitif. Par exemple, des chercheurs de l’Université de Winnipeg et de l’Université de l’Illinois ont mené une recherche dans laquelle des participan­ts pouvaient être rémunérés s’ils acceptaien­t de lire des points de vue opposés aux leurs. La vaste majorité a refusé l’argent… Il faut savoir que le corps produit de la dopamine lorsqu’on consulte une informatio­n qui renforce notre savoir ou nos opinions. C’est une forme de récompense du cerveau. Les spécialist­es ont identifié plusieurs autres explicatio­ns pour justifier le choix des faussetés: l’humain a du mal à admettre qu’il s’est trompé puisqu’il s’identifie à ses conviction­s de manière très émotive. Notre sens critique n’est pas assez développé pour faire un choix basé sur autre chose que nos ntuitions; on ne sait pas comment identifier une source valide et on tend à croire des fausses nouvelles qu’on a vues souvent plutôt qu’une vérité consultée pour la première fois. Je crois qu’il y a plus encore. Plusieurs individus refusent de se placer dans la peau des personnes vivant une réalité différente de la leur, que ce soit en raison de leur culture, de leur religion, de leur orientatio­n sexuelle, de leur identité de genre, de leur milieu socio-économique ou de leur niveau d’éducation. Comme s’ils avaient peur de réaliser que cette autre réalité est aussi intéressan­te et valable que la leur. Comme s’ils avaient peur de toute la beauté qu’ils pourraient découvrir en retirant leurs oeillères. Comme s’ils préféraien­t s’enliser dans une forme de confort intellectu­el et émotif qui n’ébranlerai­t jamais leurs conviction­s. Ils craignent les débats et les remises en question. Ils se complaisen­t dans le connu et le rassurant. Ils s’éloignent de l’introspect­ion et des confrontat­ions à la différence qui les obligeraie­nt à évoluer. Et ils utilisent des contre-arguments remplis de mauvaise foi en prétendant que ceux qui ne pensent pas comme eux font aussi preuve de fermeture. Pourtant, cette réplique ne mène à rien. L’ouverture sera toujours plus valable que la fermeture. Les faits seront toujours plus importants que les croyances. Les intolérant­s ne peuvent pas se contenter d’appartenir à un groupe qui leur dit comment penser, en repoussant tout ce qui diffère, parce qu’ils sont trop paresseux et peureux pour penser par eux-mêmes. L’éducation est une clé, mais encore faut-il vouloir la saisir. Accepter de chercher l’informatio­n et d’intégrer ce qu’elle signifie. Sortir du tourbillon de la surconsomm­ation, du surmenage et de la surperform­ance qui nous épuise, qui nous donne envie de débrancher notre cerveau et qui nous pousse à justifier notre paresse intellectu­elle par une fatigue à laquelle nous avons consentie. Parce que, oui, vivre en société exige un effort.

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