Fugues

OUVERTURE OU FIDÉLITÉ SEXUELLE?

- ✖ YANNICK LECLERC

Tony, 34 ans, était plutôt du genre «très» libéré quand il rencontre son copain pour qui la fidélité est une donnée non négociable. «Je faisais du camsex de manière régulière et j’étais escorte à l’occasion. Je ne me voyais pas en couple et encore moins être fidèle.» Pourtant, sept ans plus tard, ils sont toujours ensemble. Ils ont acheté une maison, adopté un petit chat et ne se sont jamais trompés. « Certains trouvent étrange ce changement pour une vie plus classique. Mais il y a une fierté de me dire que j’y suis arrivé. Je me sens plus mature. Bien sûr, je peux avoir des tentations, mais je n’ai pas envie de tout foutre en l’air pour une fellation ».

Pour certains gars, associer «couple gai » et « fidélité », c’est comme mettre deux bottoms dans un même lit. On se demande ce qu’ils peuvent faire ensemble et s’il n’y a pas un troisième gars sous le lit. Et pourtant, ils sont nombreux comme Tony, à contrer le cliché du gai volage et à trouver dans l’exclusivit­é une forme de plaisir, certes moins immédiate, mais tout aussi épanouissa­nte.

À en croire quelques sondages publiés au cours des dernières années la monogamie aurait même le vent en poupe chez les jeunes gais qui seraient plus de 90 % à penser au mariage et préférer une relation fidèle. Un pourcentag­e étonnammen­t haut dans une société où le sexe est devenu un produit de consommati­on. C’est le cas d’Olivier 23 ans, en couple avec son premier chum depuis près de six ans. Pour lui la fidélité tient autant de l’idéalisme des premières amours que de modèles familiaux : « Je n’ai que des couples fidèles dans ma famille. Mes parents et mes oncles gais qui sont ensemble depuis plus de 20 ans». Le mariage pour les couples de même sexe a certaineme­nt revalorisé l’image du couple « traditionn­el ». Mais il serait faux de penser que tous les adeptes de la fidélité sont les vaillants soldats de la morale judéo-chrétienne et qu’ils recherchen­t à tout prix l’hétéronorm­alisation. D’ailleurs, rare sont ceux à juger leur relation plus noble que celle des couples libres. Ils préfèrent évoquer la force d’une rencontre ou un mode de vie qui ressemble à leurs idéaux, à l’image de Charles, 39 ans : « La fidélité, pour moi, c’est le choix d’une forme d’amour absolu, un romantisme poussé au maximum, qui accepte peut être une part de sacrifice (on sait bien que le sexe passionnel et quotidien du début ne dure qu’un certain temps, variable d’un couple à l’autre), mais qui laisse la place à une autre forme d’amour, où le sexe lui-même se transforme (et pas forcément en mal) et où la tendresse et le partage ont une part essentiell­e.»

Et puis, il y a ceux qui ont connu le couple ouvert avec plus ou moins de succès, une vie de célibatair­e avec partenaire­s multiples et qui, face à un nouveau partenaire plus strict (et parfois un peu méfiant), expériment­ent, sans le regretter, ce qui leur semblait impensable « Je me demandais est-ce que je vais en être capable ? Comment vais-je gérer ? Est-ce qu’il va me suffire ? Avant de le rencontrer, j’avais une libido au pla plafond. Je baisais même quand j’en n’avais pas vraiment envie, envie souvent par automatism­e. auto Évidemment, en couple, ça ne se passe pas forcément comme ça. C’est un rythme à prendre. Mais très sincèremen­t, ça me fait beaucoup de bien la vie de couple. Je me trouve plus calme. J’ai plus de temps pour moi et pour mon couple. Oui, une seule personne peut suffire si tu l’aimes et qu’il y a une bonne connivence sexuelle. J’ai pas du tout de baisse d’excitation, de frustratio­n. Je n’ai pas le besoin de le tromper. Si ça arrivait, je pense que je serais blessé», nous dit Karl, 40 ans, ancien montréalai­s qui a rejoint, il y a un an, son chum, fonctionna­ire à Ottawa.

«Je vais être honnête. Être fidèle, ce n’est pas toujours facile, surtout quand on vit dans une ville comme Montréal» . Ce jugement qui peut sembler implacable, mais Stéfane, 33 ans et 4 ans de couple exclusif à son actif, n’est pas le seul à l’avoir. En effet, contrairem­ent au couple ouvert, le couple fidèle n’offre aucun échappatoi­re et doit continuell­ement réveiller la petite flamme de l’intimité. «Quand tu pars dans ce chemin là il faut être plus attentif à l’autre, à ses désirs, il faut être à l’affut, il ne faut pas se délaisser», continue-t-il.

Autant dire que pour éviter toute frustratio­n, il vaut mieux que tout se passe bien au lit dès le départ. Il faut aussi beaucoup dialoguer, ne pas avoir peur d’exprimer ses fantasmes, trouver des terrains d’entente et être sans cesse dans le renouvelle­ment car le temps est le principal ennemi de la libido. Yvon, 55 ans, en sait quelque chose après 21 ans de relation fidèle : « La baisse du désir, c’est normal. Travail, stress, fatigue, routine, la libido peut en prendre un coup. La passion brûlante des débuts s’estompe forcément. Cela ne veut pas dire que c’est la fin de notre complicité et que notre libido est condamnée à rester à zéro. S’il est plus spontané au départ, le désir mérite d’être travaillé, en ajoutant par exemple un soupçon de mystère… Et puis quelle meilleure motivation que celle de raviver la flamme? Casser la routine, revivre la rencontre, partir en week-end en amoureux». La clé, pour lui, c’est aussi de savoir mettre de l’eau dans son vin et de ne pas sombrer dans les extrêmes : « Il ne faut pas confondre infidélité et jalousie mal placée. C’est normal et humain de trouver une autre personne attirante. Du moment que cela n’est pas provoqué volontaire­ment et que ça reste innocent, il est inutile de créer une dispute à ce sujet, au risque que son partenaire s’éloigne réellement.»

Qu’on le veuille ou non, on reste des hommes avec des envies pas toujours synchros et des hormones toujours là pour nous titiller. Comment gérer les tentations quand on s’est juré fidélité? La première vague passionnel­le passée, certains continuent de vivre sereinemen­t ces montées fugaces de désir. D’autres évitent de sortir dans les bars en solitaire pour ne pas tenter le diable ou évoquent les plans à trois, sans vraiment passer le cap. Et, quand la pulsion est trop forte, ils sont nombreux à se masturber. «Cela arrive surtout quand on n’est pas ensemble. L’un et l’autre on se masturbe, cela fait passer l’envie. À partir du moment où la pulsion est assouvie, l’envie disparait» dit Olivier. Pour Karl, l’ancien montréalai­s la vie à Ottawa offrirait aussi un environnem­ent plus favorable aux couples fidèles: «La tentation n’est pas la même ici. À Ottawa, tu as pas mal moins d’occasions de faire des rencontres. Tu identifies les couples assez facilement, beaucoup plus qu’à Montréal.»

De l’avis de tous, ces petits sacrifices ne sont rien à côté de ce que la fidélité leur apporte : une plus grande stabilité, l’impression de se sentir mieux et d’être moins centré sur ses désirs, le plaisir de construire et surtout une osmose sensuelle si elle n’est pas sexuelle encore plus intense.» Il y a quelque chose de très beau de se dire qu’on est les seuls à coucher ensemble et de ne pas compter les mecs qui sont passés avant nous dans la semaine», nous confie Stéfane qui va se marier avec son chum l’automne prochain. Cela ne les empêche pas de rester lucides sur l’avenir surtout quand la différence d’âge entre les partenaire­s peut, sur le long terme, déséquilib­rer les envies. Mais ils sont la preuve que le couple fidèle gai est loin d’être une utopie.

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