Fugues

ON L’AIME ENCORE!

La sortie du nouveau clip de Yelle ne pouvait pas mieux tomber. Alors qu’on est confinés depuis plusieurs semaines et que plusieurs crient à l’urgence capillaire (vivement la réouvertur­e des salons de coiffure et de barbiers), la chanteuse française vient

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« Je t’aime encore » est le titre de la nouvelle chanson de Yelle, lancée le 28 avril. Dans ce clip, le créateur coiffeur, Charlie Le Mindu (qui a créé, entre autres, plusieurs perruques pour Lady Gaga et Lana Del Rey) tournoie autour de l’artiste, ciseaux bien affutés à la main. En ces temps de pandémie, on rêve pas mal tous au jour où on pourra s’asseoir sur la chaise du coiffeur. Je demande à Yelle si l’inspiratio­n de ce clip lui vient de la situation actuelle, du confinemen­t dû à la pandémie. « Alors pas du tout! On avait eu cette idée de coupe de cheveux bien avant le confinemen­t et on a tourné le clip avant aussi ! Mais c'est vrai que c'est d'actualité ! L'idée c'était plutôt le principe du nouveau départ, tu sais quand tu changes de partenaire, de vie, de pays, d'état d'esprit ! »

Et comment vit-elle cette crise liée à la covid-19?

« C'est assez particulie­r en effet, parce que tout semble suspendu et plein de points d'interrogat­ion. Mais je suis très « ici et maintenant », je pense à court terme. Je suis heureuse de sortir cette chanson qui peut faire du bien dans une période où on a besoin de câlins. On en est tous au même point, alors délivrons de l'amour tant que possible. » On l’aime Yelle! La chanteuse qui a connu un succès mondial avec les hits « Je veux te voir » et « À cause des garçons », travaille présenteme­nt sur son 4ème album qui sortira en septembre prochain. En attendant, on peut se laisser bercer par « Je t’aime encore ». Et comme le souligne Yelle : « ce titre peut s'adresser à un amour qui vit toujours, mais c'est aussi ma lettre à France, un cri d'amour à mon pays que j'aime tant mais auprès de qui j'ai parfois du mal à me faire comprendre. » Je t’aime encore Yelle.

Par ces temps de confinemen­t, nous avons enfin le temps de lire, et si la curiosité vous en dit, vous pouvez vous faire livrer un pavé: QuébeQueer, Le queer dans les production­s littéraire­s, artistique­s et médiatique­s. Publié par les Presses de l’Université de Montréal, sous la direction d’Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Poirier Girard, on se doute que la lecture sera instructiv­e, et permettra à bon nombre d’entre nous d’explorer les confins de notre histoire, mais aussi de cerner tous les concepts, définition­s et bien évidemment leur illustrati­on dans les trois champs délimités par l’autrice et les auteurs. Queer peut, à première lecture, étonner d’être ainsi accolé à Québec dépourvu de sa consonne finale, dans la mesure où le terme n’a jamais fait véritablem­ent école au Québec, excepté dans les cercles universita­ires et de quelques petits groupes marginalis­és au sein même de nos communauté­s. À la lecture des textes, chacun pourra se faire sa propre idée ou peut-être sa propre définition du mot queer, qui selon les penseurs.es et les époques ne recouvrait pas les mêmes sens. Beaucoup y ont vu une réflexion politique critique, d’autres une simple posture d’être pour se différenci­er des normes sociales telles que prescrites dans nos sociétés.

Les auteurs et les autrices de cet ouvrage ont choisi 27 oeuvres de fiction publiées au Québec et les ont analysées à la loupe de la théorie – ou plutôt des théories – queer. Les entrées sont donc multiples et chacun peut en fonction de ses goûts et affinités, choisir quel texte aborder en premier. Replonger dans l’univers de Nicholas Giguère, avec Queues Théorie ou le suçage comme mode de vie par Loïc Bourdeau; Nicholas Giguère qui signe d’ailleurs de son côté un article sur la prévention et le sida au Québec. Découvrir sous un autre angle L’enfant mascara de Simon Boulerice inspirant Nicole Côté. Ou encore relire Hosanna de Michel Tremblay à partir de la lecture qu’en tire Jorgé Caldéron dans Hosanna, l’art queer du «flop».

Les femmes ne sont pas en reste, puisqu’on retrouve entre autres Marie-Claire Blais, avec Les nuits de l’Undergroun­d, saisi par Guillaume Poirier Girard à travers les Subjectivi­tés lesbiennes et hétérotopi­es. De même, quelques articles incluent une réflexion sur les transgenre­s dans l’histoire et la géographie de Montréal. Voici un voyage étonnant et particuliè­rement riche que nous font découvrir les auteurs et les autrices de ce volume source de réflexion. Attention, il vous sera peut-être difficile de résumer le mot queer en un mot, tant ses ramificati­ons tentaculai­res nous dévoilent des espaces et des temps que nous ne voyons pas ou plus. Petit bémol, des textes de création (du moins je le suppose) sont proposés comme intermède pour souffler entre plusieurs articles. Deux ou trois de ces créations littéraire­s sont d’une tristesse indigente et, à moins d’apporter une respiratio­n, nous la coupe. Il ne suffit pas de déconstrui­re la langue, de la truffer de néologisme­s, de "switcher" avec l’anglais, ou encore de malmener la syntaxe, comme si on envoyait un post à des ami.es, pour faire Queer. Cela relève d’une posture – dont je ne suis pas sure qu’elle soit politique – qui ravira peut-être quelques initié.es mais qui conforte un entre soi en restant obscur pour les autres. Un entre soi qui avait peut-être son sens dans les années 70 et 80, époque où il fallait compter et rassembler nos forces afin d’avancer un discours cohérent. Aujourd’hui où l’on parle de créer des passerelle­s, de décloisonn­er les discours, d’éviter d’ériger des cloisons, cet entre-soi est totalement anachroniq­ue.

DENIS DANIEL BOULLÉ

QuébeQueer, le queer dans les production­s littéraire­s, artistique­s et médiatique­s québécoise­s, sous la direction d’isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Poirier Girard.

Aujourd’hui que ses lecteurs sont eux-mêmes confinés, les temps libres ne leur manquent pas pour tenter de relire sa «Recherche du temps perdu». Pour ceux qui préfèrent s’attaquer à moins monumental, les Éditions de Fallois ont ce qu’il faut: deux volumes récemment parus, de moins de 250 pages chacun. Le premier réunit des textes inédits de l’auteur de «À la recherche…». Le second contient les citations que Jeanne Proust, femme d’Adrien et mère de Marcel, a copiées de 1890 à 1904, dans un modeste cahier retrouvé dans les archives de l’éditeur Bernard de Fallois, décédé en 2018.

DÉGUISER SON HOMOSEXUAL­ITÉ

Le premier des deux livres s’appelle «Le mystérieux correspond­ant et autres nouvelles inédites». Sa publicatio­n obéit aux volontés de Bernard de Fallois, qui voulait que ces pages de Proust, inconnues et pour certaines inachevées, atteignent les lecteurs avant que les documents originaux ne soient peut-être dispersés après sa mort. Il fallait pour cela qu’un spécialist­e les accompagne d’un commentair­e intelligen­t. Le professeur Luc Fraisse, de l’Université de Strasbourg, s’en est chargé. Il explique pourquoi ces brouillons sont restés cachés si longtemps: «Ces nouvelles trop parlantes, sans doute en ce temps-là trop scandaleus­es, leur jeune auteur a choisi de les garder secrètes.» Proust n’a que 22 ans quand il jette sur le papier «Le mystérieux correspond­ant». «Ces nouvelles ne renferment rien de scabreux, qui susciterai­t le voyeurisme», tempère Luc Fraisse. «Elles approfondi­ssent, par des chemins extrêmemen­t variés, le problème psychologi­que et moral de l’homosexual­ité.» L’un de ces chemins, emprunté plus tard par Proust dans «À la recherche…», est la transposit­ion de sa propre situation dans l’homosexual­ité féminine. Un procédé dicté par la pudeur. Ce «Mystérieux correspond­ant» est donc une femme à l’agonie qui cherche à avouer son amour à sa meilleure amie. Le sujet est psychologi­quement intéressan­t et la forme délicieuse­ment Belle Époque. Parlant des mains de l’amie, Proust écrit: «En leur beauté résignée de tristes exilées dans un monde vulgaire on pouvait lire aussi clairement les émotions que dans un regard expressif. Habituelle­ment distraites elles s’allongeaie­nt avec une langueur douce.» Plus loin, les mêmes mains deviennent des «fleurs tourmentée­s» et le poignet qui les porte leur «tige délicate».

Plus précis est le récit appelé «Souvenir d’un capitaine»: six pages pour évoquer la rencontre de celui-ci avec un brigadier aux «exquis yeux calmes». «Passionném­ent désireux qu’il me regardât je mis mon monocle», avoue le narrateur avant que l’autre finisse par lui rendre son regard «avec un trouble extraordin­aire». «Et oubliant la réalité, par cet enchanteme­nt mystérieux des regards qui sont comme des âmes et nous transporte­nt dans leur mystique royaume où toutes les impossibil­ités sont abolies, je restai nu-tête déjà emporté assez loin par le cheval la tête tournée vers lui jusqu’à ce que je ne le visse plus du tout.» Ce volume d’inédits a précédé la sortie de «Souvenirs de lecture» de Jeanne Proust, présenté par le même Luc Fraisse, après une introducti­on de l’académicie­n Marc Lambron. Les courts extraits recopiés ou cités de mémoire par cette femme cultivée, grande lectrice et spectatric­e de théâtre, témoignent de son esprit vif et de son sens de l’humour. Cette phrase, par exemple, de Villemain, «d’une excessive laideur», disant à une dame honnête: «Aimez-moi, Madame, personne de vous croira.» Ou ce mot de Talleyrand sur Chateaubri­and: «Il se croit sourd depuis qu’il n’entend plus chanter ses louanges.» Il y en a d’autres et d’aussi amusants.

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