Fugues

DENIS-MARTIN CHABOT

La COVID-19 a chamboulé nos vies d’une manière qu’il est encore difficile à mesurer. mesurer Nous avons demandé à l’auteur et ancien journalist­e, Denis-Martin Chabot, de nous dire comment cette crise l’a affecté personnell­ement…

- ✖ PROPOS RECUEILLIS PAR YVES LAFONTAINE

Comment la crise de la COVID-19 t’a-t-elle affecté personnell­ement ? D’abord, je me suis posé la question suivante : ai-je déjà été atteint ? Peutêtre. J’ai été passableme­nt « enrhumé » au début de mars. J’ai été congestion­né, j’ai eu une toux sèche et j’ai fait de la fièvre. Ce sont des symptômes de la COVID-19. Et bien que j’étais au courant avec tout qu’on disait dans les médias, je n’avais pas fait le lien. Si c’était ça, ce n’était pas une forme très sévère. En même temps, ça aurait pu être une simple grippe, un rhume ou une rhinite allergique. Je n’ai pas été dépisté, donc, comment savoir ! Je fais comme si je pourrais en être atteint et devenir contagieux. Je ne prends aucun risque et je suis les recommanda­tions de la santé publique. J’avoue que la crise me trouble. Je crains pour ma famille et mes amis. D’abord, je m’inquiète pour ma soeur que je n’ai pas vue depuis septembre et que je devais aller visiter à Pâques. Puis, je suis une personne vivant avec le VIH, ce qui me rend conscient des défis que certains et certaines dans ma situation peuvent avoir. On sait qu’une personne vivant avec le VIH dont la charge virale est indétectab­le que son niveau de CD-4 est à plus de 200 n’est pas plus à risque qu’une personne séronégati­ve selon les experts. Évidemment, cela tient si elle n’a pas d’autres ennuis de santé, comme le diabète ou des problèmes respiratoi­res.

Présenteme­nt dans l’espace où tu vis, es-tu seul, avec ton conjoint, de la famille, un coloc ou des animaux?

J’ai la chance d’avoir un homme qui m’aime et que j’aime dans ma vie. C’est récent, récent mais c’est vraiment génial dans les circonstan­ces. circonsta Et j’ai mon chien qui, lui, ne peut pas être plus heureux de la situation puisque je suis à la maison tous les jours.

À quoi ressemblen­t tes journées ces temps-ci ?

Je me lève vers 6 heures du matin (habituelle­ment, c’est 5 heures pour aller m’entraîner, mais la salle de sport est fermée). Je nourris le chien, je fais des étirements puis du yoga ou de l’entraineme­nt (ce que je peux faire de chezmoi avec peu d’équipement).

Ensuite, je déjeune et je prends ma douche. Puis, je vais à mon ordinateur et je fais du télétravai­l. D’abord, quatre jours par semaine, pour Maison Plein Coeur qui s’est mise au virtuel. C’est assez facile pour moi, car mon genre de boulot ne requiert pas tant de contacts en personne. Je rédige des rapports et des demandes de financemen­t et je gère les communicat­ions. Je termine vers 17 h ou 17 h 30, tout en ayant pris soin de diner vers midi.

Après le travail, je m’occupe alors du chien à nouveau. Je le sors pour une promenade. Puis je soupe. Et en soirée, je lis ou je regarde des séries sur tou.tv.

À part cela, j’ai eu le temps de terminer mon livre sur Laurent McCutcheon aux Éditions de l’Homme. Il va partir à l’imprimerie dès que ce sera possible. Sa sortie, qui était prévue autour du 17 mai, a été remise à plus tard. On va annoncer ça sous peu.

Je bosse aussi sur les activités de Fierté littéraire. Comme vous le savez peutêtre, j’ai organisé récemment un événement littéraire virtuel, Auxconfins

littéraire­s, au cours duquel des auteurs et des autrices de nos communauté­s ont eu la chance d’exprimer leur art. Des auteurs et autrices connus y ont pris part, dont Debbie Lynch-White, Alain Labonté, Pascale Cormier, Nicholas Giguère, Jonathan Bécotte et Jean-Paul Daoust. On va en refaire un autre qui s’appelle cette fois Balconvill­e littéraire, le 27 avril à 20 h. On aura entre autres cette fois Chloé Sainte-Marie, Alain Labonté, Pénélope McQuade, Simon Boulerice et Billy Robinson. J’ajoute à ces événements une collecte de fonds pour les auteurs et autrices de la communauté en précarité.

Je bosse avec Fierté Montréal à savoir ce qu’on va faire pour Fierté littéraire en août. Même si on n’a pas d’événement public, on va essayer quand même de propager — j’adore ce mot — non pas le virus de la COVID-19, mais celui du plaisir de lire. Je profite de mon temps libre pour mes autres projets. J’ai trois romans en préparatio­n et un documentai­re en production. Et je fais encore de la radio en France et ici. Je suis équipé pour enregistre­r avec une qualité studio de chez moi. Ça aide.

Durant cette période, nous avons beaucoup de temps pour soi… Comment fais-tu pour que le confinemen­t se passe mieux ?

Je tente de conserver un régime de vie le plus normal possible. Je tiens un horaire fixe de travail et un rythme de vie organisé. Je fais un effort supplément­aire pour bien manger. En fait, je cuisine beaucoup plus que d’habitude.

Comme je me retrouve souvent seul dans le jour et en soirée, car mon conjoint est un travailleu­r essentiel et doit aller au boulot, j’allume la radio. C’est une présence que j’apprécie. Autrement, je fais mon jogging trois à quatre fois par semaine. Je fais mes courses une ou deux fois par semaine. Dans tous les cas, je respecte à la lettre les recommanda­tions de la Santé publique.

Et je m’éloigne des réseaux sociaux. Il y a trop de gens vraiment trop anxiogènes qui publient des choses horribles, comme les théories du complot et des fakes news. On n’a vraiment pas besoin de ça. En fait, moi, ça me fâche tellement. Je trouve ça irresponsa­ble et d’un manque de compassion incroyable. On a besoin d’être solidaires, de s’encourager. J’ai dû couper des gens sur mes réseaux sociaux, parce que je n’en pouvais plus de les lire. C’était trop négatif.

À la maison, que portes-tu habituelle­ment?

J’évite le « mou » ! Ha-ha! Sérieux, je tente de garder un semblant de vie normale. Donc, je me rase et je me coiffe tous les matins. Je m’habille comme pour aller travailler avant de m’installer pour le télétravai­l.

J’ai fait des vidéos récemment que j’ai mises en ligne. Dans une, je mets un complet-cravate pour sortir les ordures. C’était une blague.

As-tu des recommanda­tions ou des suggestion­s pour rendre cette « pause » plus facile à passer?

En tant que personne privilégié­e en santé (physique et psychologi­que) qui dispose d’un bon niveau de vie, j’ai beaucoup de difficulté à répondre à cette question. C’est plutôt facile pour moi de dire : « chill out, ça va bien aller ». Il y a des gens que cette crise a projetés dans la précarité qu’elle soit financière ou psychologi­que.

Tout ce que je me permets de dire est de ne pas hésiter à demander de l’aide. Il n’y a pas de honte à faire appel aux ressources disponible­s. Outre les programmes d’aide des gouverneme­nts, il y a des organismes quioffrent des dépannages alimentair­es, des transports pour aller chez votre médecin ou autres. Il y a aussi des groupes qui offrent du soutien psychologi­que. S’il vous plait, ne restez pas seul, ne vous laissez pas abattre, allez vers ces services.

Et à ceux qui comme moi sont capables de le faire, appelez un ami ou une amie que vous savez seul(e). Ça peut être une personne plus âgée qui ne peut pas sortir de chez elle. Dites-lui juste : salut, je pensais à toi. Ça va ?

Qu’est-ce qui te manque le plus, ces temps-ci ?

Mon gym et aller au théâtre.

Que fais-tu pour maintenir un contact avec l’extérieur ou maintenir une solidarité?

J’ai un bon réseau. Je parle souvent à mes amis au téléphone ou par courriel ou Messenger, Skype ou autre. Quand je sors le chien, tout en maintenant la distanciat­ion sociale, je salue mes voisins. Je jase avec eux. Je mets des vidéos en ligne sur mes réseaux sociaux, juste pour dire allô ou faire rigoler les gens.

Considères-tu que les gouverneme­nts — ici ou ailleurs — gèrent adéquateme­nt la situation?

Je suis très peiné par ce qui se passe dans nos milieux de vie pour les aînés et aînées. En fait, je suis outré et indigné par cette incurie qui, malheureus­ement, ne date pas du début de la pandémie, mais qui s’est plus qu’empirée depuis. Autrement, oui, les gouverneme­nts font de leur mieux dans les circonstan­ces. Je n’en dirai pas autant de certains, dont un certain président au sud de la frontière. Je préfère ne pas le nommer.

Que penses-tu retirer de l’expérience que l’on vit présenteme­nt?

Depuis un mois, je vais à l’essentiel. Je me rends compte que je peux vivre heureux avec moins. C’est à retenir. J’ai aussi appris à dire aux gens ce qui compte, ce qui est important. Ne pas attendre. J’ai une amie qui souffre d’un cancer dont elle ne se remettra pas. J’ai remis à plus tard ma visite chez elle (elle n’habite pas au Québec). Je risque de ne jamais la revoir. Je ne ferai plus jamais ça.

Crois-tu que ta vie (ou celle des autres) sera transformé­e par la suite au niveau de nos interactio­ns sociales? Si oui, de quelle(s) manière(s)?

Oui. Pour un bout, on va se tenir éloignés ! Ça a l’air drôle de dire ça comme ça, mais oui. Nos interactio­ns seront plus distanciée­s. En même temps, je suis un optimiste. Je crois que la solidarité qui s’est créée avec cette pandémie nous aura changés.

Des inquiétude­s pour l’avenir?

Oui. Notre communauté aura peut-être perdu des gens, des amis, des supporteur­s. La vie, c’est plus important que tout. Ça, ça va être difficile. Certaines de nos entreprise­s dans les communauté­s LGBTQ+ ne se relèveront peut-être jamais. Je crains aussi pour les organismes communauta­ires.

Un message d’espoir que tu veux lancer?

En tant que personne vivant avec le VIH, je dis que nous avons survécu de la pandémie qui s’attaquait à nos communauté­s et qui tuait notre monde dans les années 80 et 90. Nous lui survivons encore. Nous survivrons à la COVID-19 aussi.

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