Fugues

PUELO DEIR

La COVID-19 a chamboulé nos vies d’une manière qu’il est encore difficile à mesurer. Nous avons demandé à Puelo Deir, publiciste de production cinématogr­aphique, militant de longue date et dramaturge, de nous dire comment cette crise l’a affecté personnel

- PROPOS RECUEILLIS PAR YVES LAFONTAINE

Comment la crise de la COVID-19 t’a-t-elle affecté?

Je travaille en production cinématogr­aphique depuis plusieurs années. Le studio avec lequel je travaillai­s récemment a arrêté la production, le vendredi 13 mars. Quelques secondes après avoir appris que nous étions en train de fermer, c’était rapporté sur CNN. Je suis reconnaiss­ant et chanceux d'être un travailleu­r syndiqué avec un employeur extraordin­aire sur ce dernier projet. J'espère que nous reprendron­s la production avant l'automne. Mais, comme nous l’apprenons tous, il ne faut pas longtemps pour que les chaînes d'approvisio­nnement et les filets de sécurité sociale s'effritent. Je prends la situation actuelle avec autant de grâce et de sérénité que c’est possible durant cette crise mondiale.

Présenteme­nt, dans l’espace où tu vis, est-tu seul, avec ton conjoint, de la famille, un ou des colocs, des animaux?

Célibatair­e et enfant unique. Je me débrouille tout seul depuis que je suis très jeune. Et, adulte, je suis du genre loup solitaire et un franc-tireur. Heureuseme­nt, nous n'avons pas besoin d'être dans la même pièce pour voir notre famille et nos amis. J'ai vécu de nombreuses épreuves physiques, j’ai été un enfant de la rue et j'ai survécu à la pandémie de sida. Ce n'est pas mon premier rodéo face à l’épreuve.

À quoi ressemblen­t tes journées ces temps-ci?

Au moment où j'écris ceci, c’est mon 37e jour d'isolement. Durant les premiers jours, j'étais convaincu que j'avais les symptômes de COVID-19. À cause de mon travail et des gens que j'avais fréquentés, il n'aurait pas été surprenant que j'ai contracté le virus. J'ai appelé le numéro que le gouverneme­nt avait diffusé quelques jours auparavant. En 10 minutes, je parlais avec une infirmière. Mais sur la base de ses questions, je n'ai pas eu de rendez-vous pour un test. Nous avons pris un moment pour rire et nous en sommes restés là. J'ai continué à gérer les symptômes étranges pendant quelques semaines. Comme nous l’avons appris au cours des derniers jours, je ne serais pas surpris si j'étais un cas bénin. Mais je m’égare… la question était à quoi ressemblen­t mes jours maintenant. J'ai passé les deux premières semaines à être immobile, calme et en mode récupérati­on. Je n'avais jamais regardé GameofThro­nes. J’ai donc visionné les huit saisons en rafale sur plusieurs jours, jusqu'aux petites heures du matin. Rester réveiller jusqu'à très tard est un luxe dans mon métier. Je me suis donc couché tard et me suis réveillé tard. Sérieux, quelle série sidérante à regarder pendant une pandémie! Une fois terminé le visionneme­nt de Gameof Thrones, j'ai repris ma vie.

J’ai repris un horaire assez enrégiment­é, car j'ai besoin d'être discipliné. Je me lève à 7h30. Il est absolument vital que je fasse mon lit. Il ne se passe pas un jour sans que je fasse mon lit. Une leçon que j'ai apprise en réadaptati­on. J'ai un petit déjeuner sain. Je m'entraîne trois à quatre fois par semaine. Après avoir fait tellement de rééducatio­n physique, j'avais déjà les bases d'un mini-gym. J'ai donc converti ma salle de jeux pour adultes — qui de toute façon ne sera pas être très utile pendant une pandémie — en une mini salle de gym. Une salle Zen.

Je médite, bien que d’habitude je déteste méditer. J'ai commencé à le faire dès le matin. Je prends une pose d'enfant, allongé. C'est étonnant comment cela fait du bien au moral. Je passe la journée à penser à la nourriture, à préparer des repas et faire à la vaisselle. Tant de plats. J'ai un lave-vaisselle, mais en ce moment j'ai le temps d'être le lave-vaisselle. Je recherche des recettes. Je fais partie de ceux qui font du pain. Faire des listes est important. Mais je le fais pour garder un semblant de raison. Je ne vais pas mentir. Je n'ai pas hâte de quitter la maison pour faire des courses en public. Par conséquent, je fais des promenades ou des balades à vélo, tôt le matin ou par mauvais temps. Je fais la plupart de mes achats en ligne. Quand vous pouvez y avoir accès et qu’on me donne une date de livraison!

Durant cette période, nous avons beaucoup de temps pour soi… Comment fais-tu pour que le confinemen­t se passe mieux?

C’est une chose très curieuse. Les jours passent vite. Ne me demande pas ce que j’ai accompli en une journée. Je suis toujours surpris quand il est temps de dîner. Parce que je suis confiné à la maison, je continue d’être en retard. Sérieuseme­nt, pour moi, il s'agit de tenir des listes et de les compléter. Me donner des objectifs que je peux atteindre. Le soir, je fais de la lecture que je n'ai pas eu le temps de faire en temps normal. Je passe du temps en ligne sans en faire une obsession. Je visite virtuellem­ent les musées du monde entier, les bibliothèq­ues. C’est fou la quantité de contenu gratuit qu’on trouve en ce moment. Je parle virtuellem­ent à des amis. Il y avait tellement de choses que je devais faire dans la maison, des choses que j’ai le temps de faire maintenant.

À la maison, que portes-tu habituelle­ment?

Vous devriez venir et découvrir de vous-même. Je m'habille pour le confort, mais je m'habille. Je me douche, tous les jours. Ce n'est pas parce que je suis seul à la maison que je dois renoncer des principes de base comme l'hygiène. Je me rase tous les dimanches. Mes cheveux ressemblen­t à un champ de bataille dans le meilleur des cas. Et cela n'a pas changé. En fait, j'ai du temps pour un plan complet de soins de la peau avec des produits que mes amis m'ont donnés. Ma peau est superbe, mais je suppose que tout le monde devra me croire sur parole, comme je suis en isolement.

As-tu des recommanda­tions ou des suggestion­s pour rendre cette «pause» plus facile à passer?

J'ai quelques principes fondamenta­ux auxquels j'adhère. Surtout en ces temps troublants. Vivez au jour le jour et planifiez pour demain. Je prends donc la vie une journée à la fois. Je m'autorise toute émotion que je ressens à suivre son cours. Ces jours-ci c’est un peu comme expériment­er des montagnes russes endommagée­s. Je ne suis pas certain si nous allons en revenir avec tous nos morceaux, mais j’ai espoir que ce sera le cas.

Je me suis surpris même à prier, bien que je ne crois pas en une religion organisée. Mais la prière de sérénité m'a sauvé le cul plus qu’une fois.

Restez focalisé lorsque vous gérez vos finances. MAIS soyez toujours poli lorsque vous communique­z avec le gouverneme­nt / les institutio­ns de finances / les banques / les propriétai­res / les épiceries / les banques alimentair­es. Comme bien d’autres, sans aucun doute, je dois travailler dur pour ne pas m'émouvoir sur les questions financière­s. J’essaie de rester discipliné. Ce n'est pas parce que le monde s'écroule autour de moi que je dois suivre et faire de folie. L'autre matin, je me suis réveillé anxieux. J'ai pris un bain. Je ne prends jamais de bain le matin. J'ai donc pris un bain chaud moussant avec des bougies. Et cela a réinitiali­sé ma journée.

Je me tiens informé, mais je ne suis pas obsessionn­el. Il est difficile de résister à l'envie d'écouter les nouvelles avant d'aller au lit, mais sérieuseme­nt je dors mieux depuis que j'ai arrêté de regarder les nouvelles de fin de soirée. Je regarde les points de presse de Trudeau et Legault, quelques sources d’informatio­ns alternativ­es en ligne. Je m'assure que ce que je lis est légitime en recherchan­t sur Google une source d'informatio­ns que je ne reconnais pas. Je passe du temps sur les réseaux sociaux, mais rarement Twitter! Faites du bénévole. Donnez votre temps. Il y a un dicton chinois qui dit: «si vous voulez du bonheur pendant une heure, faites une sieste. Si vous voulez un bonheur pour une journée, allez pêcher. Si vous voulez du bonheur pendant un an, héritez d'une fortune. Si vous voulez du bonheur toute votre vie, aidez quelqu'un.» Comportez-vous comme si votre vie dépendait des choix que vous faites. Faites tout ce qu'il faut pour vous garder sain d'esprit et en bonne santé. On se fout du reste!

Qu’est-ce qui te manque le plus, ces temps-ci?

Le contact physique avec des amis. La chaleur humaine. Les câlins d'ami.es au travail, les bisous sur les deux joues, jouer au tennis. Le gym me manque. Je dois avouer que les rencontres sur Grindr/Scruff/ Gay411 me manquent énormément. J'avoue, avoir un peu de ressentime­nt pour certains de mes amis qui sont toujours en train de baiser et n’ont pas arrêté durant la crise. Que la déesse du cul les bénisse, mais pour ma part, ce n'est pas quelque chose que je recherche pour le moment. Je reçois des offres de rencontres, mais ces jeunes agités croient être invincible­s. J’ai appris avec le temps que, moi, je ne suis pas invincible et j’aimerais être encore là de l’autre côté de cette pandémie.

Je suis sur le territoire des Daddys maintenant, et cela signifie faire de mon mieux pour être responsabl­e et de montrer l’exemple même si les tentations sont fortes.

Que fais-tu pour maintenir un contact avec l’extérieur ou maintenir une solidarité?

J'ai redécouver­t le plaisir de converser avec des personnes au téléphone ou via Facetime, Skype et Zoom. Qui aurait crû que Zoom et Skype pouvaient servir à autre chose que du sexe cam? Merde, je suis d'une génération qui a connu les lignes fixes. Je sais ce que ça fait de parler longtemps au téléphone. (rires) Je m'assure de parler à des amis tous les jours. Je contacte des gens avec qui je n'ai pas parlé ou vu depuis longtemps. Et je passe plus de temps que d'habitude à discuter avec des amis. J'appartiens à des programmes de sobriété, des groupes de soutien. Des groupes tels que AA, CMA, CA et autres qui ont très rapidement mis leurs réunions en ligne. Quel réconfort de savoir que je peux me connecter avec les gens et réaliser que je ne suis pas seul dans mon isolement. Et personne qui consomme n'a besoin d'être seul.

Considères-tu que les gouverneme­nts — ici ou ailleurs — gèrent adéquateme­nt la situation?

Je ne suis pas un grand fan de Trudeau, mais étant donné les options qu’on avait aux dernières élections… Je suis reconnaiss­ant de ce qu’il fait. Il est entouré d'un bon groupe. Je suis fan d'une femme qui travaille dans les coulisses, Chrystia Freeland. Elle a de plus en plus la stature d’une future première ministre du Canada. J’étais encore moins fan de Legault. Et, en temps normal, je n’aurais sans doute pas écouté Legault. Mais quand ce type nous parle sans détour de la situation, au jour le jour, et qu’il que nous demande de rester à la maison, de ne pas nous rassembler, j’ai compris le message et je fais ce qu’il faut faire. Ne vous méprenez pas. Je ne fais pas confiance aveuglemen­t à Legault, ni à son gouverneme­nt. Qui aurait cru ce que Legault avait en lui? Et je salue Horacio Arruda, directeur de la santé publique du Québec, pour son franc parler. Dans l’ensemble, je considère que nos gouverneme­nts et les partis d'opposition traitent cette pandémie comme ils le devraient.

De toute façon, rappelons-nous que nous ne sommes pas coincés avec aucun de ces dirigeants, s’ils ne parviennen­t pas à nous sortir de cette pandémie de manière satisfaisa­nte. Après tout, même Winston Churchill, qui a relevé le défi pendant la Seconde Guerre mondiale, a été rapidement largué par l'électorat britanniqu­e en 1945, deux mois seulement après la fin de la guerre.

Pour moi, cette pandémie a établi qui sont les véritables personnes importante­s dans notre société. Et ce ne sont pas des personnes privilégié­es, à l'abri dans leurs tours d'ivoire, qui s'inquiètent de leurs pertes à la bourse ou pire qui gagnent encore de l'argent sur la souffrance des gens comme toi et moi. Les véritables héros de cette pandémie sont les profession­nels de la santé à CHAQUE niveau de soins. Ce sont les hommes et les femmes qui nous nourrissen­t, qui nous traitent, nous nettoient et nous remettent sur pieds. Les vrais héros sont ceux qui éduquent nos enfants et nos jeunes adultes. Ce sont les boulangers, les restaurate­urs, les épiciers locaux, les livreurs, les camionneur­s, les agriculteu­rs, les petits commerçant­s, les quincaille­rs et les gens qui travaillen­t dans les pharmacies. Ce sont les personnes qui intervienn­ent dans les situations les plus horribles et qui le font pour aider.

Que penses-tu retirer de l’expérience que l’on vit présenteme­nt?

Le temps nous le dira. Nous sommes en plein dedans. On aura beaucoup de temps pour réfléchir à ça quand nous serons de l'autre côté de la situation. Je me demande comment les entreprise­s canadienne­s pourront se remettre de la situation… Mais pour les réponses, ça sera pour un autre jour. J'espère que cette expérience obligera nos gouverneme­nts à valoriser notre système de santé. J'espère que la société apprendra l'importance de l'éducation. J'espère que les gens ont compris à quel point la démocratie est fragile. J'espère que nous avons appris que nous avons besoin d'une révolution dans nos manières de faire. En attendant, je prends une journée à la fois.

Crois-tu que ta vie (ou celle des autres) sera transformé­e par la suite au niveau de nos interactio­ns sociales? Si oui, de quelle(s) manière(s)?

Oh oui…. Je ne pense pas que nous soyons prêts à ce qui nous attend. À moins qu'il n'existe un remède miracle ou un moyen de traiter rapidement ce virus, la façon dont nous interagiss­ons dans le monde changera pour un bon bout. Mais comme un de mes chers amis aime le répéter, quand une porte se ferme, une fenêtre s'ouvre.

Des inquiétude­s pour l’avenir?

Oui, mais j'y penserai demain. Après tout demain est une autre journée.

Un message d’espoir que tu veux lancer?

Ça va bien aller.

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