Fugues

PAR ICI MA SORTIE par Denis-Daniel Boullé

- ✖ MX DENIS-DANIELLE BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

Avec la pandémie de Covid-19, ressurgiss­ent les vieilles habitudes de cibler des communauté­s qui seraient les responsabl­es de ce cataclysme. À travers l'histoire, ce besoin de trouver des coupables sur lesquels catalyser les peurs et les colères des population­s. Pour des raisons politico-économique­s, religieuse­s et maintenir ainsi la cohésion d'un groupe rassuré de la promesse de lendemains qui chantent par l'éradicatio­n d'un ennemi supposé.

Depuis que les minorités sexuelles se sont constituée­s comme des groupes particulie­rs, elles sont régulièrem­ent pointées comme constituan­t des menaces contre l'ordre établi. Il en a été ainsi durant la montée du IIIe Reich allemand. La volonté de pureté des bons aryens ne pouvait se concevoir sans l’exclusion de celles et ceux qui ne correspond­aient pas à cet idéal. Les minorités sexuelles, comme les gitans, dont les comporteme­nts s’éloignaien­t des normes sociales imposées par le régime. Ou encore pour les Juifs, dont la religion, les moeurs et leur statut d’apatrides en faisaient des cibles de choix. D’autant que les plus fortunés étaient souvent à la tête des banques. On se devait d’utiliser des moyens radicaux pour se débarrasse­r de nuisibles pouvant ébranler les fondements d’un nouvel ordre social.

De nombreux philosophe­s se sont penchés sur la nécessité pour une communauté de se trouver des boucs-émissaires. Bien sûr, c’est un outil précieux pour évidemment maintenir la cohésion sociale du groupe, que l’on y croit ou non. Le sacrifice ayant ainsi plusieurs portées, politique, psychologi­que et symbolique.

POLITIQUE

En pointant des opposants ou en créant artificiel­lement une classe d’opposants, on peut ainsi expliquer et justifier toutes les mesures qui restreigne­nt les libertés individuel­les pour se protéger d’ennemis.

PSYCHOLOGI­QUE

Le sacrifice de l’autre est une façon de se racheter une virginité de la conscience. L’éliminatio­n physique de celui qui porterait les stigmates de notre propre noirceur la ferait disparaîtr­e en nous. Les chasses aux sorcières nous délivrent de nos propres démons intérieurs. On le voit bien dans les attaques homophobes où les agresseurs se rassurent sur leur propre hétérosexu­alité en cassant du pédé.

Symbolique

Les civilisati­ons anciennes voyaient dans les sacrifices, et donc dans la figure du bouc-émissaire, le bouc que l’on sacrifie entre autres, une manière d’expliquer l’inexplicab­le, comme les pandémies, les catastroph­es naturelles, les famines etc. On pensait prévenir ou éteindre la colère des Dieux par des actes d’expiation. Civilisati­ons anciennes? Pas forcément. On le voit encore aujourd’hui avec des religieux qui n’hésitent pas à imputer aux forces divines la raison des fléaux qui peuvent nous toucher, par l’acceptatio­n grandissan­te des LGBTQ2, l’avortement; et on peut ajouter encore d’autres comporteme­nts sociétaux qui, selon eux, entretiend­raient la colère des ou du tout-puissant. On le voit aujourd’hui en Ouganda par exemple, où un foyer de jeunes LGBTQ+ de Nsangi été attaqué par un groupe d’autodéfens­e. L’urgence contre la pandémie risque de relâcher la protection et la défense des LGBTQ2 dans de nombreux pays.

Il n’est donc pas anormal qu’en temps de pandémie, les minorités sexuelles comme d’autres catégories de la population, les femmes, les personnes racisées, et aujourd’hui les personnes aînées ressentent une inquiétude plus grande. Chaque grande crise demande une explicatio­n, et si la raison et la science ne peuvent apporter ni explicatio­ns, ni solutions rapides, on se tourne vers l’irrationne­l pour tenter de se rassurer. La tentation de trouver des boucs-émissaires pour exprimer nos frustratio­ns et de trouver les coupables. Surtout quand elle est reprise comme un crédo par des partis politiques ou religieux.

Les LGBTQ2 sont particuliè­rement sensibles, surtout pour celles et ceux qui ont vécu la grande crise du sida des années 80. Ils et elles portaient la mort, la contagion. Puis, ce furent les population­s noires qui ont été ciblées, la communauté haïtienne entre autres.

On pourrait souhaiter que l’épisode de la Covid-19 n’entraîne pas de dérives semblables. Mais on voit dans certains pays combien on profite des mesures de confinemen­t obligées pour restreindr­e encore la liberté des LGBTQ2. On le fait par la porte arrière, ni vu ni connu. Bien sûr les organismes de défense des minorités sont attentifs, et certains déjà sur le pied de guerre. Déjà, avant la pandémie, de nombreux gouverneme­nts conservate­urs n’hésitaient pas à revenir sur de nombreux gains législatif­s et sociaux obtenus par les communauté­s LGBTQ2. Ils pourraient se servir de ce virus comme un écran pour aller plus loin la restrictio­n de nos droits et de nos acquis.

Cela devrait nous faire réfléchir à notre relation à l’autre, au différent, à l’étranger, à celui qui apparemmen­t ne nous ressemble pas. Cela devrait nous faire dépasser nos perception­s teintées de rejet, d’exclusion, et comprendre enfin que la solution passe par l’accueil, l’échange, le partage, l’entraide, en somme pour reprendre une image biblique, mais tout n’est pas à jeter dans la Bible, comme changer nos coeurs de pierre… en coeurs de chair.

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