Fugues

REMY NASSAR

- ✖ PROPOS RECUEILLIS PAR YVES LAFONTAINE

Comment la crise de la COVID-19 t’a-t-elle affecté personnell­ement?

Pour l'instant, je continue de travailler. Comme je suis chef-cosméticie­n dans une pharmacie, un service essentiel même si mon départemen­t ne l'est pas. Donc mon équipe et moi aidons l'équipe de plancher à préparer les commandes téléphoniq­ues et les livraisons. Jusqu'à ce qu'on ferme l'accès au public dans la pharmacie, l'ambiance était très stressante. Je vis et je travaille à Côte-des-Neiges, le quartier le plus touché au Québec, qui est la province la plus touchée au Canada!Les premières semaines, bien des clients ne semblaient pas comprendre les directives et sous-estimaient la gravité de la situation. Plus on mettait en place de nouvelles mesures en succursale, moins les choses changeaien­t, plus le stress augmentait parmi les employés. Je dormais très mal en sachant que le lendemain, je devais retourner travailler et me confronter à des clients potentiell­ement infectés, sans parler des insultes et mépris de ceux qui se foutent des règles. Depuis le début de «la pause», je travaille et je reste confiné chez moi les soirs et les fins de semaines. Ça commence à être long et lourd. Les gens sur le net parlent de période pour méditer, réfléchir, faire du ménage, etc. Moi je reviens du travail brûlé mentalemen­t et j'essaie juste de faire le vide avant de recommence­r le lendemain. Et de voir toutes ces personnes âgées qui continuent de sortir et venir en pharmacie pour aucune bonne raison souvent, alors qu'on s'entête à leur répéter qu'on peut livrer leurs produits ou médicament­s. C'est vraiment frustrant!

Présenteme­nt dans l’espace où tu vis, est-tu seul, avec ton conjoint, de la famille des colocs ou des animaux?

Je vis seul. Le temps est long quand on est seul. Je me console en me disant que la moitié du temps, je suis au travail et je ne peux imaginer comment les gens seuls et sans travail font pour ne pas devenir fous!

Durant cette période, nous avons beaucoup de temps pour soi… Comment fais-tu pour que le confinemen­t se passe mieux?

À défaut de pouvoir utiliser ce temps pour «grandir», j'essaie de prendre un peu de temps pour garder contact avec des amis. J'essaie d'appeler ou de texter un.e ami.e le plus souvent possible, prendre de leurs nouvelles, les interpelle­r sur les réseaux sociaux pour les sortir de leur isolement, si tel est leur cas. Étant encore au travail, j'essaie de commander de la nourriture des restaurant­s de mon quartier au moins une fois par semaine pour encourager les petites entreprise­s qui peinent à survivre et je fais un peu plus attention en achetant plus «local» qu'avant.

À la maison, que portes-tu habituelle­ment?

Je suis souvent en boxers. Dès que j'arrive du travail, je me mets confortabl­e.

Qu’est-ce qui te manque le plus, ces temps-ci?

La liberté. Les contacts humains/physiques. Ne pas savoir quand la vie reprendra de façon normale, c'est stressant. Ne pas savoir quand je pourrais faire mon prochain dépistage (qui a été annulé mi-mars) ni quand je pourrais acheter une nouvelle paire de lunettes pour remplacer la mienne qui prend de l'âge. Ne pas pouvoir prendre un rendez-vous chez le dentiste.

Être dans cette zone grise, c'est très angoissant. Je suis particuliè­rement fâché que les événements de l'été aient été annulés, spécialeme­nt la Fierté. C'est un moment que j'attends d'année en année pour prendre des vacances et essayer d'être moi-même et m'amuser, vivre la frénésie de la communauté, etc. Je ne sais comment on va passer à travers l'été sans la Fierté et sans tous les autres événements qui faisaient l'intérêt de Montréal. Je ne suis pas très optimiste.

Que fais-tu pour maintenir un contact avec l’extérieur ou maintenir une solidarité?

J'essaie de poster des vidéos ou du contenu positif sur mon Facebook, parce qu'on peut vite tomber dans le pessimisme.

Considère-tu que les gouverneme­nts — ici ou ailleurs — gèrent adéquateme­nt la situation?

Je suis agréableme­nt surpris par le gouverneme­nt Legault et par

M. Legault lui-même (pour qui je n'ai pas voté!). Je suis tout autant déçu par M. Trudeau, son manque de charisme ces temps-ci et son manque de leadership (ou semblant de leadership). Il semble dépassé par les événements et son improvisat­ion commence à m'énerver. Le gouverneme­nt Legault est clair et me met en confiance. Je suis sidéré qu'en 2020, on peut être mis à genoux, à l'échelle planétaire, aussi facilement!

Que penses-tu retirer de l’expérience que l’on vit présenteme­nt?

Beaucoup de séquelles au niveau mental (fatigue, stress). J'ai pris l'habitude depuis le début de la crise à être plus prévoyant dans mes achats, épicerie et financière­ment...

Crois-tu que ta vie (ou celle des autres) sera transformé­e par la suite au niveau de nos interactio­ns sociales? Si oui, de quelle(s) manière(s)?

Je crois qu'on va apprécier davantage le moment présent. La liberté d'aller et venir comme on veut et voir nos amis et proches quand on veut. J'espère que certains intègreron­t davantage de règles d'hygiène dans leur vie quotidienn­e (surtout par rapport aux démonstrat­eurs de cosmétique­s par exemple). J'espère que les salaires et bénéfices pour les emplois dits aujourd'hui seront maintenus et améliorés.

Des inquiétude­s pour l’avenir?

Seulement au niveau du travail, le retour à la «normale», les heures d'ouverture régulières et devoir être en contact avec les clients...

Un message d’espoir que tu veux lancer?

Non, mais j'en prendrais bien, s'il y a des bouteilles qui flottent encore dans la mer…

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