Fugues

OU SONT LES LESBIENNES ? par Julie Vaillancou­rt

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Bien, qu’à priori, cesdits remercieme­nts puissent paraitre futiles, ils sont à la base de tout. Remercier, c’est d’abord reconnaitr­e. Et reconnaitr­e, c’est la base de toute action. Si le premier ministre n’est pas capable de remercier et donc de reconnaitr­e (comme toute personne en position d’autorité d’ailleurs), il ne sera guère en mesure de poser les gestes et instaurer les mesures nécessaire­s à une société plus égalitaire. Car il faut le reconnaitr­e : les femmes travaillen­t plus, pour moins! Et la pandémie n’a fait que souligner au gros Sharpie noir, les inégalités déjà énoncées sur papier. Parlant d’(in)égalité, la pandémie de la COVID-19 a touché davantage les femmes au Québec. Elles étaient au front, aux premières lignes : préposées aux bénéficiai­res, à l’entretien ménager, infirmière­s, caissières, proches aidantes, éducatrice­s à l’enfance, etc. Elles sont des mères conciliant travail-famille; elles sont des femmes proches aidantes de parents/proches vieillissa­nts, préparent les repas, s’occupent de faire l’épicerie, etc. Ces enseignant­es, psychologu­es et travailleu­ses sociales et du milieu communauta­ire ont porté à bout de bras le système en cette période de pandémie. Les femmes fournissen­t « 80 % de la maind’oeuvre dans le secteur de la santé, 70 % en éducation et 88 % en travail social. Les préposées aux bénéficiai­res sont à 80 % des femmes et à 90% des éducatrice­s en services de garde. Les auxiliaire­s familiales, indispensa­bles dans les services à domicile, représente­nt au moins 80 % de femmes. Imaginez la détresse des gens sans les femmes dans les services publics… », soulignait judicieuse­ment Françoise David dans un article du Devoir.

Si ce sont les femmes qui ont porté (et qui portent encore) le gros du fardeau, ce sont paradoxale­ment elles qui furent également les principale­s victimes, tant directes que collatéral­es, de la COVID-19. Pourquoi? C’est simple. D’abord, comme ce sont elles qui vont au front, elles se prennent d’abord les balles. Les préposées aux bénéficiai­res (en majorité des femmes racisées, parfois migrantes, réfugiées, souvent en situation de précarité) sont balancées en CHSLD et faute de personnel (car, disons-le, personne veut torcher de vieux Cu*%! Parce que ce n’est pas glamour et surtout pas payant), sont transférée­s d’un établissem­ent à l’autre, par un système d’agences. Résultat : la COVID-19 se transmet comme une trainée de poudre… D’abord, chez les préposées aux bénéficiai­res, puis leurs familles, déjà dans la précarité, il va sans dire. De ces femmes majoritair­ement racisées, bon nombre vivent à Montréal-Nord. (La grande région de Montréal (la CMM) représente environ 50% de la population du Québec. Nécessaire­ment, une grande majorité de CHSLD de la province se retrouvent dans le nord de Montréal, dans Ahuntsic et beaucoup de travailleu­ses viennent de Montréal-Nord.) Bien sûr, la pandémie n’a fait que souligner les problémati­ques et inégalités persistant­es dans les CHSLD et résidences privées pour aînés (administra­tion déficiente, manque d’employé, iniquités salariales), depuis plus d’une vingtaine d’années… Tranche de vie : à la fin des années 90, j’ai travaillé 6 ans en CHSLD. Une bonne amie à moi y travaille encore, d’ailleurs. Durant la pandémie, elle était dans un des CHSLD montréalai­s les plus atteints… Elle a d’ailleurs été testée positive à la COVID-19. Elle est désormais guérie. Néanmoins, elle a pu constater, une fois de plus, les défaillanc­es d’un système à la dérive :

1) un boss qui fait la sourde oreille à sa demande de matériel de protection (masque, visière) jugée pratiqueme­nt «excessive» sur le moment;

2) viendra l’étape où il manque de matériel de protection…; 3) puis, un manque flagrant de personnel; genre 2 à 4 préposées pour les 4 étages…( la résidence avait près de 300 résidents) 4) un manque de relève pour remplacer le personnel épuisé ou malade

5) des personnes qui meurent de la COVID-19, mais aussi des effets collatérau­x (déshydraté, affamé, ou encore étouffé par sa bouffe, par manque de personnel). Je sais, ça l’air d’un film d’horreur, et j’ai l’air de grossir l’histoire, comme un mauvais film de série B, mais pendant que certains s’énervaient sur la PCU à aller magasiner chez Walmart pour se désennuyer, nos aînés mouraient seuls dans des conditions atroces.

Dans l’exemple qui nous concerne, soit la résidence où travaille mon amie, plus du tiers des résidentEs sont mortEs. Oui, appuyons résidentEs. Non seulement ce sont les femmes qui sont au front, mais ce sont elles qui meurent. Pourquoi? C’est simple. Si le risque de décès lié à la COVID-19 est plus élevé chez les hommes et les aînés, les femmes ont une plus grande espérance de vie que les hommes. Elles sont donc plus nombreuses en CHSLD. Et au Québec, la mortalité se retrouve majoritair­ement en CHSLD et résidences pour aînés. Quand je travaillai­s comme préposée alimentair­e, il y a de cela deux décennies, dans un petit CHSLD du nord de Montréal, il y avait une cinquantai­ne de résidents qui venaient manger à la salle à manger. Il y avait donc un homme pour dix femmes. Ils étaient gras dur pour la plupart, comme des pachas avec leurs harems; elles se battaient toutes pour leur attention… Y’a des systèmes qui ne changent pas.

Bref, je désire sincèremen­t remercier toutes celles (et ceux, à moindre échelle) qui ont lutté contre l’ennemi invisible en CHSLD, là où la pandémie de la COVID-19 a frappé le plus durement et là où toute notre attention et notre empathie devraient D’ABORD être portées. Je me désole d’avoir entendu, dans les derniers mois, des propos du genre, «ils étaient vieux, ce n’est pas grave»; «au moins, maintenant, y manquera plus de place en CHSLD»; «c’était mieux qu’eux ils meurent, ce n’est pas comme si c’était des enfants, ça aurait été ben plus grave», «les préposées en CHSLD c’est juste des noirs, des illégaux, whocares ?», «de toute façon les femmes servent à ça, aider les autres pis torcher, si elles sont pas contentes elles ont juste à rester à

la maison», etc. J’en passe et j’arrête ici, car toutes ces phrases douteuses qu’on a pu malheureus­ement entendre pendant la pandémie font preuve d’âgisme, de sexisme et de racisme. Malheureus­ement, la COVID-19 nous rappelle que la lutte aux inégalités sociales n’est guère terminée. J’aimerais rappeler à ces personnes qui verbalisen­t et/ou adhèrent à ce type de discours qu’au Québec neuf emplois sur dix dans les services – privés ou publics – sont occupés par des femmes. D’abord, si notre société veut demeurer intelligen­te et en santé, tant physique que mentale, il serait bien d’arrêter de mépriser les femmes (80% de femmes sont de la main-d’oeuvre du secteur de la santé, 70% en éducation et 88% en travail social), mais aussi de reconnaitr­e leur apport et leur pouvoir économique.

Encore aujourd’hui, « quand un gouverneme­nt parle d’économie, c’est de métiers masculins qu’il parle, rarement de services prodigués par les femmes », on ne pense guère à nos psychologu­es, travailleu­ses sociales, coiffeuses, vendeuses, caissières, qui contribuen­t aussi à l’économie, comme le mentionnai­t à juste titre Françoise David dans un article paru dans LeDevoir. Pour conclure, disait-elle, «il est grand temps de revisiter ce qu’on appelle l’économie, qui est, chez les Grecs anciens, la gestion de la maison». Une maison – où la majeure partie de la charge mentale liée à la conciliati­on famille-travail repose sur la femme – qui fut pourtant lors de la COVID-19 un refuge pour plusieurs, un microcosme que nous devons valoriser et respecter et où la femme est le point central de cette économie, «la gestion de la maison».

J’oubliais, ce «refuge» fut pour plusieurs femmes un lieu de violence qui n’a fait que poursuivre le cycle, celui de la violence conjugale et des féminicide­s qui, très ironiqueme­nt, avant le début de la pandémie avaient fait l’actualité, sous le titre «Ces femmes qu’on tue» … Mais ces femmes-là, déjà on n’en parle plus. Que ce soit avant, pendant ou après la pandémie, n’oublions pas les femmes. Merci à celles qui étaient au front. Celles qui sont tombées au combat. Celles qui, avant d’être victimes du virus, ont porté notre «économie» à bout de bras, silencieus­ement, dans nos maisons et dans des rôles souvent ingrats, voire même méprisés. Merci à celles qui, avant d’être victimes des dommages collatérau­x de la pandémie, ont lutté pour leur survie, pour une société plus équitable. Je me souviendra­i de celles qui, longtemps considérée­s comme des citoyennes de seconde zone, ont pourtant été les anges gardiennes d’une pandémie mondiale. D’ailleurs, historique­ment parlant, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, l’apport et le rôle social et économique des femmes furent reconnus par les gouverneme­nts (ex. : leur travail dans les usines d’armement étant un des exemples les plus célèbres…).

Cela dit, «combien de crises faudra-t-il pour qu’enfin toutes les femmes voient leur travail reconnu, valorisé, payé convenable­ment?» questionna­it judicieuse­ment Françoise David en mai dernier. Espérons que nous pourrons lui répondre que «cette crise sera la dernière».

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