Fugues

Sarah Hegazi, 1989-2020, militante lesbienne

- CHANTAL CYR chantalcyr­1975@gmail.com

Née en 1989 en Égypte et morte le 13 juin 2020, la militante lesbienne égyptienne Sarah Hegazi, s’est suicidée en juin dernier à Toronto où elle avait trouvé refuge en 2018. Elle avait été emprisonné­e trois mois après son arrestatio­n au Caire en 2017, pour avoir brandi un drapeau arc-en-ciel lors d’un concert du groupe libanais Mashrou’Leila.

La vue du drapeau et surtout sa diffusion sur les réseaux sociaux en avait choqué plusieurs dans la société égyptienne. Un mouvement de répression des membres de la communauté LGBTQ avait suivi. Sarah Hegazi avait été la seule femme arrêtée. «C'était un choc, pour la société conservatr­ice et le gouverneme­nt égyptien», a raconté son ami Ahmed Alaa, qui avait été lui aussi emprisonné après avoir brandi le drapeau arc-en-ciel lors du concert.

On se rappellera qu’en 2017, les autorités égyptienne­s avaient interdit aux médias «de montrer des homosexuel­s ou de promouvoir leurs slogans. Bien que l’homosexual­ité ne soit pas expresséme­nt prohibée en Égypte, la communauté LGBT est régulièrem­ent prise pour cible autant par les forces de sécurité proches du gouverneme­nt que par les factions extrémiste­s déstabilat­rices, comme les Frères musulmans.

Craignant de nouvelles persécutio­ns, dans un pays qui accuse régulièrem­ent ses citoyens gais de débauche et de blasphème, la jeune femme s'était enfuie au Canada, mais avec l’espoir de pouvoir revenir dans son pays d’origine. Dans une entrevue accordée en 2018 à la CBC, elle avait parlé du traumatism­e causé par son emprisonne­ment, au cours duquel elle avait notamment été torturée avec des décharges électrique­s. «Je veux passer par-dessus et je veux oublier», avait-elle dit, «mais je me sens toujours coincée en prison».

Depuis sa sortie de prison, sa vie était marquée par les cauchemars, la dépression et les attaques de panique. Elle souffrait aussi énormément de solitude. Pour ajouter à sa souffrance, Sara Hegazy n’a pas pu revenir en Égypte pour accompagne­r sa mère gravement malade, décédée durant son exil, ni assister à ses funéraille­s.

Bien que reconnaiss­ante de l'accueil du Canada, elle avait exprimé son désir de retourner dans son pays, pour être près des siens, et pour continuer à se battre contre l'impérialis­me occidental et le capitalism­e, et surtout pour ceux qui sont persécutés en raison de leur orientatio­n sexuelle ou de leurs conviction­s politiques. Victime de stress post-traumatiqu­e, la jeune femme de 30 ans n'aura donc pu réaliser son rêve de retourner dans son pays d'origine.

Sara Hegazy a «vécu une dure expérience en prison en 2017», a publié sur Twitter l’ONG HumanRight­sWatch, déplorant «l’oppression» subie par la militante «en raison de ses opinions politiques et de son militantis­me en faveur des LGBT». La directrice Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human RightsWatc­h, Sarah Leah Whitson, qui avait rencontré récemment Sara Hegazy, nous a parlé d’une jeune femme «clairement en souffrance, traumatisé­e par sa torture », avant d’ajouter «au cas où quelqu’un aurait un doute, le gouverneme­nt d’Egypte l’a tuée».

«À mes frères et soeurs, j’ai essayé de survivre et échoué; pardonnez-moi. À mes amis, le voyage a été cruel et je suis trop faible pour résister; pardonnez-moi. Au monde, vous avez été d’une cruauté sans mesure; mais je vous pardonne», sont les mots qu’a laissé sur papier Sara Hegazy…

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada