Fugues

Laurent McCutcheon raconté

- YVES LAFONTAINE yveslafont­aine@fugues.com

L’auteur et journalist­e indépendan­t Denis-Martin Chabot lance ce mois-ci la biographie «Laurent McCutcheon et la révolution gaie et lesbienne du Québec», un an après la mort de cet homme dont le parcours militant pour défendre les droits des homosexuel­s et la diversité des genres s’est étendu sur plus de 35 ans. Un ouvrage qui revient sur les moments marquants de son militantis­me qui sont autant d’étapes dans cette révolution tranquille qui a transformé la vie de milliers de québécois. Laurent McCutcheon a été président de Gai Écoute de 1982 à 2013. Il a mis sur pied la Fondation Émergence, qui favorise l’inclusion sociale des personnes homosexuel­les, et contribué à créer la Journée internatio­nale contre l’homophobie et la transphobi­e.

Tu lances ce mois-ci la biographie de Laurent McCutcheon. C’est un ouvrage que tu avais débuté alors que Laurent était encore bien vivant, n’est-ce pas?

Oui, j’ai commencé mes recherches en 2018 et mes entrevues en 2019. C’était tout un défi, mais je suis chanceux d’avoir pu passer autant de temps avec lui pour apprendre à le connaître, à connaître son histoire et un grand pan de l’histoire de nos communauté­s à travers la sienne. L’idée d’une biographie est une idée de qui? A-t-il été facile de le convaincre de se confier sur sa vie? Je demande cela car c’était un homme très généreux de son temps, mais qui était assez discret pour ce qui est de sa vie privée…

Laurent était patient. En public. J’ai appris qu’à l’intérieur, un feu intense brûlait. Laurent avait de la poigne. Il savait lever la voix et s’imposer. On m’a raconté qu’il mettait son poing sur la table de temps à autres. Fortement !

J’ai proposé le projet à Laurent lors de la remise du PrixLauren­t-McCutcheon, en mai 2018. Nous étions réunis à la terrasse de l’hôtel-de-ville. J’étais en train de terminer mon livre sur Colette Roy Laroche. C’est là que m’est venue l’idée d’écrire le récit de vie de Laurent. Je ne savais pas qu’il avait des soucis de santé. Oh boy ! Quand on a jasé, lui et moi, j’ai appris qu’il était atteint d’un cancer du poumon. Il savait que ces jours étaient comptés. Considéran­t sa grande discrétion, je me suis dit que ça n’irait pas, que jamais il accepterai­t de participer à ce projet. À ma grande surprise, il a accepté.

Te souviens-tu de ta première rencontre avec Laurent ?

Ma première rencontre avec lui, ça doit être en tant que journalist­e. C’était à l’époque de la Politique nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobi­e. Je devais l’interviewe­r. Et même si j’en ai vu des gens célèbres et importants dans ma carrière, Laurent, c’était quelque chose. Il était très profession­nel. Avant de me parler, il avait fait ses devoirs, il savait qui j’étais, il connaissai­t mon parcours, dont ma cause contre Radio-Canada pour obtenir les bénéfices pour les partenaire­s de même sexe, incluant la caisse de retraite. Par la suite, j’ai rencontré Laurent dans le cadre d’autres événements. J’ai toujours admiré cet homme qui s’est relevé les manches pour faire avancer nos droits.

Donnes-moi cinq ou six mots qui décrivent le mieux différente­s facettes de Laurent?

Bonheur, car c’est vrai, il a eu une enfance heureuse. Si ses parents n’étaient pas riches, ils étaient bons et aimants.

Dépression, car Laurent a dû combattre son propre démon de l’homophobie intérioris­ée. Bravoure, résilience, déterminat­ion et profession­nalisme, car ça prenait ça pour faire avancer les choses comme il l’a fait.

L’ouvrage est aussi un regard historique sur la reconnaiss­ance des gais et lesbienne comme citoyens à part entière du Québec… Quels sont les moments militants les plus importants de sa vie, selon toi?

D’abord, l’adoption du BillOmnibu­sdePierreT­rudeau a fait en sorte qu’être gai n’était plus un crime au Canada. La descente du Truxx et les manifestat­ions qui ont suivi. Je crois que cela a allumé la flamme de militant de Laurent. Avec l’amendement de la Charte des droits du Québec en 1977, les personnes 2LGBTQ+ obtenaient l’acceptatio­n juridique. Une première mondiale. Mais dans la vie de tous jours, c’était autre chose. Le visage laid de la discrimina­tion se montrait à la première occasion, discrèteme­nt mais ça faisait très mal. Et il y a eu des événements malheureux dont le meurtre de Joe Rose et la descente du Sex garage. C’est dans ce contexte que Laurent est entré en scène. Son premier cheval de bataille a été la reconnaiss­ance des droits des conjoints de même sexe, puis le mariage pour tous. Et il n’est pas peu fier de la Politique nationale de lutte contre l’homophobie du Québec, la première juridictio­n du monde à adopter une telle politique. Et que dire de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobi­e !

Je me souviens qu’en entrevue à la fin des années 90, il m’avait dit «Je ne veux pas plus de tolérance, je désire pour les gais et lesbiennes l’inclusion et l’acceptatio­n sociale totale et complète». Il était conscient que ça ne se ferait pas du jour au lendemain, mais il était persistant…

Laurent était patient. En public. J’ai appris qu’à l’intérieur, un feu intense brûlait. Laurent avait de la poigne. Il savait lever la voix et s’imposer. On m’a raconté qu’il mettait son poing sur la table de temps à autres. Fortement ! Pour lui, être tolérer ne suffisait plus. L’acceptatio­n totale et complète était son but ultime. C’est pour cela qu’il a fondé la Fondation Émergence dans le but d’éduquer, d’informer et de sensibilis­er la population aux réalités des personnes qui se reconnaiss­ent dans la diversité sexuelle et la pluralité des identités et des expression­s de genre.

Même si, en privé, Laurent pouvait être critique envers certains gouverneme­nts, il préférait le dialogue à l’affronteme­nt. Il avait la conviction que pour gagner des batailles, il fallait collaborer avec les pouvoirs publics, ce que certains militants qui aimaient les gestes d’éclat lui ont parfois reproché… Il est certain que si on regarde l’oeuvre de Laurent avec les yeux d’aujourd’hui, on va trouver bien des manquement­s. Mais rappelez-vous comment c’était à l’époque. La population en général n’était pas très ouverte envers les personnes 2LGBTQ+. Les politicien­s en étaient le reflet. En tant que fonctionna­ire haut gradé, il comprenait le fonctionne­ment gouverneme­ntal et il avait ses entrées auprès de la classe politique. Il savait comment parler aux gens pour se faire entendre.

En même temps, on ne peut pas dire qu’il n’a jamais fait de gestes d’éclat. Rappelez-vous quand il avait publié la liste des personnali­tés sportives absentes lors du défilé de la Fierté… Certains l’avaient mal pris. Rappelez-vous aussi quand sa photo a fait la Une de La Presse où il collait des affiches montrant des hockeyeurs gais.

De Gai écoute au soutien communauta­ire, à la lutte contre l’homophobie et à la possibilit­é de mourir dans la dignité… Qu’est-ce qui faisait courir Laurent McCutcheon?

Je dirais que le sens du devoir a été la motivation première de Laurent. Il n’avait pas besoin de la célébrité. Il avait tout ce qu’il voulait, le beau chum, la bonne job, une maison superbe et une belle auto! Laurent aimait les autos.

En fait, Laurent a puisé sa force de ses propres expérience­s, à commencer par une grosse dépression quand il était jeune. Et puis, les frustratio­ns qu’il a dû endurer en tant qu’homme gai.

Son engagement pour le droit à mourir dans la dignité découle aussi de son engagement profond pour la défense des droits humains. Cela allait au-delà des causes des communauté­s 2LGBTQ+. Il aura été militant dans cette cause jusqu’à la fin en rendant public son choix d’obtenir l’aide médicale à mourir.

Il a connu bien des batailles et célébré quelques victoires. Penses-tu qu’à la fin, il s’est dit : «Mission accomplie» ?

Laurent n’était pas un homme prétentieu­x. Mais il était conscient de l’oeuvre importante qu’il a accompli. Il connaissai­t sa place dans l’histoire. Il a accompli sa mission, certes. En même temps, il savait que la lutte n’est pas terminée. Il voyait bien que de nouvelles voix se faisaient entendre pour réclamer leur place au soleil.

Selon toi, que doit-on retenir de la contributi­on de Laurent McCutcheon ?

Il y a plusieurs sortes de militants. Et ils sont tous essentiels et importants dans un mouvement comme le nôtre. Il y a de la place pour les coups d’éclats et il y a aussi des moments pour la négociatio­n. Laurent s’occupait plus du deuxième aspect de la revendicat­ion. Il laissait d’autres prendre la rue.

INFOS | «LAURENT MCCUTCHEON ET LA RÉVOLUTION GAIE ET LESBIENNE DU QUÉBEC», PAR DENIS-MARTIN CHABOT, LES ÉDITIONS DE L’HOMME, MONTRÉAL, 2020. WWW.EDITIONS-HOMME.COM

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada