Fugues

René Richard Cyr, l’accoucheur de sens

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com

Cet automne, René Richard Cyr offre aux amoureux de culture une incursion absolument fascinante dans le monde de la mise en scène et du jeu. Dans son livre L’entremette­ur en scène, écrit avec le journalist­e André Ducharme, l’acteur, animateur et metteur en scène, qui a orchestré plus de 75 pièces, des opéras, des shows de variétés, un spectacle de cirque et du théâtre musical, décortique 40 ans de métier.

Vous êtes sorti de l’école Nationale de Théâtre en 1980. Que représente ce cap pour vous?

Un jour, j’ai entendu Diane Dufresne dire que la révolution dans ce métier, c’est de durer. Je suis pas mal d’accord. Je ne suis pas quelqu’un qui carbure au passé, mais je suis fier de mon parcours et de tous les chapeaux que la vie m’a permis de continuer à endosser. Quand je vois que je suis souvent allé à des places où je n’allais pas, alors que je ne me considère pas comme le plus grand aventurier, ça ajoute une couche de fierté.

On lit que vous êtes «un ‘tit-cul dont l’enfance n’est jamais sorti du corps» et que vous jouez au théâtre comme on jouait au docteur. Comment peut-on marier la rigueur du métier et la désinvoltu­re du jeu?

Premièreme­nt, c’est un métier fait de rencontres, alors je ressens toujours l’excitation d’avoir de nouveaux amis pendant quelques mois pour jouer à un nouveau jeu, pour chaque nouvelle pièce. J’adore le principe de construire quelque chose ensemble. Si je venais seulement enseigner aux autres ce que je connais d’une oeuvre, ça limiterait une partie du plaisir.

Mon but est d’enflammer des gens autour d’une question pour que ça devienne un projet collectif. On va passer 200 heures à répéter un show qui va durer 1h10, alors la rigueur fait aussi partie du plaisir.

Claude Poissant affirme que votre doute est peu apparent. Pourquoi?

Je suis un peu petit Joe connaissan­t. Je n’ai pas une opinion sur tout, mais j’arrive très confiant. Quand je débute un projet, je le traîne souvent depuis des années ou des mois. Je doute beaucoup, mais je sais généraleme­nt pourquoi je fais les choses. Lorsque je suis capable de les nommer, ça me donne des ailes. Je dis souvent qu’être acteur, c’est 50% de contrôle et 50% d’abandon, et c’est la même chose pour la mise en scène: on doit arriver très préparé et être prêt à tout changer.

Vous dites que votre quête de perfection servait à compenser certains mensonges. Expliquez-nous.

Jeune enfant, je savais que j’aurais peut-être à mentir et que je me devais d’être parfait, pour avoir une feuille de route tellement exemplaire que tout me serait pardonné. Ce n’était pas seulement par rapport à ma différence sexuelle. Il y avait aussi qu’à vingt ans, je ne pesais pas cent livres. J’ai la tête et la voix que j’aie. Je ne me considère pas comme une bibite, mais je suis particulie­r. Au lieu que ça devienne un poids, c’est vite devenu une armure. Je n’ai jamais eu à faire de coming-out, car je ne l’ai jamais vraiment caché. Et, je me définis par bien des choses avant de me définir comme homosexuel.

La situation a-t-elle évolué pour les comédiens ouvertemen­t gais?

J’ai osé dire dans le livre que j’avais déjà conseillé à quelques interprète­s gais de ne pas le dire, car les préjugés existent encore: plusieurs décideurs vont dire ça paraît qu’une actrice a l’air lesbienne et qu’elle ne peut pas jouer une mère de famille, alors que les acteurs hétérosexu­els peuvent très bien jouer des gais. J’espère que dans cinq ou dix ans, je ne donnerai plus ce conseil. Actuelleme­nt, je vois encore des acteurs ouvertemen­t gais qui sont cantonnés dans certains rôles. Moi-même, j’en ai fait beaucoup. Mais ça bouge. J’ai joué le caïd dans C’estcommeça­que jet’aime, le barbier dans les films de Fred Pellerin et un gars qui pognait le cul des jeunes filles dans Yamaska.

On dit que vous êtes un menteur profession­nel qui proclame ses vérités sans trop se dévoiler. Avez-vous peur de vous exposer?

On a tous des zones d’ombre. Souvent, quand tu joues des personnage­s, tu as l’impression de te dévoiler beaucoup, mais j’ai réalisé qu’en faisant des mises en scène et en mettant ceci de l’avant plutôt que cela, je dévoilais peut-être un peu plus ma sensibilit­é. Je n’ai pas de pudeur à dévoiler ça sur scène, mais davantage dans ma vie privée. Si j’ai de la peine, tu ne le sauras probableme­nt pas. C’est peut-être par manque de confiance envers les autres, comme s’ils ne pouvaient pas comprendre.

Mettre en scène, c’est accoucher d’une oeuvre, d’un sens ou de certains talents d’acteurs?

De tout ça, mais principale­ment dans les textes de création. Molière a déjà été accouché très souvent. Tu peux le monter tout-nu, debout, sur la tête ou en 2032, et il va continuer de se tenir. Par contre, la nouvelle pièce d’une auteure de 25 ans, je dois l’accoucher avec le plus d’humilité possible, en révéler l’écriture et le sens. C’est ça qui me porte.

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