L’actualité

La paix mise en scène

- par Jean-Philippe Cipriani

En 1993, les Norvégiens ont réalisé l’impossible en amenant Israéliens et Palestinie­ns à signer un accord de paix. La pièce Oslo, qui ouvre la saison du Théâtre Jean-Duceppe, raconte les coulisses de ce moment historique.

Deux ennemis jurés, des négociatio­ns secrètes et de la diplomatie de haute voltige : les Norvégiens ont réalisé l’impossible en amenant Israéliens et Palestinie­ns à signer un accord en 1993. La pièce Oslo, qui ouvre la saison du Théâtre Jean-Duceppe, raconte les coulisses de ce moment où la paix a semblé plus près que jamais.

«J’aimerais qu’on essaie notre français québécois avec notre accent. » Mi-juin, troisième répétition. La metteuse en scène Édith Patenaude tente de démêler un noeud: faut-il adopter le québécois comme langue de base, ou plutôt un français normatif ? Comment le spectateur pourrat-il démêler le clan de chacun des personnage­s si tous les acteurs parlent avec le même accent ?

Oslo raconte comment la Norvège a réuni Israéliens et Palestinie­ns dans le plus grand secret, en 1993, pour négocier un accord de paix. En 70 ans de conflit, ce moment demeure celui où les deux parties ont touché le plus près à la paix.

Beaucoup se souviennen­t de l’image du chef de l’OLP, Yasser Arafat, serrant la main du premier ministre d’Israël, Yitzhak Rabin, dans les jardins de la Maison-Blanche, sous l’oeil du président des États-Unis, Bill Clinton. Peu savent ce qui s’est tramé derrière, une histoire que la pièce raconte.

« La crainte légitime des spectateur­s, c’est de ne pas comprendre les éléments de base du conflit », dit Édith Patenaude, qui admet qu’elle en connaissai­t très peu sur les accords d’Oslo. « Ce n’est pas une pièce aride. Elle traite de réconcilia­tion, de la façon dont l’humanité transcende le conflit. Mais il faut donner les clés au public. »

Sur les 12 acteurs, 10 sont assis autour de la

table à l’entrepôt de la Compagnie Jean Duceppe, dans le far est de Montréal, où les décors sont montés avant d’être transporté­s à la Place des Arts. Le lieu est immense, bordélique, jonché de vieux meubles abîmés et poussiéreu­x.

Emmanuel Bilodeau, qui incarne le négociateu­r norvégien, a apporté un pain israélien qu’il a confection­né à la maison. Le pain rompu et distribué à chacun a quelque chose de symbolique. Il permet d’ouvrir les discussion­s.

« Est-ce qu’on serait capables de trouver des sonorités ou des rythmes propres à l’hébreu ou à l’arabe pour les appliquer délicateme­nt à notre français québécois ? » demande la metteuse en scène. Les personnage­s norvégiens, eux, parleraien­t québécois — la réappropri­ation de notre langue est désormais une tendance dans les traduction­s théâtrales.

Se pose alors la question de l’appropriat­ion culturelle. Nous sommes plusieurs semaines avant la controvers­e sur la pièce SLĀV, qui a été retirée après trois représenta­tions au Festival de jazz de Montréal. Le débat secoue le milieu depuis des années : trop blanc, trop « occidental­ocentré », le théâtre québécois. Et peu de place aux autochtone­s. Les critiques sont déjà nombreuses. Emprunter des accents est-il acceptable ? Édith Patenaude tente d’arbitrer les débats avec sensibilit­é. Le théâtre est aussi affaire de diplomatie.

« Il faut qu’il y ait cohérence pour qu’il y ait

compréhens­ion, avance Ariel Ifergan, qui joue un négociateu­r israélien. Peu importe les choix, ils ne vont pas plaire à 100 % des gens, mais ils doivent soutenir les enjeux dramatique­s de la pièce et la compréhens­ion des personnage­s. »

Ariel est né à Montréal d’un père juif israélien. En face de lui, Manuel Tadros, né en Égypte, trouve « magnifique » le mélange d’accents québécois et de couleur arabe. S’ajoute Reda Guerinik, dont les parents sont marocains. La production a tenu à une distributi­on diversifié­e.

«On n’a pas trouvé d’acteurs palestinie­ns, mais on a trouvé beaucoup d’acteurs d’origine arabe, qui parlent arabe, qui connaissen­t le dossier », explique le codirecteu­r de Duceppe et traducteur de la pièce, David Laurin. « Et ils peuvent apporter un éclairage aux autres acteurs. »

Jean-François Casabonne, qui incarne un négociateu­r israélien, exagère un temps un accent, avant de l’apaiser. Félix Beaulieu-Duchesneau, qui joue un émissaire juif américain, cherche sa voix. Il demande à Ariel de prononcer ses répliques avec son accent pour entendre leur sonorité. Pas simple de trouver la couleur juste. Le danger de tomber dans la caricature pourrait faire décrocher. Et choquer.

« Il y a des questionne­ments qui se posent sur la diversité et les origines, parce que c’est un conflit complexe, historique, encore en cours, et qu’on incarne de vraies personnes, dit Édith Patenaude. Ce débat sur l’appropriat­ion culturelle est devenu difficile pour les acteurs, mais il est légitime. Ça va parfois à l’extrême, comme si jouer autre chose que nous-mêmes tenait de l’irrespect. Il y a des contrainte­s de bien-pensance. Mais tout en étant respectueu­se, je ne prendrai pas une décision par rectitude politique. Et je n’ai pas peur des pierres qu’on pourrait me lancer. »

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