Économie
Au début de 2018, il y avait 72 000 postes vacants dans les entreprises du Québec, soit 205 non pourvus par tranche de 10 000 postes disponibles. Le graphique ci-contre montre que le marché du travail était plus serré au Québec que dans trois des quatre autres régions du Canada. Notre pénurie actuelle de main-d’oeuvre ne doit pas être prise à la légère. Elle ampute de plusieurs milliards de dollars la somme annuelle de salaires et profits que notre économie pourrait engendrer autrement.
Ce n’est pas le vieillissement de la population qui cause la pénurie. Si c’était le cas, les pays vieillissants verraient automatiquement leur taux de chômage baisser. Or, ce n’est pas ce qu’on observe. Au Japon, par exemple, le groupe des 15 à 69 ans perd un million de personnes annuellement, mais son taux de chômage est plus élevé aujourd’hui que dans les années 1980, avant que la décroissance démographique frappe le pays. Pourquoi ? C’est que le vieillissement ne fait pas que réduire l’offre de main-d’oeuvre. Il en réduit aussi la demande. Car moins de gens dans les âges actifs signifie moins de ventes, donc moins de production et moins de besoins en main-d’oeuvre. Au Japon, la demande a baissé plus que l’offre, et le chômage a augmenté en conséquence. Plus près de nous, on voit sur le graphique que la pénurie est plus prononcée en Colombie-Britannique qu’au Québec, même si cette province vieillit moins vite que la nôtre.
La pénurie actuelle résulte plutôt de la reprise économique en cours depuis 2010. Elle a réussi à faire diminuer le chômage à des niveaux très bas : 4 % aux États-Unis, 5,5 % au Québec et en Ontario. Au Québec, ce phénomène est nouveau. Avant 2000, notre taux de chômage avait toujours été de 2 à 5 points au-dessus du taux ontarien. Mais depuis 20 ans, l’écart par rapport à l’Ontario a progressivement fondu. Notre révolution éducative a commencé à porter ses fruits. Plus on est scolarisé, moins on chôme. Donc, les pénuries de main-d’oeuvre, ce n’est pas fini, ça commence.
Attaquer une pénurie de maind’oeuvre, c’est comme abattre un patapouf dans un jeu vidéo. Il faut l’atteindre sous plusieurs angles et à répétition avant de réussir. Un premier moyen consiste à réorganiser le travail en consultant les employés. Les patrons des grandes entreprises affirment sans détour que le progrès de leur productivité vient aux deux tiers des idées novatrices de leurs employés
sur le plancher de l’usine ou du bureau. Il faut les écouter.
Un deuxième moyen de résoudre une pénurie de main-d’oeuvre est d’accélérer le programme d’investissement. C’est déjà en route au Québec. On robotise, on automatise, on numérise. De l’automne 2016 à l’automne 2017, on a enregistré un bond de 15 % pour ce qui est du volume d’investissement dans les machines et le matériel de nos entreprises, après quatre années de disette.
Un troisième moyen est de convaincre nos plus vieux employés de retarder leur retraite. Ils le font déjà. Nos 55 à 74 ans sont de plus en plus actifs. Il faut les encourager en leur offrant plus de flexibilité dans le travail et plus de temps partiel, et éviter que le fisc ne vienne aspirer les trois quarts de leurs gains. S’ils travaillaient autant que les Japonais du même groupe d’âge, 260 000 personnes s’ajouteraient au nombre de Québécois actifs. C’est énorme ! À l’autre bout du spectre, il faut pousser nos jeunes à finir leur secondaire au plus jeune âge possible. Rendons l’école obligatoire jusqu’à 18 ans et évitons de les embaucher prématurément. C’est comme pour les homards : afin de préserver l’avenir, il faut laisser les jeunes se développer avant de les pêcher.
Un quatrième moyen est l’immigration. Il serait insensé de chercher à résoudre des pénuries particulières de main-d’oeuvre avec de fortes hausses des quotas généraux d’immigration. Cela aurait pour effet de faire augmenter le chômage déjà élevé des nouveaux arrivants, de monter l’opinion publique contre les immigrants et, en fin de compte, de pousser nos élus à réduire l’immigration de façon draconienne. Vouloir avancer trop vite nous ferait reculer. Par contre, recruter sélectivement des travailleurs étrangers reste une solution pleine de bon sens.
Le cinquième moyen, finalement, est d’investir dans la formation. Nos écoles professionnelles, nos cégeps et nos universités sont là pour maintenir et enrichir les compétences du personnel. La formation continue sécurise, valorise et fidélise les employés, à condition, bien sûr, qu’elle soit ensuite rémunérée de façon adéquate. La productivité, c’est ça.