L’actualité

Des gars, des filles

- PAR NOÉMI MERCIER

Une nouvelle cohorte prépare son entrée à l’université et, cette année encore, les filles seront majoritair­es dans presque toutes les facultés. Elles obtiendron­t, dans l’ensemble, de meilleures notes que les garçons et seront plus nombreuses à terminer leurs études. Parmi les femmes âgées de 25 à 34 ans, 43 % possèdent un diplôme universita­ire, contre seulement 27 % des hommes du même âge, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec.

Ce déséquilib­re — qui n’est pas unique au Québec — suscite à intervalle­s réguliers des cris d’alarme sur le retard scolaire des jeunes hommes et leurs perspectiv­es d’avenir déclinante­s.

Mais avant de conclure à la déroute des garçons, il serait sage de se demander si leurs résultats scolaires se répercuten­t sur leurs débouchés profession­nels, et si la supériorit­é des filles à l’école donne à cellesci une longueur d’avance quand vient le temps de décrocher un emploi.

Ce sont les questions que pose la sociologue Natasha Quadlin, professeur­e à l’Université d’État de l’Ohio, dans une étude publiée en avril dernier dans American Sociologic­al Review. Si on se fie à ses travaux, les jeunes hommes peuvent dormir tranquille­s. Leur place sur le marché du travail n’est aucunement menacée.

La chercheuse a créé de fausses candidatur­es en réponse à 1 053 offres d’emploi véritables, partout aux ÉtatsUnis. À chaque employeur, elle a soumis deux CV fictifs, ceux d’un garçon et d’une fille fraîchemen­t diplômés, en faisant seulement varier leur rendement scolaire. Autrement, les deux profils étaient semblables : même université, mêmes stages et activités parascolai­res, mêmes aptitudes pour les langues et l’informatiq­ue. Puis, la sociologue a attendu les réponses téléphoniq­ues et les convocatio­ns en entrevue d’embauche.

Ce qu’elle a découvert est sidérant. Pour les garçons, les notes ne changeaien­t pas grandchose à leurs chances de recevoir un coup de fil ou un courriel de l’employeur : les cancres s’en tiraient à peu près aussi bien que les plus forts.

Chez les filles, c’était plus complexe. Les étudiantes moyennes étaient certes plus susceptibl­es d’être convoquées en entrevue que les mauvaises. Mais les meilleures étudiantes, celles ayant accumulé une moyenne de A, ont reçu nettement moins d’appels que les filles moins douées qu’elles !

Malgré leur A étincelant, ces diplômées n’ont obtenu de réponses que pour 9 % des emplois auxquels elles avaient postulé. C’est presque deux fois moins que les garçons au rendement scolaire identique (16 %). En fait, c’est même inférieur au taux de succès des garçons les plus faibles (12 %).

Vous avez bien lu: les filles les plus brillantes à l’école ont moins de chances d’être convoquées en entrevue que les gars les plus médiocres.

Pour comprendre ce qui se passe dans la tête des employeurs, Natasha Quadlin a approfondi ses recherches. Elle a fait parvenir ses fausses candidatur­es de finissants à 261 personnes du monde des affaires qui prennent des décisions d’embauche dans leur entreprise. Pour chaque CV, les répondants devaient dire s’ils seraient prêts à convoquer la personne en entrevue. Ils devaient aussi évaluer ses traits de caractère.

Plus ils trouvaient un jeune homme compétent et dévoué sur le papier, plus ils étaient enclins à lui faire passer un entretien. Mais cette logique ne tenait pas pour l’autre sexe. Pour juger du potentiel d’une fille, les recruteurs tenaient compte d’une seule et unique dimension: son amabilité. Plus une candidate leur paraissait, sur le papier, agréable, sincère et sensible, plus ils étaient disposés à lui donner sa chance. Ni son savoir-faire ni son ardeur au travail n’entraient dans l’équation.

Les choses se sont clarifiées davantage lorsque la sociologue a demandé aux répondants d’expliquer leur décision en quelques lignes.

Pour justifier leur rejet des filles les plus performant­es, les recruteurs exprimaien­t des réserves sur leurs qualités humaines : à leurs yeux, ces étudiantes modèles semblaient « trop confiantes», «pas vraiment chaleureus­es », « hautaines ». À l’inverse, ils citaient toutes sortes d’excuses pour justifier de convoquer un garçon malgré ses piètres résultats — « ses notes laissent à désirer, mais il était impliqué à l’école. Il pourrait être motivé à devenir un très bon employé », par exemple.

C’est dire qu’encore aujourd’hui les jeunes femmes se butent à un monde qui donne volontiers le bénéfice du doute aux plus médiocres des hommes, mais qui leur refuse, à elles, le mérite pour ce qu’elles ont objectivem­ent accompli. Un monde qui, trop souvent, perçoit leur intelligen­ce comme de la froideur et de l’arrogance. Un monde qui valorise leur gentilless­e plus que leur compétence.

Plus une candidate leur paraissait, sur le papier, agréable, sincère et sensible, plus les recruteurs étaient disposés à lui donner sa chance. Ni son savoir-faire ni son ardeur au travail n’entraient dans l’équation.

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