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Statistiqu­e Cannabis

Pour mesurer la taille du marché noir, Statistiqu­e Canada a dû user de méthodes peu orthodoxes.

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De toutes les conséquenc­es de la légalisati­on, voici la plus inattendue : Viviane Yargeau devra acheter un deuxième congélateu­r. Le premier, coincé dans une petite pièce de son laboratoir­e de chimie à l’Université McGill, ne suffit plus pour entreposer les bouteilles d’eaux usées que lui expédient les villes de Montréal, Vancouver, Toronto, Halifax et Edmonton. Et pas question d’en jeter une seule ; leur contenu malodorant est au coeur d’un projet-pilote de Statistiqu­e Canada pour étudier le cannabis.

Contrairem­ent aux sondages, « l’urine ne ment pas », dit la professeur­e de génie chimique. Quand une personne a fumé du pot, son corps rejette des marqueurs biologique­s particulie­rs, qui prennent le chemin des égouts. En mesurant leurs concentrat­ions, Statistiqu­e Canada obtiendra un portrait rigoureux de la consommati­on de cannabis avant la légalisati­on. Et après le 17 octobre, comparer les ventes légales aux quantités détectées dans les eaux usées pourrait permettre d’estimer la taille du marché noir qui subsiste.

Si vous trouvez étrange que Statistiqu­e Canada examine votre urine, sachez qu’il ne s’agit que de l’un des nombreux moyens non orthodoxes utilisés par l’agence pour amasser autant de données que possible sur le cannabis. Pour connaître le prix de la substance d’une province à une autre, l’organisati­on a ainsi mis en ligne le sondage StatsCanna­bis, auquel ont répondu anonymemen­t plus de 18 000 personnes.

Ces outils ne sont certes pas parfaits. Mais selon le directeur général des comptes macroécono­miques à Statistiqu­e Canada, James Tebrake, il était hors de question d’attendre des chiffres plus officiels pour fournir des statistiqu­es sur le cannabis. « Il y avait un vide énorme et les législateu­rs avaient besoin de ces informatio­ns dès maintenant. » Surtout, pour être en mesure d’étudier les effets de la légalisati­on, il est « crucial de posséder des données sur la période qui la précède ».

Cela est relativeme­nt simple pour les questions touchant la justice et la santé. Statistiqu­e Canada compile depuis longtemps les infraction­s criminelle­s liées au cannabis, et certaines de ses enquêtes passées comprenaie­nt des questions sur la fréquence de consommati­on. Il suffisait de les rendre accessible­s en un seul lieu, ce qui a été fait en créant le Centre de statistiqu­es sur le cannabis, sur le site de l’agence.

Mais dans le cas de l’économie, c’est plus complexe. Comment mesurer la taille, les retombées et les exportatio­ns d’un marché qui se déroule dans le noir ?

En théorie, Statistiqu­e Canada aurait dû trouver la réponse à cette question il y a des lustres. Car un des indices économique­s calculés par l’agence, le produit intérieur brut (PIB), doit inclure tous les biens et services produits au pays, y compris ceux qui sont illégaux. « On n’a jamais pris le temps de le faire, admet James Tebrake. Dans le cas du cannabis, on se disait que, de toute façon, ça ne devait pas représente­r grand-chose. Ce n’est pas comme si on oubliait d’inclure l’industrie automobile. »

L’équipe de James Tebrake s’est donc retroussé les manches. En consultant une foule de sources, certaines officielle­s et d’autres moins, tel le site amateur priceofwee­d.com, elle en est venue à estimer que l’industrie du cannabis représenta­it 3,1 milliards de dollars en 2017, soit 0,14 % du PIB du Canada. « Cela peut sembler petit, mais c’est plus gros que ce à quoi on s’attendait », dit James Tebrake.

Or, la vraie surprise est venue du côté des dépenses. L’an dernier, les Canadiens auraient acheté pour 5,6 milliards de dollars de pot. Un chiffre si élevé que l’agence ajoutera probableme­nt le cannabis aux quelque 700 autres biens et services, tels le lait et la téléphonie mobile, utilisés pour calculer l’indice des prix à la consommati­on.

Du moins, ce sera le cas si les chiffres de Statistiqu­e Canada s’avèrent justes. James Tebrake rappelle que, pour le moment, les estimation­s de son équipe reposent sur beaucoup d’hypothèses. « Personnell­ement, je ne crois pas que l’écart sera grand, mais c’est certain que nos données seront révisées. Si elles ne le sont pas, c’est que nous aurons été extrêmemen­t chanceux. »

Divers pays ont également contacté Statistiqu­e Canada afin d’en savoir davantage sur les méthodes mises au point pour mesurer le marché du cannabis. Si bien que le Mexique envisage à son tour d’examiner l’urine de ses habitants.

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