Le Québec est sur la corde raide.
Au boulot, le patron en demande plus, mais le salaire ne suit pas.
À la maison, avec les enfants, c’est la course du lever au coucher. Et il y a papa et maman qui prennent de l’âge et dont la santé fragile requiert davantage d’attention.
Aux nouvelles, les manchettes sur la pénurie de main-d’oeuvre et la bonne tenue de l’économie s’enchaînent, mais dans la vie quotidienne, la majorité des Québécois ne le ressentent pas. L’inquiétude prend toute la place. Selon un sondage Angus Reid publié le 1er août dernier, 60 % des Québécois affirment qu’il est de plus en plus difficile de maintenir le rythme de vie de la classe moyenne dans leur collectivité.
De l’inquiétude à l’angoisse, puis de la frustration à la colère, la palette des sentiments est vite franchie. Ce n’est pas propre au Québec. Tout l’Occident est dans le même bateau. La planète change rapidement, les frontières physiques et numériques sont plus poreuses que jamais. Les repères s’effondrent. Dans cet inconfort prend racine le populisme. Les gens cherchent des solutions. Et l’attrait de la simplicité à l’ère du manque de temps ne se dément pas, même si les problèmes sont souvent complexes.
De bains de foule en porteà-porte, les politiciens en campagne électorale reçoivent le message haut et fort. Un cri de détresse qu’il vaut mieux tenter de comprendre que de repousser.
Depuis une vingtaine d’années, le Québec a beaucoup changé. En 1996, Internet était une étrange bibitte, la délocalisation des usines en était à ses balbutiements, les camps du Oui et du Non digéraient le résultat serré du référendum et Jean Charest était encore un politicien fédéral ! C’est dire.
Pendant ces deux décennies, sans trop s’en rendre compte, certaines circonscriptions du Québec ont vu le sort de leurs habitants s’améliorer de manière spectaculaire, alors que d’autres souffrent, négligées par les médias et les autorités.
Lesquelles ? Où se retrouve le Québec des oubliés ? Celui qui va mal et dont le prochain gouvernement devra s’occuper ? En revanche, quelles circonscriptions ont décollé et prospéré ?
En contexte électoral, ce n’est pas une information anodine. La santé économique et sociale d’une collectivité dicte les enjeux locaux : des villages ferment des écoles, faute de jeunes, alors que d’autres, en croissance, doivent les loger dans des roulottes temporaires, faute de places. Dans certains coins de la province, la fréquentation des banques alimentaires grimpe, alors qu’ailleurs c’est la valeur des logements qui bondit.
Au moment de faire leur choix dans l’isoloir, le 1er octobre prochain, les électeurs seront nombreux à se demander : est-ce que ça va mieux chez moi, dans mon coin, depuis quelques années ?
Pour en avoir un portrait plus clair, L’actualité a analysé les données socioéconomiques de chaque circonscription du Québec depuis 20 ans, afin d’en mesurer le déclin ou la progression.
Nos 14 données baromètres ont réservé des surprises. Qui aurait prédit que Bertrand, au milieu des magnifiques montagnes des Laurentides, avec ses lacs bordés de chalets valant parfois des fortunes, est la circonscription qui s’est le plus détériorée depuis
20 ans ? Elle forme, avec ses voisines de Saint-Jérôme (122e) et d’Argenteuil (119e), un secteur où de manière générale les habitants n’ont pas vu leur niveau de vie progresser à la vitesse de celui du reste du Québec. Dans cette « troisième banlieue de Montréal », après Laval et la couronne nord, la tension augmente depuis deux décennies.
En revanche, les quartiers jadis populaires qui s’embourgeoisent, comme Mercier, Sainte-Marie– Saint-Jacques, Gouin et HochelagaMaisonneuve, à Montréal, et Taschereau, à Québec, ont connu une formidable progression de leur niveau de vie — oui, lecteurs attentifs, ce sont les circonscriptions détenues par Québec solidaire ou que le parti souhaite conquérir dès cette année.
De manière générale, la grande banlieue autour de Montréal et de Québec s’en tire très bien, et Soulanges, à l’ouest de la métropole, enregistre la plus forte progression de son niveau de vie depuis 1996.
Croiser les données sociodémographiques avec les intentions de vote révélées par les sondages dans les
125 circonscriptions permet de constater que les endroits qui traînent la patte depuis 20 ans ont davantage de chances de changer de couleur politique le 1er octobre.
Sur les 31 circonscriptions qui vont le moins bien, 50 % pourraient changer de parti à la fin de la campagne. À l’inverse, parmi les 31 circonscriptions qui se portent mieux depuis 20 ans, seulement six députés sortants (19 %) sont en danger au moment d’écrire ces lignes, début septembre.
Est-ce un hasard ? Est-ce que la précarité de leur collectivité depuis quelques années incite les citoyens à regarder ailleurs, à la recherche d’une nouvelle offre politique ? Difficile de trancher avec certitude.
Ce Québec sous tension, dont les électeurs se situent un peu partout sur le territoire, souhaite-t-il une rupture politique ? Un grand changement pour voir si son cri recevra plus d’écho avec un autre parti au pouvoir ? Ou, dans l’instabilité ambiante d’une vie qui roule à cent à l’heure, préférera-t-il, à bien y penser, un peu de stabilité, quitte à étouffer sa colère ? La réponse le 1er octobre.