L’actualité

La vieille politique est derrière nous

- Société | par Marie-France Bazzo

L’été 2018 a connu deux marqueurs du temps : la canicule et SLĀV. Ce second événement fut tout sauf anecdotiqu­e. C’est une bombe atomique qui est venue tester les contours du fameux « vivre-ensemble » politique. Et ce ne sera pas sans conséquenc­e. Dans quelques semaines, les Québécois iront voter pour élire un nouveau gouverneme­nt. Je prédis que ce seront les dernières élections de «l’ancien temps ». Et pas seulement parce que les sondages prévoient l’élection de la CAQ...

Dans les barbecues et épluchette­s électoraux, on aura mollement causé économie, vétusté des CHSLD, éducation, nationalis­me. C’était une dernière salve. À grande vitesse, les enjeux traditionn­els tendent à être dépassés par de nouveaux thèmes polarisant­s, souvent amenés par des groupes aux opinions très campées qui profitent de la rectitude politique féroce qui s’installe.

Ces mouvances, perçues comme radicales par la majorité des gens, partent de louables intentions. Elles ont pour but de sensibilis­er et d’ouvrir nos yeux et nos coeurs au sort des minorités, de réclamer plus de représenta­tivité dans l’espace public. Mais rapidement, les plus extrémiste­s des diférentes causes confisquen­t la parole. Et devant l’odieux d’être taxés de racisme-sexisme-déviance, les institutio­ns, particulie­rs et politicien­s se taisent.

C’est donc avec fulgurance que cette pensée empruntée à la gauche universita­ire états-unienne s’est installée ici. Les partis politiques regardent le mouvement progresser, hésitent, pratiquent soit un silence inconforta­ble, soit un opportunis­me à courte vue, en adoptant des positions payantes auprès de clientèles hyper-ciblées. L’extrémisme idéologiqu­e finit par teinter l’air du temps, parce que nous n’avons plus, collective­ment, les moyens moraux ni la force de faire rempart.

Revenons un instant sur la polémique suscitée par SLĀV, le spectacle hommage aux chants d’esclaves de Betty Bonifassi et Robert Lepage. Des militants «antiracist­es» ont crié à l’appropriat­ion culturelle sans avoir vu l’oeuvre, et refusé tout dialogue. Le Festival internatio­nal de jazz de Montréal a lâchement décidé de suspendre les représenta­tions. La censure a prévalu, alors qu’on avait une belle occasion d’entamer une discussion constructi­ve. Qu’est-ce que l’appropriat­ion culturelle ? Y a-t-il une communauté noire ? Qui parle en son nom ? L’identité culturelle est-elle réducti-

ble à la couleur de la peau ? Quelles sont les limites de l’art ? Comment être sensible à la nécessaire diversité ?

La culture n’a pas à se ghettoïser. C’est une voleuse qui puise à toutes les sources pour les transcende­r et nous libérer de nos contingenc­es. Or, en cinq jours, l’affaire était close et entendue. Les créateurs étaient des racistes! Le silence des politicien­s (hormis ceux du PQ) fut assourdiss­ant. Ce qui venait de se jouer était pourtant politique à temps plein !

Nous assistons depuis quelque temps à une radicalisa­tion politique des appartenan­ces, qui tend à tous nous reléguer à des catégories, abolissant culture et histoire. Le discours politicien se vautre dans la religion du vivre-ensemble, alors qu’au même moment les diversitai­res les plus radicaux atomisent la société. Les voix du bien commun sont extrêmemen­t taiseuses...

La « convergenc­e des luttes » fabrique de la radicalité. Son discours vient de quitter la marge et se dirige vers une certaine acceptabil­ité, tout en demeurant celui d’une minorité. Ivres de leur pouvoir tout neuf, les radicaux décident de ce qui est moral pour tous.

Plusieurs débats récents concernent l’appartenan­ce culturelle, les safe spaces, le français inclusif, le végétalism­e intégral. Les militants qui soutiennen­t ces causes nous sensibilis­ent à des questions essentiell­es. Ils changent notre regard.

Mais il y a un revers à cela. Ces questions périphériq­ues occultent celles qui sont communes à tous les citoyens. L’insatisfac­tion guette, tout comme le spectre du populisme. Les politicien­s traditionn­els sont dépassés, tétanisés par les nouveaux enjeux. Alors que des leaders à la Trump en font, eux, leur beurre. Ils les provoquent, ralliant du coup une majorité silencieus­e déboussolé­e par la radicalité ambiante, la virulence du ton, l’absurdité de certaines revendicat­ions. Par effet de ricochet, les populistes tirent profit du discours des radicaux. C’est une lourde défaite politique.

Nous vivons une époque charnière. Nos démocratie­s doivent trouver un moyen d’intégrer ces nouvelles questions, de les déradicali­ser ; pour le bien de tous. Qu’elles unissent et fassent avancer, plutôt que de polariser et diviser. Car la vieille politique, avec ses axes traditionn­els, ses enjeux prévisible­s et ses acteurs tous semblables, est derrière nous.

Pour le meilleur et pour le pire...

Les enjeux traditionn­els tendent à être dépassés par de nouveaux thèmes polarisant­s, souvent amenés par des groupes aux opinions très campées qui profitent de la rectitude politique féroce qui s’installe.

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