Parité de façade
On y est ! Si la tendance se maintient, il y aura presque autant de femmes que d’hommes candidats aux élections du 1er octobre. Les principaux partis sont en position d’atteindre — voire de dépasser — les 40 % de candidatures féminines généralement acceptés comme seuil de la parité. Du jamais-vu au Québec.
Or, ce n’est pas parce que plus ou moins la moitié des candidatures sont féminines que la moitié des élus seront des femmes. Encore faut-il qu’elles aient des chances raisonnables de l’emporter dans la circonscription qui leur est confiée. Sans quoi, les partis pratiquent une parité de façade.
Des chercheurs et des journalistes ont justement constaté, au RoyaumeUni et en France, que les partis relèguent plus souvent leurs candidates à des circonscriptions perdues d’avance, tandis qu’ils réservent plus volontiers aux hommes les forteresses où leur victoire est assurée.
Au Canada, les données sont contradictoires. On sait qu’aux scrutins fédéraux de 2008 et de 2011, les femmes ont eu moins de chances que les hommes d’hériter d’une circonscription acquise à leur parti, et plus de risques d’atterrir dans le bastion d’un adversaire. C’était le cas tant au Parti conservateur qu’au Parti libéral et au NPD… mais pas au Bloc québécois, selon les travaux de deux politologues, publiés en 2013 dans Electoral Studies.
En revanche, Manon Tremblay, de l’Université d’Ottawa, est arrivée à une autre conclusion lorsqu’elle a examiné les élections québécoises de 1976 à 2003. Dans un article paru dans la Revue suisse de science politique, elle affirme que les candidates féminines, dans l’ensemble, n’ont pas écopé de circonscriptions plus périlleuses.
Dans un récent dossier, RadioCanada a également conclu que depuis les années 1990, au Québec, les hommes et les femmes ont la même probabilité d’être élus. Le journaliste Naël Shiab n’a pas tenu compte de la difficulté des luttes électorales, mais ses résultats laissent penser que les deux sexes ont eu droit à des conditions tout aussi favorables. Du moins jusqu’à présent.
J’ai donc mené mon propre examen des candidatures aux élections d’octobre. (Au moment d’écrire ces lignes, la quasi-totalité d’entre elles avaient été annoncées.) Cette analyse révèle que les efforts des partis pour atteindre la parité, quoique honorables, sont encore déficients.
Pour chaque parti, j’ai calculé le pourcentage de candidats et de candidates déjà couronnés, c’est-à-dire qui
se présentent dans des circonscriptions qu’ils sont à peu près sûrs de remporter. Ces circonscriptions sont celles où la probabilité de victoire de leur parti est supérieure à 95 %, en date du 30 août, selon la projection électorale de Qc125.
J’ai aussi compté, pour chaque formation, la proportion d’hommes et de femmes sacrifiés, soit ceux qui font campagne dans des circonscriptions où, selon Qc125, un parti adverse a plus de 95 % de chances de gagner.
Tous partis confondus, on constate que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans les circonscriptions casse-gueule, et moins présentes qu’eux dans les circonscriptions facilement gagnables. Mais certaines formations s’en tirent mieux que d’autres.
À Québec solidaire, les causes perdues sont à peu près réparties également entre les hommes et les femmes. Même chose au PQ, bien que ce bilan puisse fluctuer légèrement, étant donné le nombre de circonscriptions qu’il lui reste à attribuer.
Le PLQ fait à la fois bonne et mauvaise figure : il y a proportionnellement plus de femmes que d’hommes dans les meilleures circonscriptions libérales, mais il y a aussi plus de femmes que d’hommes dans les pires. En effet, près de la moitié des aspirantes de ce parti, mais à peine plus du quart des aspirants, semblent se destiner à l’abattoir.
C’est à la CAQ que le déséquilibre est le plus criant. Les candidates sont deux fois et demie moins nombreuses (18 %) que les candidats (46 %) à pouvoir profiter d’une forteresse. Pendant ce temps, seulement 7 % des hommes, mais 35 % des femmes (cinq fois plus !), doivent livrer un combat voué à l’échec.
Quelles que soient les raisons qui expliquent cet état de fait — manque de stratégie ? marge de manoeuvre insuffisante ? discrimination pure et simple ? —, les conséquences pourraient être désolantes.
Si, à l’issue du scrutin, la proportion d’élues est inférieure à la proportion de candidates, on sera tenté de conclure que l’électorat est réticent à voter pour des femmes ou que celles-ci n’ont pas ce qu’il faut pour bagarrer. Un tel dénouement pourrait décourager les femmes de se présenter aux élections et les organisateurs politiques de les recruter. Alors qu’en réalité les candidates n’ont pas eu la même chance d’accéder au pouvoir que les candidats.