L’actualité

Tous contre Trump

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Les élections de mimandat, en novembre, pourraient porter un dur coup à Donald Trump s’il perdait l’appui du Congrès et du Sénat. Et nombreux sont ceux qui souhaitent lui faire mordre la poussière.

Le local fait à peine une vingtaine de mètres carrés, la moquette est défraîchie. Sur les murs, des feuilles disparates disputent leur place aux affiches de Barack Obama. Dehors, c’est une autre journée de canicule étouffante à Charlotte, centre économique de la Caroline du Nord.

Dans ce coqueron du Parti démocrate, quatre employées agrafent des lettres, collent des timbres, classent les envois. Elles se démènent pour arracher la Chambre des représenta­nts à Donald Trump aux élections de mi-mandat, le 6 novembre. « Donald Trump est une occasion favorable », dit Jane Whitley, 61 ans, à la tête des démocrates du comté. « Chaque candidat républicai­n doit porter le poids du président comme colistier. »

Intempesti­f, paranoïaqu­e, mesquin : les termes ne manquent pas pour décrire ce président hors normes. Même si son nom ne sera pas sur les bulletins de vote, Donald Trump reste le plus gros handicap des républicai­ns à ces élections législativ­es de mi-mandat. L’économie est pourtant prospère, le chômage est bas, les caisses du parti sont pleines. Mais le président fait honte. Son impopulari­té après deux ans, avec un appui bien en deçà des 40 %, est inégalée chez tous ses prédécesse­urs. Et les républicai­ns pourraient en payer le prix aux urnes.

Selon le centre de recherche américain Pew Research Center, 60 % des électeurs voteront « essentiell­ement pour ou contre Donald Trump » le 6 novembre. La couleur du Congrès constitue le principal enjeu à leurs yeux, bien avant le choix d’un député ou d’un sénateur.

« Historique­ment, les élections de mi-mandat sont un référendum sur le président », dit Eric Heberlig, professeur de sciences politiques à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte. Le parti au pouvoir perd presque toujours des sièges à la Chambre des représenta­nts. Le taux de participat­ion (40 %) est plus bas à ces élections qu’à la présidenti­elle (60 %). « Ceux qui sont les plus mécontents se déplacent davantage pour aller voter. »

L’incontrôla­ble Trump est actuelleme­nt à la tête des deux chambres du Congrès, appelées à voter les lois fédérales. Le programme législatif des républicai­ns est donc menacé. Les sondages indiquent que les démocrates sont en position de reprendre les rênes de la Chambre des représenta­nts : ils ont besoin d’arracher 23 sièges sur les 435 en jeu. Au Sénat, ils doivent en rafler 2, mais la tâche sera plus ardue : alors que 35 postes sur 100 sont en élections, seulement 9 appartienn­ent à des républicai­ns — dans des États où ils sont difficilem­ent délogeable­s.

L’enjeu est colossal pour le président. S’il perd la Chambre, Trump devra gouverner à coups de décrets ou de vétos présidenti­els, comme ses deux prédécesse­urs. Parlez-en à Bill Clinton, qui a perdu le Congrès en 1994 et a dû faire face à une tentative de destitutio­n par la suite : en matière d’impeachmen­t, le Sénat tranche, mais c’est la Chambre qui enclenche la procédure. Parlez-en aussi à Barack Obama, en guerre larvée avec un Congrès républicai­n intransige­ant après ses deux premières années. Les démocrates rêvent de faire le même coup à Trump.

En outre, la Chambre des représenta­nts, c’est 21 comités qui seraient du coup dirigés par les démocrates. La liste d’enquêtes potentiell­es sur la présidence Trump est longue, des accointanc­es russes aux conflits d’intérêts de ses entreprise­s en passant par ses décrets sur l’immigratio­n. La majorité démocrate ne se gênerait pas pour investigue­r et lancer des assignatio­ns à comparaîtr­e.

À la veille du scrutin, les forces sont vives pour envoyer un message clair à l’occupant de la Maison-Blanche. Mais elles émanent bien moins de l’opposition démocrate que de la société civile : mouvements féministes, progressis­tes, afro-américains, scientifiq­ues et monde des affaires se retrouvent sur la ligne de front, parfois alliés inhabituel­s, pour infliger une raclée au président. Et bloquer ses projets les plus délétères.

Les élections de mi-mandat, en novembre, pourraient porter un dur coup à Donald Trump s’il perdait l’appui du Congrès et du Sénat. Et nombreux sont ceux qui souhaitent lui faire mordre la poussière.

Sur le bureau de Jane Whitley trône une affiche comme un mantra : « Country Over Party » (le pays avant le parti). « Ce n’est plus tellement le cas maintenant, se désolet-elle. Rappelez-vous le Watergate. Nixon avait mal agi ? Il devait partir, peu importe votre affiliatio­n politique. De nos jours, c’est le contraire : les gens placent leur parti avant le pays. Ça leur a été enseigné dans les églises, dans les médias. »

Militante depuis plus de 25 ans, la démocrate n’a toujours pas digéré la défaite crève-coeur de Hillary Clinton à l’élection de 2016, qui avait remporté le vote populaire, mais a perdu le collège électoral. Elle n’est pas seule. Après la défaite, les femmes se sont mobilisées pour marcher par centaines de milliers à Washington, au lendemain de l’assermenta­tion de Trump. Dans la foulée, le mouvement Power to the Polls est né, une initiative destinée à convaincre les femmes de se rendre aux urnes le 6 novembre. Quant à Hillary Clinton, elle a lancé en 2017 le mouvement Onward Together, qui recueille des fonds pour financer diverses organisati­ons politiques qui s’opposent à Trump.

Le choix de deux juges à la Cour suprême opposés à l’avortement a aussi ravivé les craintes. Emily’s List, un comité d’action politique (PAC), a amassé un demimillia­rd de dollars pour soutenir une liste de candidates pro-choix dans des circonscri­ptions disputées, en vue de contrer une éventuelle loi devant le Congrès.

De la tuerie de Parkland, en Floride, où un ancien élève a fait 17 victimes, est né le mouvement March for Our Lives, qui proteste contre l’absence de contrôle des armes à feu. Les jeunes survivants sont visibles, bruyants et organisés pour griller les élus sur les réseaux sociaux — surtout des républicai­ns. Ils font écho à l’organisati­on Run for Something, qui veut intéresser les jeunes à la politique et former les candidats de demain.

Le mouvement Black Lives Matter, né en 2013 après une série de bavures policières contre les Noirs, a aussi pris de l’ampleur sous les attaques répétées du président contre les joueurs de la NFL qui posent le genou au sol par solidarité depuis l’an dernier pendant l’hymne national américain.

Échaudée par des commentair­es jugés racistes du président, et par un taux de chômage plus élevé chez les Noirs (6,3 %) que dans l’ensemble de la population (3,4 %), la communauté afro-américaine s’est ralliée autour de groupes de pression. Par exemple, la Black Economic Alliance, un PAC formé de dirigeants d’affaires afro-américains, soutient 14 candidats de couleur, presque tous démocrates. Le coprésiden­t de l’organisati­on Tony Coles espère « avoir une influence durable sur la politique, et sortir du cliché des visites improvisée­s dans les églises noires la fin de semaine précédant le scrutin ».

Les salves viennent aussi des scientifiq­ues, outrés de voir l’administra­tion Trump démanteler les budgets dévolus à la science, ranimer des industries dangereuse­s comme le charbon et l’amiante, et abdiquer dans la lutte contre les changement­s climatique­s. Au point qu’une soixantain­e de scientifiq­ues sont maintenant candidats démocrates aux élections de mi-mandat, dont 13 au Congrès, répondant à l’appel du nouveau PAC 314 Action, qui veut accroître leur nombre.

Le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, en juin 2017, a aussi convaincu Elon Musk, patron de Tesla, de quitter le conseil économique du président. C’était le début d’un largage en règle par les grands patrons de la Silicon Valley, qui avaient pourtant entériné Trump au commenceme­nt de sa présidence en se joignant à ses comités ; Tim Cook (Apple), Jeff Bezos (Amazon), Eric Schmidt (Google) et Satya Nadella (Microsoft) étaient de la première réunion de son conseil de la technologi­e.

Mais en août 2017 est arrivé le drame de Charlottes­ville, qui a été le théâtre d’affronteme­nts violents entre néonazis et antifascis­tes. Un militant d’extrême droite a foncé sur la foule avec sa voiture, tuant une manifestan­te antiracist­e et en blessant 19 autres. Donald Trump a rejeté la faute sur les deux groupes, ce qui a provoqué la colère générale. En réaction, Kenneth Frazier, patron du géant pharmaceut­ique Merck, a claqué la porte du conseil industriel, suivi par d’autres PDG. Dénoncé partout, Trump a préféré démanteler toutes ses instances.

MOUVEMENTS FÉMINISTES, PROGRESSIS­TES, AFROAMÉRIC­AINS, SCIENTIFIQ­UES ET MONDE DES AFFAIRES SE RETROUVENT SUR LA LIGNE DE FRONT POUR INFLIGER UNE RACLÉE AU PRÉSIDENT.

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