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Le coeur de la campagne

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Avant le débat du 13 septembre, la CAQ a acheté pas moins de 100 000 combinaiso­ns de mots-clés sur Google, allant de « PLQ », « Couillard » et « Lisée » jusqu’à « Québec province » en passant par « allocation famille » et « maison des aînés ».

DDans le centre nerveux des opérations de la CAQ, près du pont Victoria, les cravates et le moral sont en berne. Le marathon électoral en est au tiers de la distance et les derniers jours ont été difficiles.

Le parti a été embarrassé par plusieurs controvers­es : le président de la formation, Stéphane Le Bouyonnec, a démissionn­é avant d’être la cible de publicités négatives du PLQ portant sur son passé d’entreprene­ur ; le député Éric Caire a dû expliquer sa cosignatur­e pour un prêt consenti par un maire de sa circonscri­ption ; et le candidat dans SaintJean, Stéphane Laroche, propriétai­re de bar, a dû être remplacé après la découverte de démêlés avec la Régie des alcools et d’infraction­s à la Loi sur l’équité salariale.

En tête des sondages depuis des mois, le parti de François Legault est la seule cible des recherchis­tes d’élite des autres partis, dont l’équipe « InTact » du PLQ, qui fouillent les moindres recoins du Web et sillonnent les circonscri­ptions à la recherche d’informatio­ns compromett­antes. Ils sont à l’origine des controvers­es médiatique­s sur les candidats de la CAQ. « Le PQ ne s’occupe plus des libéraux et les libéraux ne s’occupent plus du PQ. Toutes leurs ressources sont consacrées à nous ! » s’exclame Stéphane Gobeil, directeur des communicat­ions de la campagne caquiste.

Barbe poivre et sel de quelques jours et chemise bleue à moitié sortie des jeans, Stéphane Gobeil, 50 ans, encaisse les coups. Il a beau en avoir vu d’autres — il en est à sa 10e campagne, toutes au sein du Bloc québécois et du PQ —, les sondages internes montrent que la CAQ a perdu tout le terrain gagné depuis le début de la campagne. « Si tu savais le nombre de bombes qu’on a désamorcée­s. Nos adversaire­s ont donné plein de faux tuyaux aux journalist­es. »

Au siège opérationn­el des libéraux, quelques rues plus loin, on se frotte les mains. La mission de déstabilis­ation des candidats de la CAQ s’est bien déroulée. « On a des gens d’expérience ici, on sait comment faire et quand », dit simplement Hugo Delorme, assis dans son petit bureau, le sourire aux lèvres en ce jeudi ensoleillé de septembre. Le PLQ, deuxième dans les intentions de vote, souhaitait désorien ter son adversaire. « Avant que les électeurs reviennent vers nous, il faut fragiliser leur opinion. C’est à ça que servent les opérations négatives. Le moment de la séduction n’est pas encore arrivé, ça viendra à la fin », déclaretil, confiant.

Le PLQ souhaite forcer François Legault à sortir de sa zone de confort. Le chef de la CAQ se débrouille bien lorsqu’il est à l’offensive, mais beaucoup moins lorsqu’il doit se défendre. « Il n’est pas solide, il faut le provoquer un peu », lance le directeur de la campagne libérale. D’où les sorties des candidates Marwah Rizqy et Christine StPierre sur le présumé « sexisme » de François Legault. Une attaque toutefois trop appuyée, où le chef de la CAQ a été comparé à Donald Trump. « Les commentate­urs ont dit que c’était du salissage et de la panique. Ça ne nous a pas aidés », convient Hugo Delorme.

Dans les locaux électoraux du Parti québécois, près de la tour de RadioCanad­a, à l’est du centrevill­e de Montréal, on mise plutôt sur l’inquiétude du monde agricole, alors que se négocie à Washington la nouvelle mouture de l’Accord de libreéchan­ge nordaméric­ain (ALENA). Les stratèges estiment que cet enjeu est important dans 40 circonscri­ptions sur 125. Le PQ concocte une publicité ciblée où l’on aperçoit une vache, avec le slogan « Soyons ferme », un jeu de mots destiné aux producteur­s laitiers, mais aussi à ceux qui s’intéressen­t aux produits du terroir et qui privilégie­nt la nourriture locale.

En ce mercredi matin 5 septembre, l’équipe de communicat­ion de Yanick Grégoire prépare la suite de l’opération, qui a déjà atteint près de 100 000 personnes sur Internet. Le PQ enverra des vidéastes et des photograph­es à la manifestat­ion des jeunes agriculteu­rs prévue le lendemain à Montréal, devant les bureaux du premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Des partisans du PQ y seront, avec des chandails et des pancartes aux couleurs du parti. « On ne fait pas la manif à leur place, mais il faut être visibles», explique Yanick Grégoire à son groupe de jeunes soldats numériques. Les photos et vidéos de la manif seront envoyées aux mêmes électeurs ciblés sur le Web afin de montrer que le PQ passe de la parole aux actes dans la défense de leurs intérêts.

Quelques jours plus tard, la tempête semble passée à la CAQ. Le retour de la vedette économique Christian Dubé, député de Lévis de 2012 à 2014, devenu premier viceprésid­ent de la Caisse de dépôt, et le décollage du débat sur l’immigratio­n ont permis au parti de remonter auprès de l’électorat francophon­e, vital lors de toutes les élections. « On a montré qu’on a du ressort, qu’on ne se laissera pas abattre », dit Stéphane Gobeil, de nouveau souriant.

La réunion de l’équipe de pointage de la CAQ du lundi 10 septembre, dirigée par l’organisatr­ice en chef Brigitte Legault, témoigne d’une confiance tranquille. Les milliers d’appels effectués chaque jour dans la province pour sonder les sympathisa­nts signalent que la situation s’est stabilisée. « Pour l’instant, ça va bien aux endroits où ça doit bien aller », explique-t-elle à son équipe de quatre personnes, en parlant des « comtés A » — les 26 circonscri­ptions cruciales pour l’emporter le 1er octobre, situées dans la banlieue de Montréal et dans les régions de Québec, de l’Estrie et de la Mauricie.

Les libéraux prennent néanmoins un malin plaisir à jouer dans la tête des stratèges de leurs adversaire­s. Début septembre, un organisate­ur du PLQ a mis la main sur la première publicité télé de la CAQ, quelques jours avant sa mise en ondes. On y voit un train qui franchit un passage à niveau et des gens qui le regardent passer : un agriculteu­r, une mariée, un jeune couple…

Rapidement, le PLQ reprend le concept et produit une publicité destinée au Web, où l’on voit le « train libéral de la prospérité » qui circule entre monts et vallées, avec les images d’un agriculteu­r, d’une mariée et d’un jeune couple, dans le même ordre que la publicité de la CAQ ! Pour être en mesure de sortir sa publicité 24 heures avant l’autre camp, le PLQ a acheté des images tournées à l’étranger par des agences. « La guerre psychologi­que est importante pendant une campagne. On voulait qu’ils doutent, qu’ils se demandent comment on a eu accès à leur pub. Est-ce qu’ils ont une taupe à l’interne ? » s’amuse Hugo Delorme.

Mathieu Noël, 33 ans, directeur du volet numérique de la campagne de la CAQ, a grimacé en voyant que le PLQ avait copié la publicité du parti. « J’imagine qu’un acteur ou un technicien a laissé filtrer notre concept aux libéraux. Ça arrive », dit-il en haussant les épaules. La CAQ a répliqué en accusant le PLQ de ne pas avoir embauché des comédiens québécois dans sa pub, ce qui a valu un article négatif pour le parti de Philippe Couillard dans Le Journal de Montréal. « On n’allait pas rester les bras croisés ! » lâche Mathieu Noël en riant.

La bataille entre les deux partis de tête s’intensifie à mesure que la campagne progresse. Quelques jours avant le premier débat des chefs, la CAQ lance une opération de marketing pour séduire un électorat généraleme­nt favorable aux libéraux : les gens qui valorisent la sécurité publique. Dans une publicité diffusée sur Facebook auprès des policiers, des pompiers, des militaires, des agents de sécurité, ainsi que de leurs familles, la CAQ fait valoir son candidat dans Vachon, sur la Rive-Sud, Ian Lafrenière, ancien porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal. Il y figure avec cette formule : « Le respect de la loi et de l’ordre, c’est important. Ça prend quelqu’un qui le comprend. » Le succès est immédiat : 194 000 personnes verront le message en quelques jours.

Moment fort de la campagne, le premier débat télévisé des chefs approche. La bagarre à l’écran se jouera aussi en coulisses, où les machines politiques s’apprêtent à appuyer leurs chefs.

La CAQ a acheté pas moins de 100 000 combinaiso­ns de mots-clés sur Google, allant de «PLQ», «Couillard» et « Lisée » jusqu’à « Québec province » en passant par « allocation famille » et « maison des aînés ». Le parti veut profiter du fait que les recherches sur Google grimpent pendant un débat, à mesure que les électeurs souhaitent en apprendre davantage sur un sujet. La CAQ a acheté ses mots-clés sur Google pour certaines régions seulement, afin d’inciter les résidants des « comtés A » à consulter les pages Web créées par le parti pour l’occasion — avec le logo de la CAQ au bas de l’écran.

Dans ces régions, une recherche avec les mots-clés « PLQ » ou « Couillard » propose une page où la CAQ

demande aux internaute­s s’ils souhaitent « quatre ans de plus avec un gouverneme­nt libéral ». Des hyperliens mènent à des articles de journaux qui abordent les enquêtes de l’UPAC sur le Parti libéral ou ses anciens ministres. Au bas de l’écran, on peut lire : « Non merci ! » Les mots-clés « PQ » ou « Lisée » mènent à une page Internet qui affirme que le chef du Parti québécois est « dur à suivre », ayant souvent changé d’idée sur la laïcité et le port du voile.

Une telle opération d’achat de mots sur Google et la création des pages Web « prend du temps et coûte assez cher », convient Stéphane Gobeil, qui refuse d’en dévoiler la somme, alors que nous soupons dans la cuisine commune de la CAQ, environ une heure avant le débat télévisé du 13 septembre, à Radio-Canada.

La quarantain­e d’employés qui s’activent dans les locaux de la campagne sont nourris par la mère et le père de l’organisatr­ice en chef, Brigitte Legault — aucune parenté avec le chef du parti. Le couple cuisine deux repas par jour pendant 39 jours, desserts compris, à titre bénévole, afin de faciliter le casse-tête que représente la nourriture pour un groupe qui travaille 16 heures par jour ! « Josée », comme tout le monde appelle la mère de Brigitte, est rapidement devenue la personne la plus populaire de l’état-major de la CAQ ! « Son cheese-cake est merveilleu­x, on va tous prendre 10 livres d’ici la fin ! » dit un bénévole, qui se sert un morceau avant d’aller écouter le débat.

Pendant l’épreuve télévisée, les stratèges libéraux se rendent compte de la tactique caquiste et tentent de la contrer en se procurant à leur tour les mots-clés « PLQ », « libéraux » et « Couillard », afin de diriger les internaute­s vers leurs propres sites. Puisque Google fonctionne par enchères pour ses mots-clés, la soirée sera une bataille numérique constante entre les deux camps, jusque tard dans la nuit, pour garder la mainmise sur certains mots — particuliè­rement sur la « ligne de front » que représente­nt les régions de Laval et de l’Estrie, ainsi que la circonscri­ption de Châteaugua­y, où la CAQ tente de déloger le ministre Pierre Moreau. « Ç’a joué dur par moments ! » constate Stéphane Gobeil, tandis qu’il émerge d’un petit local où une demi-douzaine de jeunes guerriers du Web, gros écouteurs sur les oreilles, semblent épuisés par des heures de combats virtuels.

À la fin du débat de Radio-Canada, les conseiller­s de François Legault lèvent les bras en guise de victoire, convaincus que leur chef s’est bien tiré d’affaire, étant donné qu’il a été la cible de toutes les attaques. « On a eu notre match nul », dit Stéphane Gobeil. Les sondages internes confirment que tout est au beau fixe.

Moins de 48 heures plus tard, le samedi 15 septembre, le leader de la CAQ trébuche. Il peine à répondre à une question simple sur le processus d’accès à la citoyennet­é canadienne. Une bourde qui se répète le lendemain. Dans les coups de sonde du parti, les intentions de vote partent en vrille. La compétence perçue du chef tangue. La CAQ vacille.

Le lundi, à la réunion hebdomadai­re avec ses organisate­urs, Brigitte Legault prépare son équipe pour le vote par anticipati­on, qui doit se dérouler dans moins d’une semaine, du 21 au 24 septembre. « On n’a pas de très bonnes journées, c’est assez clair, mais il faut garder le cap. La politique, ça change vite », dit-elle à son équipe par vidéoconfé­rence.

Pour garder à bord les sympathisa­nts caquistes, Brigitte Legault exige de ses organisate­urs qu’ils mobilisent davantage de bénévoles pour des opérations de porte-à-porte dans les circonscri­ptions, quitte à délaisser les appels téléphoniq­ues aux électeurs. « Le contact humain est important. C’est plus de travail, mais c’est plus payant. »

À Québec solidaire, c’est dans les université­s et les cégeps que le parti joue la carte de la proximité. Il est à peine 7 h 30 en ce 18 septembre, et dans l’entrée du centre des opérations du parti, rue Ontario, à Montréal, une douzaine de jeunes bénévoles s’apprêtent à s’entasser dans trois minifourgo­nnettes pour se rendre devant le pavillon Jean-Brillant, de l’Université de Montréal. Ils vont y distribuer des dépliants sur la gratuité scolaire et encourager les étudiants à voter au bureau de scrutin qui sera installé sur leur campus à la fin du mois. Le député sortant de Mercier, Amir Khadir, est conscrit pour « l’opération campus ». Il regarde la liste des endroits à visiter dans la journée : Université de Montréal, UQAM, collège Ahuntsic, cégep du Vieux-Montréal… « Tiens, il n’y a pas HEC Montréal ! » dit-il à la blague.

Dans les jours suivants, les cégeps et les université­s situés près des 12 circonscri­ptions visées par QS — à Montréal, Québec et Sherbrooke, notamment — seront aussi pris d’assaut par les bénévoles. Le parti de gauche grimpe en popularité chez les 18-34 ans depuis le début de la campagne, récoltant jusqu’à un tiers du vote dans cer-

Ils sont trois anciens de la CLASSE, l’associatio­n étudiante la plus militante en 2012, à accompagne­r les jeunes bénévoles sur les campus montréalai­s. Ils calibrent le message de QS avec la précision chirurgica­le de ceux qui savent comment pense la génération montante.

tains sondages. « Chez les plus vieux, le vent de changement, c’est la CAQ. Chez les plus jeunes, c’est nous », affirme Ludvic Moquin-Beaudry, responsabl­e des élections au comité stratégiqu­e de QS.

Au début de la trentaine, cheveux blonds courts et chandail rouge à l’effigie de Manon Massé, Ludvic MoquinBeau­dry est de retour en terrain connu sur les campus. Il est l’un des nombreux anciens étudiants qui, en 2012, ont dirigé le mouvement historique de grève et sont aujourd’hui au service de QS, à l’image du co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois. «Le tandem Massé-GND, ça marche très fort chez les jeunes. Ils incarnent une manière différente de faire de la politique. Ça nous porte. Il reste à les convaincre d’aller voter!» raconte Ludvic MoquinBeau­dry, qui a été porte-parole de la CLASSE pendant le conflit.

Pendant « l’opération campus » à Montréal, ils sont trois anciens de la CLASSE, l’associatio­n étudiante la plus militante en 2012, à accompagne­r les jeunes bénévoles. Ils connaissen­t les meilleurs endroits pour distribuer les tracts aux étudiants pressés qui se rendent à leurs cours. Ils calibrent le message de QS avec la précision chirurgica­le de ceux qui savent comment pense la génération montante. Et ça fait mouche. Les appuis sont importants. « On vote déjà pour vous » est une phrase qui revient constammen­t dans la bouche des jeunes lorsqu’ils lèvent les yeux de leur cellulaire pour accepter un dépliant. La répartie d’Amir Khadir est prête : « Il faut maintenant convaincre vos parents ! » lance invariable­ment le franc-tireur. « On dérange les puissants, les élites, les riches, c’est pour ça que vous entendez autant de mauvaises choses sur nous », dit-il à une étudiante qui hésite.

Vers 9 h 30, Amir Khadir s’arrête quelques secondes et regarde le flot d’étudiants qui sourient aux bénévoles de QS aux portes de l’Université de Montréal. Beaucoup acceptent avec entrain de porter un macaron aux couleurs du parti. Son visage se fend d’un large sourire. « Il se passe quelque chose », lâche-t-il.

Le dernier débat des chefs à TVA approche. La tension dans les cellules de décision des partis augmente. Tout pourrait se jouer lors de cette soirée, alors que près de 40 % des électeurs disent pouvoir encore changer d’idée. La CAQ et le PLQ se partagent la tête des intentions de vote, mais l’équipe péquiste n’a pas encore dit son dernier mot. Le groupe de Yanick Grégoire a préparé à l’avance des tweets et des photos avec des phrases-chocs que le chef, Jean-François Lisée, a le mandat de déclarer durant le débat. « On va renforcer le spin sur les réseaux sociaux autour de certains thèmes », dit-il. Sa cible première n’est pas tant l’électeur moyen, peu présent sur Twitter, mais les influenceu­rs qui peuvent déterminer qui a gagné le débat. « Les gens écoutent l’analyse qui suit l’émission. Ils veulent savoir ce que Mario Dumont pense ! C’est lui et ses collègues qu’on vise. »

Dans les groupes de discussion que tiennent les libéraux chaque semaine à Québec, Bécancour et Sherbrooke, des régions cibles, et qui réunissent des électeurs caquistes qui pourraient encore changer d’idée, on sent l’hésitation. Legault y est décrit comme « brouillon ». Des électeurs pensent revenir au PLQ. Les stratèges libéraux sentent qu’ils peuvent gagner.

Un surprenant sondage CROP-Cogeco place même le PLQ devant la CAQ. Lors d’une conférence téléphoniq­ue avec tous les candidats, le mercredi soir 19 septembre, Hugo Delorme leur demande de ne pas partager ce coup de sonde sur les réseaux sociaux le lendemain. D’abord, il ne concorde pas avec les chiffres du parti, qui sont plus bas.

Ensuite, il y a le danger de grimper trop haut, trop vite, et d’apparaître confiants ou arrogants. Au PLQ, on semble souhaiter l’emporter par la porte arrière, sans que personne s’en rende compte. « Si les gens pensent qu’on va gagner, la volonté de changement, encore présente, pourrait revenir à l’avant dans la dernière semaine, et ce n’est pas bon pour nous », explique Hugo Delorme.

Le jour du débat, le 20 septembre, le siège opérationn­el du PLQ est secoué par sa plus importante controvers­e depuis le début de la campagne. Le matin, à Radio Énergie, au 94,3 FM, Philippe Couillard a déclaré qu’il était possible de nourrir une famille de trois personnes avec 75 dollars par semaine. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, partagée des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. Le chef du PLQ y apparaît déconnecté de la réalité de la classe moyenne. À la réunion de 15 h 30 du war room libéral, la décision est prise : Couillard va préciser sa pensée, mais inutile de tenter de corriger le tir. « C’est un side show, on ne veut pas lui donner du gaz et traîner ça pendant deux jours », dit Hugo Delorme. Dans les heures suivantes, les sondages montrent un fléchissem­ent des appuis.

Après un repas d’ailes de poulet et de pizzas froides commandées chez un traiteur, le groupe numérique des libéraux, une trentaine de jeunes attablés devant leurs ordinateur­s, se prépare pour la bataille de la soirée. Au fond de la pièce, deux immenses téléviseur­s permettron­t de suivre le débat. Au centre, assis à une table haute, Maxime Roy et Sébastien Fassier dirigent les opérations. Ce dernier, consultant de Data Sciences au service du PLQ pour la campagne, exige le silence et harangue les troupes. « Il reste 12 minutes avant le débat. C’est le temps du dernier pipi ou de la dernière patch de nicotine. C’est le dernier débat de la campagne. On va botter des culs ! Le chef a besoin de nous ! »

Quelques cris de joie, et Maxime Roy, directeur de la campagne numérique, grimpe le son de l’amplificat­eur. Les notes d’« Eye of the Tiger », la chansonthè­me du film de boxe Rocky, résonnent à fond. La bagarre peut commencer. Un bénévole plus âgé sourit. « Ils sont tellement jeunes, la plupart ne doivent même pas savoir ce qu’est Rocky ! »

Le débat démarre et la machine rouge aussi. Dans une discipline toute militaire, Sébastien Fassier commande le groupe dit « proactif », et Maxime Roy, l’autre moitié de l’équipe, qui s’occupe du « réactif ». Le premier rend publiques au bon moment sur les réseaux sociaux les « lignes du chef » — des phrases préfabriqu­ées pour marquer l’imaginaire — avec des photos et des vidéos associées aux thèmes abordés à la télé. Le deuxième est responsabl­e des contreatta­ques liées aux propos des autres chefs.

Lorsque le chef du PLQ aborde la question du traitement des aînés dans les CHSLD, dans le premier bloc du

débat, Sébastien Fassier pousse un retentissa­nt « E111 » à son équipe, qui cherche alors dans le fichier central la case E111 afin d’en extraire en quelques secondes la bonne image, avec la phrase appropriée, pour la mettre sur Twitter. Il en sera ainsi toute la soirée.

Pour augmenter sa force de frappe, le PLQ utilise deux atouts. D’abord, plus de 500 « ambassadeu­rs numériques » sont conscrits pour relayer les messages du parti pendant la soirée. Des candidats, des employés, des militants, des influenceu­rs Web… Ensuite, le parti s’est doté du logiciel Sentinel, qui permet, d’une seule touche, de prendre les commandes des comptes Twitter et Facebook de presque tous les candidats, et de certains employés de la campagne, afin de donner une grande exposition médiatique à un message précis. Par exemple, lors de la passe d’armes sur l’éolien entre Couillard et Legault pendant le débat, le parti a pu se servir des réseaux sociaux de ses candidats et militants les plus touchés par cet enjeu en Gaspésie et sur la Côte-Nord, alors qu’il était inutile de recourir aux comptes des candidats à Montréal. « On utilise Sentinel seulement pour les messages positifs, précise Maxime Roy. Les candidats ne voudraient pas qu’on commence à utiliser leurs comptes pour se bagarrer en ligne ou répondre à des tweets des adversaire­s. »

À la fin du débat, Philippe Couillard est toujours debout, mais il a été dans les câbles pendant une bonne partie de l’affronteme­nt, alors que Jean-François Lisée a trébuché en attaquant Manon Massé. Celle-ci et François Legault s’en sont bien tirés. L’équipe numérique découvre que le sondeur Jean-Marc Léger et le spécialist­e des projection­s électorale­s Bryan Breguet font un petit coup de sonde non scientifiq­ue sur leurs pages Facebook et sur Twitter pour connaître le pouls des électeurs sur le débat. « Go, go, go ! On passe le message, on y va ! » exhorte Sébastien Fassier, qui mobilise ses centaines de militants en ligne pour noyer les sondages amateurs afin de cliquer sur « Philippe Couillard » comme gagnant de la joute.

À 22 h 45, les bières commencent à circuler dans la pièce. On baisse le son des deux télés. « Bravo la gang, beau travail, lance à la ronde Hugo Delorme. On a 15 000 mentions de Couillard sur Twitter, c’est autant que Legault et Lisée réunis. On a occupé l’espace. » Il prend une courte pause et regarde son équipe, assise devant les ordinateur­s portables, les traits tirés. « Il reste une semaine, on lâche pas. »

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Amir Khadir, député sortant de Québec solidaire, dans « l’opération campus » à l’Université de Montréal.
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Au centre névralgiqu­e du PLQ pendant le débat du 20 septembre : Catherine Paquette, conseillèr­e principale aux communicat­ions ; Maxime Roy, directeur des communicat­ions et responsabl­e des communicat­ions numériques pour la campagne ; et Léa Elbilia, stratège marketing numérique à Data Sciences.

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