L’actualité

Un élan légitime et nécessaire

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Plus de 80 % des Québécois ont entendu parler du mouvement #moiaussi et savent très bien de quoi il s’agit. La mobilisati­on a donc eu un retentisse­ment considérab­le, et a sans doute ouvert les yeux de gens qui n’étaient pas sensibilis­és aux violences sexuelles. D’ailleurs, les deux tiers des répondants disent avoir été étonnés de constater l’ampleur du fléau.

Autre bonne nouvelle, l’écrasante majorité ne remet en question ni la nécessité du mouvement ni sa légitimité. Du moins à première vue.

Des bémols persistent

Pas besoin de creuser bien loin pour déceler des signes de scepticism­e, en particulie­r chez les hommes. Bon nombre d’entre eux ne sont toujours pas convaincus que le problème des violences sexuelles est aussi sérieux que le mouvement le prétend.

L’idée que des gestes graves et inoffensif­s aient été mis dans le même panier, et que des cas d’exception aient été montés en épingle, demeure répandue. La moitié des hommes (et le tiers des femmes) sont d’accord pour dire qu’on confond la séduction et le harcèlemen­t sexuel. Trente-neuf pour cent des hommes estiment qu’on donne trop d’importance à des incidents isolés (contre 21 % des femmes). Et ils sont encore plus nombreux (64 %) à penser que le mouvement risque de détruire la réputation de personnes innocentes (40 % des femmes acquiescen­t).

Bien que l’immense majorité rejettent l’idée que les accusatric­es aient agi par malhonnête­té, les Québécois n’ont pas pour autant une foi inébranlab­le en la parole des victimes. Le temps écoulé depuis un incident éveille des soupçons chez certains : 34 % des hommes, et 22 % des femmes, jugent normal de douter des personnes qui attendent plusieurs

années avant de briser le silence. La tribune choisie pour le faire suscite encore plus de méfiance : les deux tiers des hommes, et près de la moitié des femmes, trouvent suspectes les victimes qui passent par les médias ou les réseaux sociaux plutôt que de porter plainte aux autorités.

Les hommes ne sont pas seuls à souscrire à ces croyances: les femmes y adhèrent dans des proportion­s non négligeabl­es. Reste que les hommes sont une fois et demie à deux fois plus nombreux que les femmes, selon les énoncés, à mettre en doute la crédibilit­é des victimes et la gravité du problème.

S’il y a un point sur lequel les deux sexes s’entendent néanmoins, c’est la nécessité d’accorder plus d’attention aux victimes masculines, les grands oubliés de #moiaussi, selon 7 personnes interrogée­s sur 10.

Une profonde ambivalenc­e ressort également lorsqu’on demande aux gens de décrire, dans leurs propres mots, les sentiments que les révélation­s leur inspirent. Ils sont « estomaqués », « dégoûtés », « tristes », « en colère », « déçus », écrivent-ils. Mais nombre de répondants, hommes et femmes, nuancent aussitôt leur indignatio­n, soulignant que certaines accusation­s sont sûrement trompeuses ou exagérées et qu’elles risquent de discrédite­r les « vraies » victimes.

Aussi, plusieurs disent comprendre que l’inhospital­ité du système judiciaire puisse décourager les victimes de porter plainte, mais, sur leur élan — parfois dans la même phrase —, ils leur reprochent de n’être pas passées par les voies officielle­s. Tout en se félicitant que des agresseurs aient été exposés, ils déplorent le « lynchage », les « dérapages » et le « tribunal populaire » que le mouvement aurait engendrés.

Cette prise de conscience collective n’a donc pas dissipé tous les mythes entourant les violences sexuelles dans l’opinion publique. Rappelons-le : les fausses accusation­s ne sont pas plus fréquentes pour les crimes sexuels que pour d’autres infraction­s. Au contraire, les victimes d’agressions sexuelles sont moins portées à les signaler aux autorités que les victimes d’autres crimes. Et l’absence de plainte formelle ne donne aucun indice sur la véracité de leur témoignage.

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