Les démocrates se cherchent
Sa victoire à la primaire de la 14e circonscription de New York, en juin, a eu l’effet d’une bombe. Alexandria OcasioCortez, militante de gauche de 29 ans, battait le numéro quatre des démocrates au Congrès, Joe Crowley, en vue des élections de novembre. À plate couture.
Un vent de jeunesse et de fraîcheur, mais surtout un doigt d’honneur à l’establishment du parti, dont les membres venaient de préférer une ancienne serveuse qui s’affiche sous l’étiquette socialiste à un vieux routier de la politique.
Alexandria Ocasio-Cortez a gagné dans un comté constitué aux trois quarts de minorités visibles. La moitié des habitants y parlent espagnol. La candidate a fait un travail impeccable pour recruter et mobiliser les membres, alors que son adversaire est resté loin du terrain, tenant sa réélection pour acquise.
Mais la victoire d’OcasioCortez a été un signal d’alarme national pour les démocrates. Ne pas être Donald Trump est-il un argument suffisant ? Malgré 41 millions de membres — les républicains en comptent 30 millions —, la mobilisation contre un président si provocateur reste morcelée.
L’opposition à Trump a beau fédérer le Parti démocrate, elle n’a pas su le définir ni le renouveler. Encore moins envoyer un message clair à ses candidats. Le Parti est-il encore celui des George McGovern, Hubert Humphrey, Edward Kennedy et Jimmy Carter, le parapluie des minorités, qui a foi dans le gouvernement, et est plus enclin aux droits collectifs qu’à la stricte liberté individuelle ? Ou doit-il poursuivre le recentrage amorcé par Bill Clinton, et qui s’est maintenu sous Barack Obama et Hillary Clinton ?
« La fracture est importante entre ceux qui veulent tirer le parti à gauche — comme Ocasio-Cortez, Bernie Sanders ou la sénatrice Elizabeth Warren — et ceux qui sont plutôt dans l’héritage des Clinton », explique Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis (OSEU) à la Chaire Raoul-Dandurand.
L’aile la plus militante rêve à une vague comme celle qui a porté le Tea Party, la frange ultraconservatrice des républicains, aux élections de mi-mandat en 2010. Un mouvement décentralisé appelé Indivisible calque d’ailleurs ses actions sur celles du Tea Party pour faire élire des candidats plus à gauche aux primaires — quitte à terrasser les poids lourds du parti. Il a soutenu Ocasio-Cortez dans sa campagne.
Mais selon Frédérick Gagnon, il est encore tôt pour voir davantage que des cas isolés. La gauche américaine n’a historiquement pas la discipline de la droite, et les progressistes appuient une plus grande variété de causes que les républicains, ce qui a tendance à diluer le message.
« Les gens à gauche militent pour mille et une raisons : la cause afroaméricaine, la question LGBTQ, les sans-papiers, l’égalité hommes-femmes… Il devient difficile de trouver le message qui va fédérer tous ces groupes, dit le directeur de l’OSEU. À l’inverse, le Tea Party avait réussi à se liguer dans une guerre contre les impôts et les taxes. »
Autre obstacle, les jeunes sont plus mobilisés, mais moins nombreux à voter. Aux élections de mi-mandat de 2014, chez les 18-29 ans, moins d’un électeur sur cinq s’est rendu aux urnes. Selon les données de l’Institut politique de la Harvard Kennedy School, la présidence Trump a néanmoins fait doubler la proportion de jeunes démocrates qui ont l’intention d’aller aux urnes le 6 novembre.
Reste la grande question : qui affrontera Donald Trump en 2020 ? Les candidats potentiels commencent à jauger leurs appuis. C’est le cas de l’ancien vice-président Joe Biden (75 ans) et du sénateur Bernie Sanders (77 ans). Les noms d’autres sénateurs circulent : Elizabeth Warren (69 ans), Kamala Harris (53 ans), Cory Booker (49 ans) et Amy Klobuchar (58 ans). Contrairement à la succession de Barack Obama, ça risque de se bousculer à la ligne de départ.
La politique de séparation des familles sans papiers, en juin dernier, a entraîné les mêmes condamnations, tout comme l’interdiction des immigrants de pays musulmans. Tim Cook a rappelé qu’Apple n’aurait jamais existé si le père de Steve Jobs, un immigrant syrien, avait été refoulé. Sundar Pichai, de Google, Mark Zuckerberg, de Facebook, et les gestionnaires d’eBay, Reddit, Uber et Cisco Systems ont tour à tour abandonné Trump, dirigeant plutôt leurs dons politiques vers des organisations progressistes.
Pourtant, ces patrons profitent largement des baisses d’impôts décrétées par son administration. Mais alors que sévit une pénurie d’ingénieurs et de programmeurs informatiques aux États-Unis, bon nombre de leurs succès sont liés à l’immigration et à des accords commerciaux qui éliminent les barrières.
La mobilisation tous azimuts donne des résultats. Neuf élections partielles fédérales se sont tenues depuis l’arrivée de Trump à la présidence. Bien que les républicains n’aient perdu que deux sièges, chaque fois, leurs appuis ont considérablement baissé — même dans des bastions comme l’Ohio et l’Arizona.
Au coeur de la « Bible Belt », région du sud-est des
États-Unis marquée par le fondamentalisme religieux, l’esclavagisme et la ségrégation raciale, la Caroline du Nord est aussi en plein virage. L’écrivain Mark Twain, qui qualifiait Montréal de ville aux cent clochers, pourrait dire la même chose de Charlotte, tant les églises y sont nombreuses. Et influentes.
Marilyn, chauffeuse Uber, place sa bible bien en vue et fait jouer de la musique chrétienne à ses clients. Début soixantaine, blonde platine au fort accent du Sud, elle s’affiche comme une admiratrice de Trump. « Il rend l’Amérique meilleure », dit-elle, répétant le slogan électoral. Son collègue Steven, Afro-Américain dans la trentaine, n’hésite pas, lui, à traiter son président d’« idiot qui [leur] fait honte ». Et son poids compte de plus en plus : les minorités visibles forment maintenant la majorité de la population de Charlotte — même si elles ne représentent que de 10 % à 15 % des élus.
De fait, le visage de la ville a changé depuis huit ans, à la faveur d’un boum sans précédent. Après la crise de 2008, Bank of America, qui y a son siège social, a multiplié les acquisitions. Wells Fargo y a déménagé un de ses sièges sociaux. Amazon et Apple y ont ouvert des centres de données, et des fabricants d’autos ont quitté Détroit pour s’établir à « Queen City ».
Une pluie d’emplois s’est abattue, attirant des jeunes familles de New York, de la Californie et du Midwest, séduites par le coût de la vie plus bas et de bons revenus. Des quartiers entiers ont poussé, dont la population a bousculé le portrait démographique. Des coins qui étaient farouchement républicains basculent du côté démocrate.
À l’instar du Texas, autrefois très conservateur, les changements démographiques deviennent créateurs de swing states ou purple states — des États pivots comme la Caroline du Nord, susceptibles d’appuyer autant les démocrates que les républicains. « Avant, c’était Nord contre Sud, comme les relents de la guerre de Sécession, explique Eric Heberlig, de l’Université de Caroline du Nord à Charlotte. Maintenant, nos recherches montrent que l’opposition entre régions urbaines et rurales s’accentue. »
De dangereux clivages idéologiques, géographiques et religieux, selon lui, parce qu’ils favorisent le phénomène des chambres d’écho, selon lequel les gens ne fréquentent que ceux qui pensent comme eux. « Et nous perdons l’aptitude au compromis quand l’autre est perçu comme un ennemi », dit-il.
Boulet pour beaucoup, Donald Trump reste pourtant le meilleur atout des républicains auprès de leur base ultraconservatrice, où il jouit d’un appui massif. Voilà pourquoi il continue de sillonner le pays : en mobilisant ses plus fidèles partisans, il espère limiter la vague de mécontentement aux urnes.
Mais, étant donné son égo, le président risque de mettre la faute d’une éventuelle défaite sur d’autres, à coups de tweets belliqueux. Et de tirer profit du ressac en vue de l’affrontement présidentiel de 2020.
Après tout, c’est ainsi qu’il a gagné en 2016.
BOULET POUR BEAUCOUP, DONALD TRUMP RESTE POURTANT LE MEILLEUR ATOUT DES RÉPUBLICAINS AUPRÈS DE LEUR BASE ULTRACONSERVATRICE, OÙ IL JOUIT D’UN APPUI MASSIF.