Se déconfiner l’intérieur
En médecine, le confinement du malade permet de bloquer la contagion. Nous y sommes maintenant plongés depuis plusieurs semaines, l’objectif étant aussi individuel que collectif. Dans nos appartements, nos maisons, nos centres d’hébergement. Et dans nos têtes.
Nous avons établi autour de chacun de nous une frontière de deux mètres à ne franchir sous aucun prétexte, zone interdite pour éloigner ces menaces que nous sommes aujourd’hui les uns pour les autres. Par cette distanciation, nous vivons un peu à l’abri, protégés par cet espace qui finit par marquer les esprits. On ne compte plus les scènes où la traversée de ce mur imaginaire a engendré des réactions de colère, voire de panique, signe que tout cela est de plus en plus internalisé dans notre redéfinition des normes sociales.
Les experts confirmaient que c’était la mesure la plus importante pour limiter la circulation virale et réussir l’aplatissement des fameuses courbes. Comprenant bien la situation, malgré les aspects déplaisants du confinement, nous avons fini par l’accepter, et même à nous y sentir à l’aise. Notamment parce que, contrairement aux malades, nous avons conservé une certaine liberté, d’autant plus précieuse que c’est tout ce qu’il nous reste. Nous pouvons marcher, courir, magasiner pour le nécessaire, aider nos proches vulnérables. Vivre tant bien que mal.
Mais tout le monde, sauf les « virophobes», rêve au jour où ces nouvelles frontières imposées aux relations humaines habituelles — contacts, bains de foule, accolades et embrassades — seront levées.
Le confinement demeure néanmoins un concept simple, qui transforme avec efficacité nos vies, parce qu’il suffit de tout cesser pour y arriver. Or, son contraire, le déconfinement — un mot qu’on utilise beaucoup actuellement même s’il ne se trouve pas encore dans le dictionnaire —, est pour sa part d’une complexité qui donne le vertige tant les défis sont immenses, notamment la nécessité pour chacun de reprogrammer encore une fois son cerveau.
Il faut bien que la vie reprenne son cours, cela a d’ailleurs commencé par la réouverture de secteurs jugés moins à risque que d’autres, sinon essentiels pour notre économie. La prudence nous imposera de surveiller les conséquences sanitaires de ces
mouvements humains, qui pourraient faire augmenter le nombre de cas de coronavirus au fil du relâchement des mesures. Il s’agira de pouvoir les resserrer rapidement si jamais le nombre de cas devait grimper à nouveau.
Les critères préalables que l’Organisation mondiale de la santé a proposés pour permettre le déconfinement coulent de source: transmission virale contenue ; systèmes de santé en mesure de tester, d’isoler et de traiter chaque cas, et de remonter le fil de ses contacts ; risques d’épidémie maintenus au minimum dans les établissements de santé et les maisons d’hébergement ; solides mesures préventives mises en place dans les lieux de travail, les écoles et d’autres endroits publics essentiels ; gestion des risques liés à l’importation du virus par des voyageurs venant de l’étranger; communautés éduquées, engagées et capables de s’adapter au nouveau mode de vie.
Tout un projet de société, on en convient !
Chez nous, ces critères ne sont pas encore satisfaits. Toutefois, quand ils le seront, j’ai l’impression qu’une partie bien différente, peutêtre plus ardue, se jouera dans nos têtes en raison des craintes légitimes suscitées par le relâchement des mesures, et parce que la distanciation sociale se sera incrustée profondément dans nos nouveaux réflexes.
Il faudra sans doute se faire quelque peu violence pour plonger à nouveau dans une foule, recevoir la famille, marcher sur des trottoirs très fréquentés, serrer des mains et donner des becs, applaudir à un concert couru ou assister à une autre défaite du Canadien. Revenir à ces activités dites normales, qui font le bonheur de chacun comme celui des virus, tout aussi friands de proximité humaine.
Tant que le virus de la COVID19 n’aura pas été mis en échec par un vaccin ou un traitement efficace, j’ai l’impression que, chacun ayant maintenant adopté le confinement comme nouveau mode de vie, la partie difficile sera de se déconfiner l’intérieur.
Nous y arriverons sûrement, même si la pandémie risque de nous marquer plus que nous ne le pensons et qu’avant de la mettre vraiment derrière nous, nous aurons à travailler aussi fort pour nous relancer nousmêmes vers les autres que pour relancer la société entière, aujourd’hui figée dans cette pause nécessaire.
Allez, ça va quand même bien aller !