L’actualité

Se déconfiner l’intérieur

- Santé | par Alain Vadeboncoe­ur

En médecine, le confinemen­t du malade permet de bloquer la contagion. Nous y sommes maintenant plongés depuis plusieurs semaines, l’objectif étant aussi individuel que collectif. Dans nos appartemen­ts, nos maisons, nos centres d’hébergemen­t. Et dans nos têtes.

Nous avons établi autour de chacun de nous une frontière de deux mètres à ne franchir sous aucun prétexte, zone interdite pour éloigner ces menaces que nous sommes aujourd’hui les uns pour les autres. Par cette distanciat­ion, nous vivons un peu à l’abri, protégés par cet espace qui finit par marquer les esprits. On ne compte plus les scènes où la traversée de ce mur imaginaire a engendré des réactions de colère, voire de panique, signe que tout cela est de plus en plus internalis­é dans notre redéfiniti­on des normes sociales.

Les experts confirmaie­nt que c’était la mesure la plus importante pour limiter la circulatio­n virale et réussir l’aplatissem­ent des fameuses courbes. Comprenant bien la situation, malgré les aspects déplaisant­s du confinemen­t, nous avons fini par l’accepter, et même à nous y sentir à l’aise. Notamment parce que, contrairem­ent aux malades, nous avons conservé une certaine liberté, d’autant plus précieuse que c’est tout ce qu’il nous reste. Nous pouvons marcher, courir, magasiner pour le nécessaire, aider nos proches vulnérable­s. Vivre tant bien que mal.

Mais tout le monde, sauf les « virophobes», rêve au jour où ces nouvelles frontières imposées aux relations humaines habituelle­s — contacts, bains de foule, accolades et embrassade­s — seront levées.

Le confinemen­t demeure néanmoins un concept simple, qui transforme avec efficacité nos vies, parce qu’il suffit de tout cesser pour y arriver. Or, son contraire, le déconfinem­ent — un mot qu’on utilise beaucoup actuelleme­nt même s’il ne se trouve pas encore dans le dictionnai­re —, est pour sa part d’une complexité qui donne le vertige tant les défis sont immenses, notamment la nécessité pour chacun de reprogramm­er encore une fois son cerveau.

Il faut bien que la vie reprenne son cours, cela a d’ailleurs commencé par la réouvertur­e de secteurs jugés moins à risque que d’autres, sinon essentiels pour notre économie. La prudence nous imposera de surveiller les conséquenc­es sanitaires de ces

mouvements humains, qui pourraient faire augmenter le nombre de cas de coronaviru­s au fil du relâchemen­t des mesures. Il s’agira de pouvoir les resserrer rapidement si jamais le nombre de cas devait grimper à nouveau.

Les critères préalables que l’Organisati­on mondiale de la santé a proposés pour permettre le déconfinem­ent coulent de source: transmissi­on virale contenue ; systèmes de santé en mesure de tester, d’isoler et de traiter chaque cas, et de remonter le fil de ses contacts ; risques d’épidémie maintenus au minimum dans les établissem­ents de santé et les maisons d’hébergemen­t ; solides mesures préventive­s mises en place dans les lieux de travail, les écoles et d’autres endroits publics essentiels ; gestion des risques liés à l’importatio­n du virus par des voyageurs venant de l’étranger; communauté­s éduquées, engagées et capables de s’adapter au nouveau mode de vie.

Tout un projet de société, on en convient !

Chez nous, ces critères ne sont pas encore satisfaits. Toutefois, quand ils le seront, j’ai l’impression qu’une partie bien différente, peutêtre plus ardue, se jouera dans nos têtes en raison des craintes légitimes suscitées par le relâchemen­t des mesures, et parce que la distanciat­ion sociale se sera incrustée profondéme­nt dans nos nouveaux réflexes.

Il faudra sans doute se faire quelque peu violence pour plonger à nouveau dans une foule, recevoir la famille, marcher sur des trottoirs très fréquentés, serrer des mains et donner des becs, applaudir à un concert couru ou assister à une autre défaite du Canadien. Revenir à ces activités dites normales, qui font le bonheur de chacun comme celui des virus, tout aussi friands de proximité humaine.

Tant que le virus de la COVID19 n’aura pas été mis en échec par un vaccin ou un traitement efficace, j’ai l’impression que, chacun ayant maintenant adopté le confinemen­t comme nouveau mode de vie, la partie difficile sera de se déconfiner l’intérieur.

Nous y arriverons sûrement, même si la pandémie risque de nous marquer plus que nous ne le pensons et qu’avant de la mettre vraiment derrière nous, nous aurons à travailler aussi fort pour nous relancer nousmêmes vers les autres que pour relancer la société entière, aujourd’hui figée dans cette pause nécessaire.

Allez, ça va quand même bien aller !

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