L’actualité

Économie

- PAR PIERRE FORTIN

Gérer les déficits « pandémique­s »

Au cours des derniers mois, l’économie canadienne est tombée en récession et les gouverneme­nts ont introduit des mesures directes de soutien à l’économie. Ces mesures temporaire­s étaient nécessaire­s pour combattre la crise entraînée par le virus, mais elles sont imposantes.

Le 18 juin dernier, le directeur parlementa­ire du budget à Ottawa, Yves Giroux, a estimé que le déficit budgétaire fédéral de l’année financière en cours (2020-2021) atteindrai­t 256 milliards de dollars. Cette somme incluait le coût des mesures directes de soutien (169 milliards) et l’incidence de la récession sur le budget (87 milliards). Les crédits et la liquidité qui ont aussi été offerts aux entreprise­s ne font pas partie du déficit parce que ce sont des prêts ou des avances remboursab­les, et non, à strictemen­t parler, des dépenses.

Le lendemain, le 19 juin, le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, a dit s’attendre à un déficit budgétaire provincial de 15 milliards de dollars en 2020-2021 plutôt qu’au déficit zéro prévu dans son discours du budget du 10 mars dernier. L’augmentati­on du déficit provincial provient des mesures directes de soutien, des dépenses de santé requises par la crise sanitaire, et des effets de la récession sur les dépenses et les revenus consolidés.

Quelles seront les conséquenc­es de ces déficits « pandémique­s » pour les finances d’Ottawa et de Québec ?

Si les projection­s de MM. Giroux et Girard se réalisent, Ottawa devra emprunter 256 milliards et Québec jusqu’à 15 milliards pour financer les déficits budgétaire­s en 2020-2021. Ces sommes s’ajouteront à leur dette accumulée. Est-ce que ce sera la catastroph­e ? Non. Ça ne leur coûtera pas très cher, et il ne leur sera nécessaire ni de rembourser l’argent emprunté ni de plonger l’économie dans une période d’austérité où on hausserait les impôts et on sabrerait les services publics.

Ce n’est pas la dette elle-même, mais le montant annuel des intérêts à payer dessus — le service de la dette — qui est une composante du budget. Or, même si les 256 milliards d’Ottawa et les 15 milliards de Québec sont des additions considérab­les à la dette publique, les taux d’intérêt auxquels ces sommes peuvent être empruntées à l’heure actuelle sont si faibles que les conséquenc­es pour le service de la dette seront modestes. Le graphique montre que la tendance baissière des taux sur les emprunts gouverneme­ntaux

est lourde. Ils ont diminué sans arrêt depuis 40 ans, et les signaux couramment envoyés par la Banque du Canada et les marchés financiers indiquent qu’ils ne remonteron­t pas de sitôt.

Ottawa pourra emprunter 256 milliards pour 10 à 30 ans à un taux moyen de moins de 1 %. Cet ajout de 2,5 milliards à son service de la dette équivaudra à 0,75 % de ses revenus normaux de 350 milliards. Québec, quant à lui, pourra emprunter 15 milliards à un taux moyen de 2 %. Son service de la dette va donc augmenter de 300 millions, absorbant ainsi 0,25% de ses revenus normaux de 120 milliards. Ce contexte financier est historique­ment avantageux. Car s’il fallait qu’Ottawa emprunte ses 256 milliards à un taux d’intérêt de 8 % comme au milieu des années 1990 plutôt qu’à 1% comme aujourd’hui, son service de la dette augmentera­it huit fois plus : de 20 milliards plutôt que de 2,5 milliards. Une telle addition aux intérêts à payer serait particuliè­rement onéreuse.

De plus, avec des taux d’intérêt à l’emprunt aussi faibles que présenteme­nt, les deux gouverneme­nts n’auront pas à décréter une période d’austérité afin d’encaisser le coup. Chaque année, les frais d’intérêts à payer feront augmenter la dette pandémique cumulée de 1 % à Ottawa et de 2 % à Québec. Mais comme en temps normal le PIB annuel progresse encore plus vite — de 3 % ou 4 % au Canada et au Québec —, le rapport entre la dette et le PIB, qui mesure le vrai poids de l’endettemen­t, va néanmoins diminuer de lui-même, sans qu’il soit nécessaire de hausser les impôts ou de réduire les services aux citoyens. Si des mesures d’austérité sont toutefois adoptées, ce sera pour d’autres raisons que pour alléger le fardeau de la dette pandémique.

Ce sont de bonnes nouvelles. Mais attention ! Il ne faut pas que tout cela dégénère en bar ouvert à l’endettemen­t. Car à long terme, plus nous consacrero­ns d’épargne au financemen­t de l’État, moins il en restera pour financer l’investisse­ment de nos entreprise­s. Un rythme d’endettemen­t mal justifié risque également d’amener les prêteurs à réclamer des taux d’intérêt plus élevés aux emprunteur­s gouverneme­ntaux.

Un beau mariage de prudence et d’audace est ce qu’il nous faut.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada