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- PAR CHANTAL HÉBERT

Pandémie oblige, le 30e anniversai­re, le 23 juin dernier, de l’échec de la grande opération de réconcilia­tion constituti­onnelle Canada-Québec pilotée par le premier ministre Brian Mulroney n’a pas fait beaucoup de tapage.

Pourquoi, se sont certaineme­nt demandé certains des protagonis­tes de l’époque, remuer des cendres de plus en plus froides ?

Il faut dire qu’en rétrospect­ive, personne n’est vraiment sorti indemne du naufrage de l’accord conclu à l’unanimité par Ottawa et les provinces au lac Meech en 1987.

Ses parrains politiques, sur la scène fédérale et dans les provinces, ont le plus souvent fini par couler avec le navire constituti­onnel.

Mais pour autant, la victoire de ses principaux détracteur­s a rarement mené à des lendemains qui chantent.

Pensez aux grands chefs autochtone­s dont l’opposition au projet avait servi de justificat­ion à bon nombre de ses critiques libéraux et néodémocra­tes. Par la suite, les Premières Nations ont eu droit à trois décennies de rendez-vous manqués.

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Au Québec, la vague nationalis­te qui avait ponctué la mort de Meech n’a finalement pas été à la hauteur des espoirs du mouvement souveraini­ste. Trente ans plus tard, il n’en reste que des remous.

Depuis cinq ans, l’électorat québécois s’est même réconcilié avec le Parti libéral fédéral, autrefois principal foyer d’opposition au projet de Meech à Ottawa. Comme son père avant lui, Justin Trudeau doit une bonne partie de son succès électoral à l’appui d’une pluralité d’électeurs québécois.

Si l’accord de Meech était si populaire au Québec, c’est parce qu’il reflétait plutôt fidèlement l’idée qu’on s’y faisait de la notion d’un Québec fort dans un Canada uni. Le débat constituti­onnel a beau être au point mort depuis des lunes, le concept a encore la vie dure. Le projet politique de la Coalition Avenir Québec de François Legault ne s’inspire-t-il pas du même esprit autonomist­e ?

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Et que dire des ambitions politiques auxquelles carburaien­t les critiques les plus virulents du projet de Meech dans l’Ouest canadien ?

Au lieu de donner des ailes à la droite canadienne, l’ascension de ses éléments réformiste­s aux commandes du Parti conservate­ur, rendue possible par la débâcle de Meech, contribue aujourd’hui à la clouer au sol.

La greffe entre l’électorat canadien et un Parti conservate­ur plus ouvert à la droite religieuse et plus fermé au mouvement environnem­ental ainsi qu’aux idées progressis­tes n’a pas fait recette bien longtemps à l’extérieur des Prairies.

Plus que jamais, l’Alberta et la Saskatchew­an sont cantonnées dans l’opposition à Ottawa. À cet égard, la course actuelle à la direction du Parti conservate­ur n’a rien pour souder les diverses factions qui y cohabitent.

Ni l’un ni l’autre des principaux aspirants à la succession d’Andrew Scheer n’a de racines dans les Prairies. Ni Peter MacKay ni Erin O’Toole ne s’identifie vraiment au courant pur et dur de la droite canadienne. Le premier a été le dernier chef en titre du Parti progressis­te-conservate­ur; le second n’aurait pas détonné dans un cabinet fédéral piloté par Joe Clark ou Brian Mulroney.

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Depuis son arrivée au pouvoir à Edmonton, le premier ministre albertain, Jason Kenney, recherche activement des éléments du modèle autonomist­e québécois — comme l’instaurati­on d’un régime de retraite distinct du programme fédéral — susceptibl­es de coller à la réalité de sa province.

Il y a quelques semaines, M. Kenney s’est engagé à tenir dès l’an prochain un référendum sur la péréquatio­n. Il espère ainsi forcer Ottawa et les autres provinces à ouvrir une ronde constituti­onnelle pour éliminer ou modifier en profondeur le programme en vertu duquel le gouverneme­nt fédéral redistribu­e des sommes supplément­aires à même ses revenus aux provinces moins bien nanties.

S’il faut en croire le discours ambiant en Alberta, la péréquatio­n lèse les provinces de l’Ouest au profit, notamment, du Québec.

Au même moment, Jay Hill, exdéputé réformiste qui a occupé le poste de leader parlementa­ire du gouverneme­nt sous Harper, est devenu le chef intérimair­e de Wexit Canada. Ce parti fédéral voué à la séparation des provinces de l’Ouest compte présenter 104 candidats dans la région au prochain scrutin fédéral.

Au lendemain de l’échec de Meech, la flambée nationalis­te au Québec avait retenu l’attention. Mais s’il fallait mentionner un endroit au Canada où les braises de Meech sont encore chaudes 30 ans plus tard, ce ne serait pas au Québec ou à Ottawa, mais plutôt en Alberta.

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