L’étau chinois
Les Américains dicteront cet automne, sans s’en rendre compte, l’avenir de la tumultueuse relation du Canada avec la Chine… et le sort de trois détenus dans ces deux pays.
Meng Wanzhou, la directrice financière du géant chinois des télécoms Huawei, arrêtée à Vancouver fin 2018 à la demande des autorités américaines — qui l’accusent d’avoir violé un embargo visant l’Iran —, et les deux Canadiens emprisonnés en Chine en guise de représailles, Michael Kovrig et Michael Spavor, attendront avec nervosité le choix des électeurs américains le 3 novembre.
Ils sont les pions d’un jeu diplomatique complexe, coincés dans une lutte impitoyable pour la suprématie économique et politique mondiale, alors que le PIB de la Chine prend le premier rang devant celui des États-Unis. Huawei, qui déploie sa technologie 5G dans le monde, est un symbole fort de ce bras de fer. En mettant de la pression sur le Canada pour qu’il relâche la fille du fondateur, Pékin appuie sur le maillon le plus faible du trio sur la scène internationale.
Les « deux Michael » et Meng Wanzhou vivront toutefois leur 3 novembre bien différemment.
Cette dernière suivra les résultats dans le confort de sa villa d’une valeur de 13 millions de dollars, où elle lit et peint à sa guise. Si le coeur lui en dit, elle pourra passer la journée à magasiner, un bracelet de traçage à sa cheville lui servant de caution auprès des autorités.
Michael Kovrig et Michael Spavor, eux, croupissent avec 20 détenus dans une cellule où la lumière ne s’éteint jamais. Ils reçoivent la visite d’un fonctionnaire de l’ambassade canadienne une fois par mois pendant 30 minutes, ce qui leur laisse à peine le temps de lire, à voix haute, les lettres de leurs proches. Ils n’ont pas droit à un avocat et peuvent se promener dans la cour une quinzaine de minutes par jour.
Inutile de dire qu’ils n’auront pas accès à la télé pour apprendre qui de Donald Trump ou de Joe Biden l’emportera.
Le candidat démocrate n’est guère plus tendre envers la Chine que Trump, alors il serait surprenant qu’il abandonne les accusations contre Meng Wanzhou. Par contre, Biden est davantage conscient que l’impétueux président actuel qu’il a besoin de ses alliés traditionnels, dont le Canada, pour contenir la montée de la Chine.
Les États-Unis bénéficient d’un avantage sur l’Empire du Milieu : un réseau d’amis guidés par la règle de droit et certains principes démocratiques forts. Ces amis ont observé avec consternation le peu d’efforts américains consentis pour faire libérer les deux Michael. Travailler d’arrache-pied à leur libération démontrerait l’engagement de Joe Biden envers ses alliés pour la suite du bras de fer avec la Chine.
Faudrait-il que le gouvernement Trudeau relâche Meng Wanzhou en échange des Canadiens, comme l’ont réclamé une vingtaine de personnalités, dont les anciens ministres des Affaires étrangères Lloyd Axworthy et Lawrence Cannon, ainsi que les ex-ambassadeurs Derek Burney et Michael Kergin ? Certainement pas.
Une intervention du premier ministre ne ferait que renforcer l’opinion mondiale de plus en plus répandue que le Canada est passé maître dans l’art de dire une chose et de faire son contraire. Ottawa s’affiche comme un promoteur des droits de la personne, mais autorise l’exportation de matériel militaire vers l’Arabie saoudite. Il affirme lutter contre les changements climatiques, mais exploite des quantités de pétrole records. Il défend la règle de droit, mais relâcherait Meng Wanzhou pour des raisons politiques…
C’est le genre de double discours qui contribue à la perte d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.
Aussi tragique soit-il, le sort des deux Michael est lié à l’élection américaine. Cette affaire se dénouera lorsque Meng Wanzhou sera extradée aux États-Unis ou quand le président décidera d’aider le Canada à rapatrier ses deux citoyens. En attendant, plier face à la Chine serait céder à une forme de terrorisme diplomatique.