L’actualité

Comme au tout premier jour

- Santé | par Alain Vadeboncoe­ur

Mon dernier cas juste avant mes vacances paraissait a priori banal. Une jeune femme consultait pour des douleurs au thorax, craignant une crise cardiaque. J’ai eu tôt fait de la rassurer : de tels malaises, situés du côté droit, variant à la respiratio­n, ne pouvaient être un symptôme d’infarctus. Mais cela devait être autre chose, que j’allais approfondi­r. Une infection, par exemple. Peut-être un décollemen­t du poumon.

Après avoir palpé, ausculté, échographi­é, j’ai demandé une radiograph­ie pulmonaire. Ayant obtenu les clichés sur mon ordinateur quelques instants plus tard, l’appareil portable de radiologie communiqua­nt directemen­t avec les serveurs cliniques par Wi-Fi, je me suis alors inquiété. C’est qu’à la base du poumon droit, près du coeur, on apercevait une lésion de nature incertaine. Peut-être inflammato­ire, infectieus­e, ou quoi encore… Un caillot ?

J’ai aussitôt texté Julie, radiologis­te de garde. Mon téléphone a aussitôt vibré en écho.

« Écoute, Julie, j’aimerais ça que tu jettes un coup d’oeil à une radio. — Oui, pour qui ?

— Doucet, une femme de 29 ans. — Je suis devant mon ordi, je l’ai. — Tu vois, à la base droite, c’est curieux, hein ?

— Y a vraiment quelque chose... — On va devoir la scanner ?

— OK, je te fais ça. »

J’ai demandé à l’infirmière un bilan sanguin, généré ma requête pour le scan, informé ma patiente des étapes à venir. Tout juste 20 minutes après, je l’ai recroisée alors qu’elle retournait en salle d’attente. Mon téléphone, à nouveau. Julie.

« Écoute, Alain, c’est vraiment spécial, même que...

J’ai ouvert les images, incertain de ce que j’apercevais.

... j’ai dû vérifier, je pense que c’est la deuxième fois que j’en trouve une.

— C’est pas une embolie ?

— Non. Imagine : une nécrose de la graisse épicardiqu­e.

— Une quoi ?

— C’est rare, ça fait une bonne question d’examen, mais on n’en voit presque jamais dans la vraie vie.

— Et dans la vraie vie, c’est grave ? — Juste un morceau de la graisse près du coeur qui se tord. Ça peut faire mal, mais il n’y a pas de danger.

— Donc, des anti-inflammato­ires. Est-ce que je demande un contrôle de scan ?

— Non. C’est douloureux, mais bénin, ça disparaît tout seul. »

J’ai remercié Julie, suis retourné voir ma patiente pour bien lui expliquer la situation, la rassurer surtout, puisqu’elle s’inquiétait toujours pour son coeur, et répondre à ses questions. Je lui ai remis une ordonnance d’anti-inflammato­ires.

La journée s’achevait, le soleil brillait bas au-dessus des maisons situées en face de l’urgence en ce dimanche encore légèrement trop chaud. Le soir même, après quatre mois un peu trop intenses de médecine COVID, j’allais enfin tomber en vacances. Je savourais déjà le moment.

J’ai terminé rapidement ma note à l’ordinateur avant de fermer ma session. De retour à mon bureau, j’ai enlevé masque et lunettes de protection, accroché mon stéthoscop­e, rangé l’échographe et serré mon cellulaire d’hôpital dans le tiroir. Et j’ai pris conscience que, ce jour-là, ça faisait exactement 30 ans que je pratiquais la médecine d’urgence.

Trente années, jour pour jour, passées à soigner, gérer, planifier, développer, chercher, commenter, écrire, parler, et même jouer au théâtre, mais toujours comme urgentolog­ue. J’ai surtout songé que la médecine d’urgence avait beaucoup changé depuis mon arrivée comme nouveau médecin à l’hôpital Pierre-Boucher, en juillet 1990, à 26 ans.

En 2020, à 56 ans, je porte maintenant mon échographe à la ceinture, j’écris toutes mes notes à l’ordinateur — une nette améliorati­on de lisibilité ! —, je texte mes consultant­s, je prescris des tests sanguins jadis inconnus, j’examine les images radiograph­iques envoyées par Wi-Fi, je consulte mes dossiers à l’écran. Un univers à la Star Trek que je n’aurais pu imaginer à mes débuts.

Mais l’essentiel, c’est qu’après toutes ces années, j’aime toujours autant mon travail. J’aime ces rencontres brèves — parfois intenses — avec les patients. J’aime les écouter, les examiner, réfléchir avec eux à leurs symptômes, m’appuyer sur l’analyse et la réflexion pour tenter de mettre le doigt sur le bobo. J’aime les soigner de mon mieux.

Sur le fond, mon travail n’a donc pas changé tant que ça. Surtout qu’il m’arrive encore de poser pour une première fois un diagnostic rare pour un trouble dont je n’avais jamais entendu parler. Et à propos duquel j’irai lire avec la curiosité d’un tout jeune médecin le soir venu.

Bon, il faisait beau ce soir-là, j’avoue que j’ai remis cette lecture à la fin des vacances.

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