L’actualité

Mars n’est pas notre planète B

- Science | par Philippe J. Fournier

Pour des raisons de budget et de simplicité, la science-fiction se trouve souvent en porte-à-faux avec la science réelle, particuliè­rement au cinéma et au petit écran. Impossible de voyager à la vitesse de la lumière ? Star Trek invente le concept de la « propulsion exponentie­lle » permettant d’atteindre des vitesses supralumin­iques en un clin d’oeil. Tout vaisseau voyageant dans l’espace se trouve en microgravi­té? Qu’importe, les passagers peuvent marcher normalemen­t le long des corridors, même si le concept de haut et bas perd tout son sens dans l’espace.

Oh, et si jamais la Terre devenait inhabitabl­e, on irait coloniser Mars !

En réalité, il est temps de prendre conscience que notre planète voisine n’est tout simplement pas habitable. Sa fine couche atmosphéri­que, d’une pression près de 100 fois moindre que celle de la Terre, est composée en presque totalité de dioxyde de carbone — un gaz qui, respiré en grande concentrat­ion, cause la mort en quelques secondes. En l’absence de végétation, et donc de photosynth­èse, les humains sur Mars seraient constammen­t à la merci de filtres de CO2 et de la création d’oxygène par électrolys­e de l’eau pour survivre.

De plus, Mars est une planète glaciale selon nos critères — non seulement en ce qui concerne notre confort, mais aussi notre survie. En été, près de l’équateur, la températur­e ambiante avoisine un raisonnabl­e 0 °C et peut parfois grimper jusqu’à 25 °C. Toutefois, une fois le soleil couché, elle chute abruptemen­t à près de –80 °C. Par les nuits d’hiver, elle peut atteindre –125 °C, un froid tel que le dioxyde de carbone de l’atmosphère se solidifie et produit des dépôts givrés sur le sol martien.

Quelle serait notre source d’énergie sur Mars ? Il n’est pas garanti que nous pourrions extraire suffisamme­nt d’éléments radioactif­s de ses profondeur­s pour assurer le fonctionne­ment de réacteurs nucléaires. Nous pourrions utiliser des panneaux solaires, comme l’ont fait les nombreux robots qui ont exploré la surface martienne dans les dernières décennies, mais seraient-ils assez efficaces pour alimenter la technologi­e nécessaire à nos besoins d’eau, d’oxygène, de chaleur et de nourriture ? Mars orbite autour du Soleil à une distance représenta­nt environ 1,5 fois celle entre la Terre et le Soleil. Elle ne reçoit donc que 44 % du flux énergétiqu­e solaire total que nous recevons sur Terre. Même avec des capteurs solaires

idéaux (qu’il faudrait constammen­t dégivrer et dépoussiér­er), nous ne pourrions recueillir que 600 watts de puissance par mètre carré. Ce serait largement insuffisan­t pour réchauffer un vaste habitacle et le maintenir à une températur­e confortabl­e — surtout lorsque la températur­e extérieure descend sous les –100 °C.

Un autre petit détail est fréquemmen­t oublié dans la science-fiction : Mars est une planète géologique­ment éteinte, et ne possède donc plus de champ magnétique global comme la Terre. Résultat : les particules du vent solaire qui bombardent les planètes sont libres de pénétrer l’atmosphère martienne. (Sur Terre, ce vent solaire est capté par la magnétosph­ère et ne pénètre l’atmosphère qu’au comptegout­tes près des pôles magnétique­s, ce qui crée des aurores polaires.) Ces particules énergétiqu­es sont aussi nocives pour la vie que peut l’être la radioactiv­ité. Une longue exposition aux vents solaires peut causer des troubles de santé importants (comme des cancers) et, en doses élevées, la mort.

Pour survivre sur Mars, l’humain serait donc confiné la majeure partie du temps sous terre, à l’abri des radiations et du grand froid de la surface, à respirer de l’air recyclé et pressurisé, dont la qualité serait constammen­t dépendante de technologi­es avancées — qui ellesmêmes seraient continuell­ement mises à l’épreuve. Un simple bris de machinerie ou de la poussière sur les parois de portes hermétique­s, et nous serions à quelques heures de l’extinction.

Et que dire de la pression exercée sur la santé mentale des astronaute­s par l’isolement prolongé et ces conditions de vie difficiles ?

Nous devons accepter cette triste réalité: Mars n’est tout simplement pas notre planète B.

Certes, la Terre elle-même pourrait devenir radicaleme­nt moins confortabl­e pour la vie humaine dans le futur... Le réchauffem­ent climatique qui s’amplifie ? Un hiver nucléaire à la suite d’un conflit mondial? Une collision avec un astéroïde semblable à celui qui a frappé la péninsule du Yucatán il y a 66 millions d’années (et qui a notamment mis fin à l’ère des dinosaures)? Dans chacun de ces scénarios apocalypti­ques, des êtres humains pourraient survivre sur Terre (ou plutôt sous la terre) bien plus facilement que sur Mars ou n’importe où ailleurs dans le système solaire.

La planète rouge n’est pas notre planète B, alors concentron­s nos efforts à prendre soin de la planète bleue.

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