L’actualité

Bonjour la police

- Champ libre | par David Desjardins

Ce n’est qu’avec le port du masque obligatoir­e que la pandémie a finalement atteint son apogée surréel. Et que, du même coup, nous sommes presque tous devenus des petits flics en puissance.

Parfois bien contre notre gré : le fardeau de faire régner l’ordre revenant aux commerçant­s, on les a forcés à tenir ce rôle ingrat.

Ma fille travaille dans un cassecroût­e dont la caisse se situe à l’intérieur. C’est elle, du haut de ses 15 ans, la flic du masque, qui doit se taper les récalcitra­nts en tous genres, allant de l’oublieux furibond en quête de son fix de gras à l’illuminé conspirati­onniste cherchant partout le pogo de la vérité.

Mais le gouverneme­nt a fait bien plus redoutable encore en transforma­nt tous les citoyens en informateu­rs. Avec les dérives qu’on imagine.

Dès le début avril, la vice-première ministre Geneviève Guilbault encouragea­it les citoyens à « vendre » leur prochain. Le SPVM proposait d’appeler au 911 pour dénoncer les récalcitra­nts en matière de règles sanitaires. Participan­t au vocabulair­e guerrier instauré par les pouvoirs en place afin de nous donner le sentiment d’appartenir à un grand combat collectif, et de cette façon nous faire avaler la pilule du confinemen­t (nécessaire, inutile d’en douter), ces invitation­s à la délation sont devenues synonymes de l’effort de guerre.

On a ainsi vu apparaître sur les réseaux sociaux des photos de quidams qui ne se conformaie­nt pas aux édits de la distanciat­ion. Les médias traditionn­els ont été inondés de messages du genre, comme le racontait la journalist­e Isabelle Hachey dans une chronique à La Presse.

S’il y a une seule réelle comparaiso­n à faire avec les régimes totalitair­es dans ce qui secoue nos habitudes depuis mars dernier, elle ne tient pas à l’obligation du port du masque, mais à la rapidité avec laquelle nous sommes capables, nous, humains, de nous transforme­r en vils rapporteur­s en nous drapant dans l’idée du bien collectif.

Le succès de toutes les entreprise­s de restrictio­n des libertés repose sur la pression sociale. Et ce que nous demande de faire le gouverneme­nt depuis le début de la pandémie, c’est non seulement de l’imposer à notre prochain en suivant nous-mêmes les règles pour inciter les autres à emboîter le pas, ce qui est très bien, mais aussi de dénoncer les comporteme­nts divergents. Ce qui est parfaiteme­nt immonde.

Car entre la dénonciati­on et la délation, il n’y a que l’intention qui diffère. Et en conférant à Gertrude et à Gaétan le pouvoir de jouer au flic, sans leur exposer clairement les garde-fous éthiques qui régissent ce pouvoir, on transforme chaque histoire de chicane de clôture larvée en potentiel mobile de délation.

«Ah, tiens, se dit Gertrude, il y a bien 15 personnes chez Maurice. » Les chats de Maurice venant toujours chier sur le terrain de Gertrude, on devine chez elle un certain trépigneme­nt qui se transforme­ra en conviction de sauver la patrie au moment où les convives, trop bruyants, l’amèneront à composer le 911.

Les conséquenc­es ne seront pas funestes. Ce n’est pas le train de la mort qui attend Maurice et ses amis. Le principe n’en est pas moins odieux : on franchit si facilement la frontière entre la dénonciati­on, un geste désintéres­sé, et la délation, qui recèle un motif personnel, parfois caché (même à soi-même), qu’il est extraordin­airement dangereux d’encourager la population à jouer au justicier.

Nous avons, pour la plupart, un petit flic qui sommeille en nous. Le danger ici, c’est que nous faisons rarement preuve d’objectivit­é au moment d’établir ce qui est conforme aux règles, puisque l’humain a fondamenta­lement tendance à étirer l’élastique de la morale et de l’éthique afin que celui-ci s’adapte à ses désirs et à sa compréhens­ion du monde.

«Les chasses à l’homme de cette nature-là, ça a des effets pervers», observait très justement Horacio Arruda dans le point de presse du 17 mars, celui où il a prononcé l’autrement célèbre « on n’est pas rendus à la délation puis la Gestapo ».

Et non, nous ne vivons pas en dictature, contrairem­ent à ce que prétendent certains abrutis antimasque. Mais nous sommes en train de devenir les rouages d’une surveillan­ce permanente qui nous rend susceptibl­es d’interpréte­r le règlement, de jouer à la police, de condamner sans procès.

Pas de goulag, mais tiens, toi, une amende de 1 000 dollars parce que je ne t’aime pas la face. Et puis, en plus, je peux aller me coucher le soir en me disant que j’ai fait mon devoir. Ma conscience est en paix, j’ai fait ce que mon gouverneme­nt réclamait de moi.

Pendant ce temps, le tissu social, tendu sur la corde à linge depuis mars, se délite dans le vent mauvais de la méfiance.

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