CANADA 150 : BRIELLE BEARDY LUI TOURNE LE DOS
UNE GÉNÉRATION FÂCHÉE
Brielle Beardy tourne son dos à la statue commémorant les Célèbres cinq, Nellie McClung, Emily Murphy, Henrietta Muir Edwards, Irene Parlby et Louise McKinney, qui se sont battues pour le droit de vote des femmes, obtenu au Manitoba en 1916. Un évènement célèbre dans l’histoire des 150 ans de la Confédération.
Les Autochtones, eux, ont dû attendre jusqu’en 1960 pour obtenir le droit de vote.
Emily Murphy, comme d’autres membres du « Famous Five » était ouvertement raciste. Avec Nellie McClung, elle a aidé à faire adopter le « Alberta Sexual Sterilization Act » en 1928, qui mandatait en Alberta la stérilisation de personnes jugées comme ayant une composition génétique inférieure. La loi a été abolie en 1972.
En mars dernier, Brielle Beardy avait été invitée à participer à la conférence Héritières du Suffrage, à Ottawa, qui accueille une femme de 18 à 23 ans en provenance de chacune des 338 circonscriptions fédérales du Canada.
Brielle Beardy milite pour les droits des personnes autochtones et des personnes LGBTQ2. Elle parle d’une génération fâchée.
Question et réponses sur son point de vue par rapport au 150e anniversaire de la Confédération du Canada.
Militante pour les droits des Autochtones et des personnes LGBTQ2, Brielle Beardy affirme : « Ma génération, les jeunes, nous voyons le besoin de décoloniser le Canada. Nous sommes nés politisés, nous n’avons pas le choix si nous voulons améliorer nos conditions de vie. »
Brielle Beardy de la Nation crie de Nisichawayasihk, à l’Ouest de Thompson, revendique les droits des peuples autochtones du Canada depuis qu’elle s’est engagée en politique avec le mouvement Idle No More en 2012. Pour elle, le silence du 150e anniversaire de la Confédération sur le colonialisme est lugubre.
Questions et réponses. Que représente le 150e anniversaire du Canada pour vous?
Ces 150 dernières années ont été marquées par le rude combat des peuples autochtones pour les droits humains les plus fondamentaux. Le Canada a été fondé par le colonialisme. Nos peuples ont été forcés à vivre sur des bouts de terres qu’ils n’avaient pas choisis. Cela nous a empêché de vivre comme on a toujours vécu.
Le peuple cri de Nisichawayasihk, d’où je viens, est historiquement nomade. Nous nous déplacions avec les troupeaux. Ensuite, le gouvernement nous a forcés à rester dans un lieu géographique. Ça a été désastreux pour notre mode de vie.
Vers le début des années 1900, la première église a été bâtie sur nos terres. La croix a remplacé nos tambours, nos hochets, et nos cérémonies traditionnelles.
Mes parents et mes grandsparents ont passé des années dans les pensionnats autochtones.
Pour moi, Canada 150 signifie : la tentative d’assassiner les peuples autochtones qui a duré 150 ans.
Certains vont célébrer Canada 150 en parlant de liberté et d’égalité. Mais cette liberté et cette égalité s’appliquent seulement à une poignée de personnes bénéficiant de privilèges systémiques.
Vous avez aussi revendiqué les droits des personnes LGBTQ2 …
Je suis une femme transgenre. Il y a très peu de tolérance envers les personnes LGBTQ2 de la part de nos communautés. On parle d’épidémie de suicides chez les jeunes dans les réserves. Ce qu’on ne dit pas c’est que pour la plupart, ces jeunes sont LGBTQ2.
Nous sommes aussi des cibles d’abus sexuel. Pour beaucoup, le fait même que je sois trans est un nouveau concept.
Ça n’a pas toujours été le cas. Historiquement dans notre culture, les personnes LGBTQ2 étaient respectées, voire privilégiées. Ce statut découle du fait que les personnes LGBTQ2 étaient vues comme ayant à la fois les forces des femmes et des hommes.
C’est l’introduction du christianisme qui a éradiqué ce côté-là de notre culture. Si aujourd’hui l’Église catholique n’est pas à l’aise avec les orientations sexuelles et les genres divers, ça a été bien pire au cours des 150 dernières années.
Les enfants autochtones qui manifestaient leur côté LGBTQ2 étaient immédiatement punis, et souvent battus.
Comment voyez-vous les 150 prochaines années pour les peuples autochtones du Canada?
Il y a un fossé générationnel. J’ai 23 ans. Ma génération, les jeunes, nous voyons le besoin de décoloniser le Canada. Nous sommes nés politisés, nous n’avons pas le choix si nous voulons améliorer nos conditions de vie. Beaucoup de nos parents, eux, ont honte. Ils acceptent la misère, et n’en parlent jamais à cause du traumatisme des pensionnats autochtones. Mais nous les jeunes, nous sommes fâchés. Nous ne supportons pas les conditions dans lesquelles nos peuples doivent vivre.
Les gouvernements brisent leurs promesses. Le « colonialisme plus doux » du Parti libéral du Canada préserve la discrimination actuelle. L’enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées ne trouve pas de réponses à nos questions.
Je crois donc qu’il est essentiel que des personnes autochtones remettent la main sur l’espace politique du pays. L’élection d’une personne autochtone à la législature ou au parlement est une déclaration audacieuse.
Je vais moi-même tenter de me présenter à l’élection provinciale de 2020 pour le siège de Thompson.