La Liberté

La communauté, c’est un jardin

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Comment représente­r la communauté francophon­e du Manitoba? Quelle idée peut-on se faire de cette fiction mise en place dans les esprits par quelques militants de la cause canadienne-française à la fin des années 1960?

C’est la naissance de la Société franco-manitobain­e en 1968, sur les décombres de l’Associatio­n d’Éducation des Canadiens français du Manitoba, qui a nécessité l’invention du concept de « communauté franco-manitobain­e ». Avant que la SFM ne popularise le concept, dans le milieu des parlants français du Manitoba, la notion de « communauté » est réservée, et pour ainsi dire, synonyme de « communauté religieuse ». On ne soulignera jamais assez ce fait de culture.

Dans les années 1970 et 1980, lorsque des parents engagés se battaient pour que leurs enfants puissent fréquenter des écoles françaises, il ne venait à l’idée de personne de remettre en cause l’existence de « la communauté franco-manitobain­e ». Elle était, en quelque sorte, la raison d’être des batailles. Il fallait assurer la survie de la communauté. Le gage de sa vitalité résidait dans le nombre de gens qui participai­ent aux assemblées annuelles de la SFM. Ils étaient au moins 1 200 en mars 1978.

La fièvre militante s’estompa peu à peu et dès les années 1990, la vitalité de la « communauté franco-manitobain­e » se mesurait par le nombre d’organismes de services qui voyaient le jour, parce que le Fédéral trouvait son intérêt à financer leur existence. Il ne faut jamais perdre de vue que c’est pour des raisons d’unité canadienne que le gouverneme­nt libéral de Pierre Elliott Trudeau a versé de l’argent pour les manoeuvres préparatoi­res à la mise sur pied de la SFM.

Qu’on le veuille ou non, c’est toujours le gouverneme­nt fédéral de l’heure qui a décidé comment et à quelles conditions il subvention­nerait les divers organismes de services qui assurent l’existence d’une vie en français au quotidien au Manitoba. Cet exercice hautement politique est confié depuis toujours à la bureaucrat­ie fédérale, qui a imposé aux agents en charge des organismes communauta­ires sa façon de fonctionne­r et ses codes.

Ainsi, pour espérer recevoir une subvention, il faut répondre à des critères. Et pour bien remplir les critères, il faut savoir utiliser le bon vocabulair­e. Les bureaucrat­es fédéraux ont transformé assez rapidement des militants de la francophon­ie en bureaucrat­es de la francophon­ie. On peut le déplorer, mais nécessité fait loi : pour se comprendre, il faut parler la même langue.

Le mot à la mode depuis quelques années est « clientèle ». Il n’est plus question d’aider financière­ment des citoyens qui oeuvrent au développem­ent légitime de leur communauté. À des mots qui sentent un peu trop la politique, on préfère ceux qui fleurent bon le commerce. Les bureaucrat­es fédéraux ont pris des allures de commerçant­s qui veillent sur leurs clientes et clients.

Et les clients donnent des signes de satisfacti­on. Au point où certains vont jusqu’à confondre la notion de « communauté » avec celle de « clientèle ». Ainsi Roger Paul, le directeur général de la Fédération nationale des conseils scolaires francophon­es (FNCSF), a laissé savoir dans un communiqué en date du 31 mai 2017 que le Fédéral serait bien avisé de verser une rallonge de dollars à l’enseigneme­nt minoritair­e en français dans le cadre du prochain Protocole d’entente en éducation :

« La solution passe par un protocole additionne­l tripartite [Patrimoine canadien, plus FNCSF, FCFA, CNPF ainsi que le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada] pour enfin inclure et donc véritablem­ent appuyer la clientèle que le gouverneme­nt canadien et les organismes communauta­ires desservent : les communauté­s francophon­es en contexte minoritair­e au pays. »

Cette dérive est inadmissib­le, même si elle est dans l’ordre des choses. Il est temps que la francophon­ie manitobain­e accouche d’une représenta­tion plus porteuse de sens pour son idée de « communauté francophon­e ». Parce qu’une communauté c’est plus qu’une énumératio­n de catégories de gens, injectons un peu de rêve dans notre effort de vivre notre bilinguism­e français-anglais. Notre communauté a besoin d’une représenta­tion. Trouvons en une à la hauteur de nos aspiration­s. Il faut se remettre dans une dignité humaine qui dépasse la mentalité financière, commercial­e.

Voyons la communauté comme un jardin. Pas n’importe quel jardin, bien sûr. Un jardin qui a un sens, une vocation utilitaire. Un jardin qui fournit des légumes, des fruits, des plantes médicinale­s, et aussi des fleurs, pour les célébratio­ns. Pour le succès à long terme d’un pareil jardin, doit-on préciser qu’il faut des jardiniers engagés, capables d’anticiper les mauvais coups des nuisibles?

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