La Liberté

CITATION DE LA SEMAINE

- Daniel BAHUAUD redaction@la-liberte.mb.ca

« Il reste à savoir si une politique d’éthique conforme aux croyances catholique­s d’un hôpital pourrait un jour être limitée par un jugement légal. Elle pourrait bel et bien être pleinement reconnue. »

Me Florence Carey, avocate experte en droit corporatif, rappelle qu’il n’a pas encore été déterminé si une corporatio­n, comme la Corporatio­n catholique de la santé du Manitoba, jouit du droit de la liberté de religion.

La Corporatio­n catholique de la santé du Manitoba a-t-elle le droit d’appliquer les principes de l’éthique catholique à l’Hôpital Saint-Boniface, et d’interdire en particulie­r l’aide médicale à mourir dans cet établissem­ent? Me Florence Carey, avocate experte en droit corporatif estime que la question est loin d’être clairement résolue.

Me Florence Carey note d’entrée de jeu que l’Hôpital SaintBonif­ace n’est pas le seul établissem­ent au Canada à interdire l’aide médicale à mourir.

« L’Hôtel Dieu à Kingston et l’Hôpital St. Joseph à London, deux établissem­ents ontariens, ainsi que l’Hôpital St. Joseph à Comox en ColombieBr­itannique affichent clairement leur éthique catholique. À Winnipeg, l’Hôpital Concordia, de confession mennonite, a également interdit l’aide médicale à mourir. Ces institutio­ns sont confiantes que leur position relève de leurs droits. »

Mais est-ce vraiment le cas? L’avocate Carey rappelle qu’au Canada, « une corporatio­n est légalement reconnue comme étant une personne ». Il y aurait cependant des nuances.

« Évidemment, une corporatio­n n’est pas un individu. Elle n’aurait pas les droits établis dans l’Article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, comme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne.

« Il reste cependant à voir si une corporatio­n aurait droit aux libertés fondamenta­les accordées aux individus dans l’Article 2 de la Charte, notamment la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. À l’heure actuelle, aucune décision juridique n’a explicitem­ent accordé ces droits aux corporatio­ns. »

En effet, en 2015, la Cour suprême du Canada a jugé que la Loyola High School, une école catholique montréalai­se pour garçons, avait le droit de présenter des renseignem­ents sur les religions du monde sous une perspectiv­e catholique. « Une perspectiv­e neutre aurait lésé la liberté religieuse accordé à l’école en tant qu’organisme catholique, en vertu de l’Article 2 de la Charte. Mais tout en jugeant ainsi, les juges n’ont pas déterminé si une corporatio­n doit jouir de la liberté de religion. La question demeure donc ouverte. »

Un fait intéressan­t est que dans le cas du Loyola High School contre le Québec (Procureur général), une minorité des juges était de l’avis qu’une corporatio­n avait bel et bien droit à la liberté religieuse.

Me Florence Carey élabore : « Trois juges, y compris Beverly McLachlin, la juge en chef, ont proposé cependant que seules les corporatio­ns ayant des objectifs religieux devraient être éligibles au droit à la liberté religieuse. Dans cette perspectiv­e, la Steinbach Credit Union, bien que fondée initialeme­nt par des Mennonites, n’aurait pas droit à la liberté religieuse, puisqu’elle a été constituée pour assurer un service financier.

« Bien entendu, il ne s’agit que d’une suggestion d’une minorité de juges. La suggestion ne crée aucun précédent. »

Certains accordent toutefois du mérite à la perspectiv­e des trois juges. En 2016, Daphne Gilbert, une professeur­e au Centre du droit de la santé, des politiques et de l’éthique de l’Université d’Ottawa, a soutenu que les hôpitaux ne sont pas des établissem­ents religieux, en faisant appel aux remarques des trois juges du cas Loyola High School contre le Québec (Procureur général). À son avis, puisqu’un hôpital n’a pas comme objectif principal la religion, un établissem­ent comme l’Hôpital Saint-Boniface, bien que catholique, devrait offrir l’aide médicale à mourir.

Si la question des droits et libertés religieuse­s d’une corporatio­n demeure ouverte, Me Florence Carey note cependant que « des juges ont parfois limité les libertés de groupes religieux pour assurer la protection de la société, en évoquant l’Article 1 de la Charte. (1)

« En 2009, la Cour suprême du Canada a jugé que les membres d’une colonie d’Huttérites en Alberta ne pouvaient pas refuser de se laisser prendre en photo à cause de ses croyances religieuse­s entourant les images et l’idolâtrie. (ndlr : le cas Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony). Les photos étaient jugées essentiell­es par la Cour.

« Il reste à savoir si une politique d’éthique de la santé conforme aux croyances catholique­s d’un hôpital pourrait un jour être limitée par un jugement légal. Elle pourrait bel et bien être pleinement reconnue. Dans notre système du Common Law, les juges, a priori, cherchent à tenir les perspectiv­es et les droits respectifs en équilibre.

« Et rappelons qu’à l’heure actuelle, il n’a pas été déterminé si l’aide médicale à mourir est bel et bien un droit. Le jugement de la Cour suprême de février 2015 dans le Cas Carter a tout simplement décriminal­isé la partie b de la Section 241 du Code criminel, qui déclarait criminelle toute personne qui aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort. Décriminal­iser une action ne signifie pas que cette action constitue un droit. »

(1) L’Article 1 déclare que : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnabl­es et dont la justificat­ion puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratiq­ue. »

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Archives La Liberté Me Florence Carey : « Il reste à savoir si une politique d’éthique de la santé conforme aux croyances catholique­s d’un hôpital pourrait un jour être limitée par un jugement légal. Il pourrait bel et bien être affirmé. »
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