CITATION DE LA SEMAINE
« Il reste à savoir si une politique d’éthique conforme aux croyances catholiques d’un hôpital pourrait un jour être limitée par un jugement légal. Elle pourrait bel et bien être pleinement reconnue. »
Me Florence Carey, avocate experte en droit corporatif, rappelle qu’il n’a pas encore été déterminé si une corporation, comme la Corporation catholique de la santé du Manitoba, jouit du droit de la liberté de religion.
La Corporation catholique de la santé du Manitoba a-t-elle le droit d’appliquer les principes de l’éthique catholique à l’Hôpital Saint-Boniface, et d’interdire en particulier l’aide médicale à mourir dans cet établissement? Me Florence Carey, avocate experte en droit corporatif estime que la question est loin d’être clairement résolue.
Me Florence Carey note d’entrée de jeu que l’Hôpital SaintBoniface n’est pas le seul établissement au Canada à interdire l’aide médicale à mourir.
« L’Hôtel Dieu à Kingston et l’Hôpital St. Joseph à London, deux établissements ontariens, ainsi que l’Hôpital St. Joseph à Comox en ColombieBritannique affichent clairement leur éthique catholique. À Winnipeg, l’Hôpital Concordia, de confession mennonite, a également interdit l’aide médicale à mourir. Ces institutions sont confiantes que leur position relève de leurs droits. »
Mais est-ce vraiment le cas? L’avocate Carey rappelle qu’au Canada, « une corporation est légalement reconnue comme étant une personne ». Il y aurait cependant des nuances.
« Évidemment, une corporation n’est pas un individu. Elle n’aurait pas les droits établis dans l’Article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, comme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne.
« Il reste cependant à voir si une corporation aurait droit aux libertés fondamentales accordées aux individus dans l’Article 2 de la Charte, notamment la liberté de conscience et de religion, la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. À l’heure actuelle, aucune décision juridique n’a explicitement accordé ces droits aux corporations. »
En effet, en 2015, la Cour suprême du Canada a jugé que la Loyola High School, une école catholique montréalaise pour garçons, avait le droit de présenter des renseignements sur les religions du monde sous une perspective catholique. « Une perspective neutre aurait lésé la liberté religieuse accordé à l’école en tant qu’organisme catholique, en vertu de l’Article 2 de la Charte. Mais tout en jugeant ainsi, les juges n’ont pas déterminé si une corporation doit jouir de la liberté de religion. La question demeure donc ouverte. »
Un fait intéressant est que dans le cas du Loyola High School contre le Québec (Procureur général), une minorité des juges était de l’avis qu’une corporation avait bel et bien droit à la liberté religieuse.
Me Florence Carey élabore : « Trois juges, y compris Beverly McLachlin, la juge en chef, ont proposé cependant que seules les corporations ayant des objectifs religieux devraient être éligibles au droit à la liberté religieuse. Dans cette perspective, la Steinbach Credit Union, bien que fondée initialement par des Mennonites, n’aurait pas droit à la liberté religieuse, puisqu’elle a été constituée pour assurer un service financier.
« Bien entendu, il ne s’agit que d’une suggestion d’une minorité de juges. La suggestion ne crée aucun précédent. »
Certains accordent toutefois du mérite à la perspective des trois juges. En 2016, Daphne Gilbert, une professeure au Centre du droit de la santé, des politiques et de l’éthique de l’Université d’Ottawa, a soutenu que les hôpitaux ne sont pas des établissements religieux, en faisant appel aux remarques des trois juges du cas Loyola High School contre le Québec (Procureur général). À son avis, puisqu’un hôpital n’a pas comme objectif principal la religion, un établissement comme l’Hôpital Saint-Boniface, bien que catholique, devrait offrir l’aide médicale à mourir.
Si la question des droits et libertés religieuses d’une corporation demeure ouverte, Me Florence Carey note cependant que « des juges ont parfois limité les libertés de groupes religieux pour assurer la protection de la société, en évoquant l’Article 1 de la Charte. (1)
« En 2009, la Cour suprême du Canada a jugé que les membres d’une colonie d’Huttérites en Alberta ne pouvaient pas refuser de se laisser prendre en photo à cause de ses croyances religieuses entourant les images et l’idolâtrie. (ndlr : le cas Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony). Les photos étaient jugées essentielles par la Cour.
« Il reste à savoir si une politique d’éthique de la santé conforme aux croyances catholiques d’un hôpital pourrait un jour être limitée par un jugement légal. Elle pourrait bel et bien être pleinement reconnue. Dans notre système du Common Law, les juges, a priori, cherchent à tenir les perspectives et les droits respectifs en équilibre.
« Et rappelons qu’à l’heure actuelle, il n’a pas été déterminé si l’aide médicale à mourir est bel et bien un droit. Le jugement de la Cour suprême de février 2015 dans le Cas Carter a tout simplement décriminalisé la partie b de la Section 241 du Code criminel, qui déclarait criminelle toute personne qui aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort. Décriminaliser une action ne signifie pas que cette action constitue un droit. »
(1) L’Article 1 déclare que : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »