La Liberté

Le projet de loi 34 renforce l’objection de conscience

- Presse2@la-liberte.mb.ca JS Valentin CUEFF JS JS JS

« L’objection de conscience » des profession­nels de la santé est au coeur d’un nouveau projet de loi déposé le 16 mai à l'Assemblée législativ­e du Manitoba par le ministre de la Santé, Kelvin Goertzen.

Ce projet de loi 34, actuelleme­nt en deuxième lecture, donnerait aux médecins et infirmière­s la garantie que, s’ils refusent de pratiquer l’aide médicale à mourir en raison de leurs croyances personnell­es, ils ne s’exposeraie­nt à aucune conséquenc­e profession­nelle. D’après Joshua Shaw, juriste employé par le Gouverneme­nt de l’Ontario, spécialisé dans l’analyse et le conseil en matière de politique de santé, cette loi ne viendrait combler aucun vide législatif.

Joshua Shaw précise qu’il exprime ici son point de vue personnel, et non celui du Gouverneme­nt de l’Ontario.

Pouvez-vous donner une définition de l’objection de conscience?

Joshua Shaw (JS) : L’objection de conscience, en médecine, intervient lorsqu’un profession­nel de la santé décide qu’un plan de traitement d’un patient va à l’encontre de ses croyances personnell­es, et refuse d’y prendre part. C’est souvent lié à la religion. Cela implique que, sans l’objection de conscience, les droits religieux de cette personne ne seraient pas respectés.

La loi fédérale sur l’aide médicale à mourir, adoptée il y a un an (1), mentionnai­t-elle l’objection de conscience?

: La loi fédérale n’entrait pas dans les détails. Lorsque le texte était en discussion, un comité parlementa­ire a publié un rapport qui contenait, entre autres, deux recommanda­tions : la première était que le gouverneme­nt du Canada devrait travailler avec les Provinces et Territoire­s et leurs corps médicaux, pour établir un processus d’aide médicale à mourir qui respectera­it à la fois la conscience des praticiens et les besoins du patient.

La seconde recommanda­tion était que le gouverneme­nt du Canada devrait aussi travailler avec les Provinces et Territoire­s pour s’assurer que toutes les institutio­ns hospitaliè­res publiques puissent fournir l’aide médicale à mourir.

La loi actuelle, qui est passée en juin 2016, ne reprend que la première recommanda­tion, en partie. On trouve donc désormais dans le Code criminel un paragraphe (241.2.9, ndlr) qui stipule que rien n’oblige une personne à fournir ou à aider à fournir ce soin. La loi fédérale le mentionnai­t donc, tout en laissant aux Provinces et aux Territoire­s, aux Collèges des médecins et des infirmiers et infirmière­s, le soin d’encadrer plus en détails l’objection de conscience. »

Dans ce cas, qu’est-ce que cette loi changerait, si adoptée, pour les profession­nels de la santé?

: Je ne pense pas que la loi 34 changerait beaucoup les choses. Je pense que ce projet de loi duplique ce qui est déjà en vigueur, selon la politique du Collège des médecins et chirurgien­s du Manitoba. Dans leur règlement, on trouve une section consacrée à l’objection de conscience dans le cadre de l’aide médicale à mourir, dans laquelle il est précisé qu’un praticien n’a pas l’obligation de participer au processus. De leur côté, l’Ordre des infirmière­s et infirmiers du Manitoba possède déjà des normes de pratique qui les autorisent à refuser d’assister le processus.

Ce projet de loi 34 ne répond donc pas vraiment à un vide législatif. Elle m’apparaît plus comme un geste symbolique.

Pour quelles raisons le ministère de la Santé mettrait-il en place cette loi, si une politique sur l’objection de conscience existe déjà?

: Il peut y avoir plusieurs raisons. Peut-être la possibilit­é que la position des Collèges et Ordres du personnel médical vis-à-vis de l’objection de conscience évolue, et qu’ils ne l’appliquent plus. Le gouverneme­nt voudrait donc s’assurer que cette politique n’est pas seulement une règle du Collège des médecins, qui peut changer facilement, mais qu’elle s’inscrive dans la durée et soit plus difficile à enlever.

Ce projet de loi peut aussi être une mesure symbolique, pour répondre à un problème qui semble important à une partie de l’électorat. Bien entendu, cette loi donnerait des obligation­s légales, ce n’est pas juste symbolique. Mais compte tenu du fait que les différents collèges et ordres profession­nels ont déjà réglé la question, soit elle vient rendre l’objection de conscience plus pérenne, soit elle entend répondre à des inquiétude­s du public.

Pour rejoindre une actualité récente, l’Hôpital de Saint-Boniface a récemment interdit la pratique de l’aide médicale à mourir. Où s’arrête l’objection de conscience d’un médecin et où commence le devoir d’un hôpital de soigner les personnes qui s’y présentent?

: Je veux mentionner le fait que le cas de l’Hôpital Saint-Boniface est différent parce qu’il s’agit d’une institutio­n publique, et non pas d’un individu qui refuse de pratiquer un traitement (2).

La décision du conseil d’administra­tion de l’Hôpital Saint-Boniface est une interdicti­on, dans l’institutio­n entière, pour ses patients, d’accéder à l’aide médicale à mourir. L’idée qu’un des hôpitaux majeurs de Winnipeg ne puisse pas fournir ce service pourrait avoir un impact significat­if sur les patients, qui ont le droit d’accéder à l’aide médicale à mourir. Cela pourrait contribuer à plus de souffrance­s chez les patients qui devront être transférés, et retardés dans l’accès à ce traitement. Cela pourrait aggraver leur situation plutôt qu’y remédier.

Il existe des façons de minimiser l’impact sur le patient et accommoder les intérêts des profession­nels de santé. Dans le cas d’une interdicti­on de l’aide médicale à mourir sur une institutio­n entière, de plus soutenue par des finances publiques, c’est quelque chose de douteux, d’un point de vue légal et moral.

(1) La Loi modifiant le Code criminel et apportant des modificati­ons connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) a été sanctionné le 17 juin 2017.

(2) Autre point de vue de Me Florence Carey à lire en page 7.

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Photo : Gracieuset­é Joshua Shaw Joshua Shaw est un juriste manitobain qui travaille actuelleme­nt en Ontario. Il estime que le projet de loi 34 sur l’objection de conscience des médecins et infirmière­s n’aura pas d’impact significat­if sur leur profession.
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