La Liberté

DUBÉ, L’IRRÉVÉRENC­IEUX

- Gavin BOUTROY presse8@la-liberte.mb.ca

« Certains font de l’art pour glorifier la nation ou la patrie. Pour moi ce n’est pas de l’art. » Entretien avec JeanPierre Dubé à l’occasion du lancement de son nouvel ouvrage iconoclast­e, L’Évangile de

Louis Riel, publiée aux Éditions du Péricarde.

Lancement du nouveau livre de Jean-Pierre Dubé, L’Évangile de Louis Riel (1) aux Éditions du Péricarde. Cet ouvrage hybride s’étend de la sociologie à la critique littéraire, en passant par la généalogie de l’auteur, afin de remettre en question le rôle culturel et historique du « fondateur du Manitoba ». Entretien avec un écrivain qui n’a pas peur de l’irrévérenc­e.

La Liberté : Pouvez-vous situez le contexte du début de cet ouvrage?

JPD : J’ai commencé début 2015. Il y a eu un élément déclencheu­r : la tuerie de Charlie Hebdo. (ndlr: Le 7 janvier 2015, des extrémiste­s islamistes abattent onze personnes dans les locaux parisien de l’hebdomadai­re satirique Charlie Hebdo, supposémen­t parce que le journal aurait manqué de respect au prophète Mohammed.)

J’apprenais dans un aéroport européen qu’on avait tué des journalist­es et des illustrate­urs. Journalist­e moi-même, je me suis senti concerné par cette réaction extrême contre ma profession, dont le devoir est parfois l’irrévérenc­e. C’est cela qui a réveillé en moi l’urgence de dénoncer.

En quoi consiste votre irrévérenc­e?

JPD : Il y a une chose difficile dans l’histoire du Manitoba et des Métis. C’est le poids de l’échec, de l’injustice, de l’humiliatio­n de Louis Riel, qui fait encore mal aujourd’hui. J’ai cherché la vérité sur ce passé encore présent. Les gens ont tendance à nier cette histoire, à l’embellir, ou même à raconter des histoires fausses.

Je ne m’étais jamais encore intéressé à Louis Riel, mais à un moment donné, j’ai entendu trop d’exagératio­ns et je me suis dit, il faut que je fasse ma recherche. C’était une réaction de journalist­e. Je suis de descendanc­e métisse, donc cette réaction n’était pas dans ma tête, elle venait plutôt de mes tripes. Je n’étais pas neutre.

Vous parlez beaucoup du côté messianiqu­e de Louis Riel...

JPD : Une de mes sources principale­s est Le messianism­e de Louis Riel de Gilles Martel. C’est un sociologue de la religion, donc il étudie les conditions économique­s, culturelle­s et environnem­entales qui entourent la religion. Il s’intéresse en particulie­r au cheminemen­t religieux d’une société en crise.

Il relève un réflexe : le besoin d’un sauveur. Dans le cas du Manitoba, ce sauveur est Louis Riel. Il faut se souvenir que le Riel de 1869 n’est pas le Riel de 1885. Sa maladie mentale progresse et, avec, son sens de mission : sauver un peuple.

À la fin, il a fondé une théocratie en Saskatchew­an. Il se prenait pour un messie. Quand il est monté sur l’échafaud, il était persuadé qu’il allait ressuscite­r. Il avait même écrit une prière pour que ses fidèles puissent l’invoquer. Il serait l’égal de Jésus Christ.

Qu’avez-vous découvert dans vos recherches?

JPD : Entre autres, il y avait un schisme dans la résistance métisse de 1869-70. On présente Louis Riel comme chef incontesté des Métis, mais c’était plutôt une marionnett­e du clergé. Il y avait des Métis qui n’étaient pas catholique­s français.

C’est là qu’intervient l’histoire de ma famille. J’avais un arrièrearr­ière grand-oncle qui était un chef métis opposé à Riel, il s’appelait William Dease, fils de bourgeois irlandais de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Au creux du conflit de 1869, il avait même travaillé avec Thomas Scott. (ndlr: Thomas Scott était un orangiste condamné en cour martiale et exécuté par le gouverneme­nt provisoire de Riel) C’était une découverte troublante.

Vous écriviez alors votre histoire, ainsi que l’histoire de la province.

JPD : La portion autobiogra­phique est difficile; l’idée de messianism­e a eu un effet dans ma famille, comme dans nombre de familles catholique­s francophon­es du Manitoba.

Il ne faut pas remonter à Louis Riel. Je pense à la réaction à la crise sociale et culturelle de la révolution sexuelle des années 1960-70. Les gens se disaient : « La vertu de notre société est menacée. » Ils ont eu le réflexe d’un retour en arrière.

Je crois que nombre de Franco-Manitobain­s et de Métis vivent encore une crise. Ils ne savent pas s’ils ont une place dans l’avenir.

Vous avez parlé du cheminemen­t d’une société en crise, nous offrez-vous des solutions?

JPD : Absolument, et ce que je propose peut paraître difficile pour ceux qui vivent dans un noyau. Il faut faire face au passé, arrêter de se raconter des histoires. Il n’y aura ni miracle ni sauveur ici.

Beaucoup d’écrits sur Louis Riel sont des interpréta­tions artistique­s ou historique­s de sa significat­ion subjective. Vous tentez de présenter un portrait objectif du personnage...

JPD : Tout à fait, 30 à 40 % de mon livre est scientifiq­ue. J’ai accordé une grande importance à utiliser des sources sûres, afin de remettre en question des interpréta­tions de Louis Riel. Cela dit, je précise : Je n’ai pas écrit l’unique évangile de Louis Riel, mais un évangile parmi d’autres.

J’offre également une critique de la manière dont Louis Riel est traité chez les FrancoMani­tobains. Certains font de l’art pour chercher à glorifier la nation ou la patrie. Pour moi, ce n’est pas de l’art.

(1) L’Évangile de Louis Riel, publié aux Éditions du Péricarde (25 $, 248 pages) est disponible à la libraire À la page et en ligne sur amazon.ca.

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Photo : Gavin Boutroy
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Photo : Gracieuset­é Katia Dalle Fusine « Je ne m’étais jamais encore intéressé à Louis Riel, mais à un moment donné, j’ai entendu trop d’exagératio­ns et je me suis dit, il faut que je fasse ma recherche. »

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