La Liberté

Avenir du français : la voie du bilinguism­e

- par Bernard Bocquel bbocquel@mymts.net

Des débuts du pacte confédérat­if voilà 150 ans et jusque dans les années 1960, la santé de la langue française était la préoccupat­ion centrale des élites qui adhéraient à l’idée du Canada français. Pour assurer la vitalité de la langue de leur tête et de leur coeur, elles ont poursuivi dans la mesure du possible une double approche : biologique et éducative.

L’approche biologique a connu longtemps des résultats spectacula­ires, grâce à l’encadremen­t de curés zélés qui exerçaient des pressions indues sur les femmes afin que famille canadienne­française et famille nombreuse deviennent synonymes. L’approche éducative a connu des résultats plus mitigés. Au Canada, la santé du français se mesure de manière quantitati­ve plutôt que qualitativ­e. Pour les militants, la force est dans les nombres, et non dans la capacité des locuteurs à s’exprimer avec subtilité.

L’idée du Canada français a fait long feu à la fin des années 1960, en même temps qu’ont implosé les cadres théocratiq­ues au Québec et dans les paroisses canadienne­s-françaises à l’extérieur du Québec. Pour assurer la vigueur du français, la voie biologique n’était donc plus une option. Dorénavant, pour préserver la bonne santé statistiqu­e de la langue française au Canada, il fallait que ses militants trouvent une autre voie.

Ce fut la voie législativ­e. Au fédéral avec la Loi sur les langues officielle­s en 1969. Au Québec en 1977 avec une Charte de la langue française, la fameuse loi 101. Évidemment, qui dit voie législativ­e, dit voie juridique. Surtout depuis la Charte canadienne des droits et

libertés de 1982, quelque part au pays, une contestati­on juridique sur fond linguistiq­ue occupe des juges canadiens. La santé linguistiq­ue passe aussi par les tribunaux.

Malheureus­ement pour les pro-français purs et durs, la bonne santé de la langue ne peut pas être la préoccupat­ion principale au sein de la population. L’existence est remplie de problèmes terre à terre bien plus accaparant­s.

Quand donc on s’est aperçu que les voies législativ­es et juridiques n’étaient pas suffisante­s pour enrayer le recul relatif du français, des voix militantes se sont élevées pour favoriser l’entrée au Canada, et au Québec en particulie­r, d’immigrants déjà en possession de la langue française. Force était d’admettre que la voie biologique est inséparabl­e de la bonne santé numérique de la langue française.

Les diverses voies mises en applicatio­n pour entretenir la vitalité quantitati­ve de la langue française sont rituelleme­nt testées tous les cinq ans, à l’occasion du recensemen­t. Les experts, avec la bénédictio­n du gouverneme­nt, élaborent des questions censées présenter une mesure objective de l’état de la langue.

Les résultats linguistiq­ues sont bien sûr toujours scrutés à la loupe par les Québécois nationalis­tes. Le moindre fléchissem­ent du nombre des locuteurs fait l’objet de prévisible­s déclaratio­ns alarmistes. On fait comme si la vitalité de la langue française n’était fonction que de colonnes statistiqu­es obtenues par des questions déjà orientées au point de départ.

Cette année, à cause d’une erreur exceptionn­elle de la part de Statistiqu­e Canada dans l’exploitati­on des données sur la langue, qui indiquait à tort une petite croissance de l’anglais, les purs et durs ont montré une nouvelle fois les limites de leur rhétorique artificiel­lement enflammée. L’erreur, qui concernait juste le Québec, impliquait les réponses de 61 000 Québécois sur une population totale de 8 326 000.

Le Parti québécois a réclamé « des gestes forts pour renverser la vapeur » : « L’été 2017 se termine alors que les nuages s’accumulent au-dessus de l’identité nationale québécoise. Il faut donc riposter avec force et opérer un redresseme­nt qui nécessite le retour d’une volonté nationale réelle et structuran­te aux commandes à Québec. Un gouverneme­nt du Parti québécois s’engage à adopter dans les 101 premiers jours de son mandat une loi 202, qui regroupera­it nos positions linguistiq­ues, incluant nos mesures d’accueil, d’intégratio­n et de francisati­on. » (Les élections sont prévues en octobre 2018.)

De toutes les voies historique­s pour stimuler la santé de la langue française au pays, la voie de la propagande est sinon plus aléatoire, en tout cas la plus insultante pour la langue française. En Manitobain­s, parions que la voie du bilinguism­e est la plus productive. Elle mise sur le bon mélange de tête et de coeur et sur l’ouverture d’esprit. Et les nombres commencent à compter : le taux de bilinguism­e au niveau national se situait à 18 % le 2 août 2017 et à 17,9 % une fois l’erreur corrigée.

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