La Liberté

L’empathie pour apprendre l’histoire autochtone

- Valentin CUEFF presse2@la-liberte.mb.ca

Comment enseigner l’histoire des Premières Nations et les torts des gouverneme­nts canadiens successifs dans les écoles? La question était au coeur d’une récente étude, qui révélait le malaise des enseignant­s lorsqu’ils doivent aborder le sujet des pensionnat­s autochtone­s (voir encadré). À l’école de la Division scolaire francomani­tobaine (DSFM) de Saint-Lazare, deux enseignant­s ont pris les devants.

Éveiller les jeunes à d’autres cultures, Brenda Pruden s’en est faite une spécialité. Depuis 24 ans, cette enseignant­e de l’école française de Saint-Lazare tente d’ouvrir l’esprit de ses élèves au point de vue de l’autre.

Dans ses cours de sciences humaines, elle a notamment l’habitude de faire écouter à sa classe des musiques traditionn­elles d’Inde, d’Irlande, d’Australie et d’autres régions du monde. Et demande ensuite aux jeunes d’exprimer les émotions que ces notes étrangères soulèvent chez eux.

Dans cette école qui compte environ 80 élèves, le sujet des cultures autochtone­s et métisses est abordé dans le programme d’Histoire, comme dans la plupart des établissem­ents. Mais durant l’année scolaire 20162017, Brenda Pruden voulait aller plus loin. « On avait un programme d’études à suivre, mais il n’était pas très détaillé. Alors on a ajouté nos idées. »

Le sujet lui tient particuliè­rement à coeur; l’enseignant­e est elle-même métisse. « Je suis de sang autochtone et anglais. Pendant longtemps je ne disais pas que j’étais half breed. La culture métisse n’était pas bien reconnue. Mais je disais que j’avais du sang autochtone. J’ai toujours été fière de ça. »

Avec l’aide de Jeremy Laferrière, directeur par intérim de l’école et professeur de physique et de chimie, Brenda Pruden a décidé de passer par la case pratique. Loin de se cantonner aux livres, les élèves ont concocté des plats traditionn­els, brodé des mitaines et des sacoches, et construit des pièges pour animaux. Une façon plus concrète, pour eux, de découvrir un mode de vie différent du leur. Mais pas seulement. L’enseignant­e souligne : « C’est important parce que, pour un bon nombre d’élèves, cela fait partie de leur héritage. » Jeremy Laferrière estime que 70 à 75 % des élèves de l’école sont métis.

Brenda Pruden souhaitait aussi que les élèves rencontren­t quelqu’un qui avait grandi dans un pensionnat, dans le but de leur faire prendre conscience d’une réalité mal connue. « Parfois, quand on évoque les faits, ce qui est arrivé, les élèves ont l’impression que c’est loin d’eux. C’est surtout quand on a fait venir l’aînée de la réserve que leur vision des choses change. »

En février, l’enseignant­e a invité une résidante de la réserve voisine de Waywayseec­appo à venir témoigner. Cette personne, qui souhaite garder l’anonymat mais qui a accepté de figurer sur la photo, a partagé son expérience avec les élèves du secondaire, et notamment son passage dans un pensionnat autochtone.

Jeremy Laferrière souligne la franchise de l’intervenan­te. « Elle a été très honnête. Elle a très clairement expliqué l’effet que cette expérience a eu sur elle, et à quel point ça l’a changée pour toujours. C’est quelque chose qui a ouvert les yeux des jeunes. »

Brenda Pruden confirme : « Les élèves se sont assis en cercle, comme les autochtone­s font. L’aînée a raconté ses expérience­s de façon simple. Elle a montré des photos d’elle jeune, a raconté sa tristesse lorsqu’elle a quitté sa famille. Elle a rejoint tout le monde, parce qu’elle a raconté cela de façon très ouverte. »

Un témoignage qui, dans ses détails, rejoignait parfois l’état d’esprit des adolescent­s. « Nos élèves admirent parfois quelqu’un qui a du cran, qui n’accepte pas nécessaire­ment les choses, qui sont un peu des rebelles. Quand l’aînée a raconté qu’elle avait essayé plusieurs fois de s’échapper, j’ai vu des sourires d’admiration sur les lèvres de plusieurs. Ils ont pu s’identifier à elle. »

Une autre présentati­on a eu lieu chez les plus jeunes, mais le contenu n’était pas tout à fait le même. « On ne raconte pas ça sans filtre », explique Brenda Pruden. Elle souligne que l’aînée n’a par exemple pas abordé les conséquenc­es de sa vie au pensionnat : une dépendance à l’alcool.

La confection de produits typiques aurait permis à cette personne de trouver le salut, comme le précise l’enseignant­e : « Aux élèves du secondaire, elle a expliqué qu’elle a repris possession de sa culture avec l’artisanat traditionn­el ».

À la suite de la rencontre, les élèves du secondaire ont posé sur papier leurs réactions. Brenda Pruden raconte avoir « été déçue par certaines réactions et encouragée par d’autres ». Des élèves ne se sont pas sentis concernés, quand d’autres se sont mis à la place de l’aînée et ont compris sa douleur.

Brenda Pruden ajoute qu’elle a également raconté sa propre histoire relative aux pensionnat­s. « C’était l’autre côté. J’habitais à Winnipeg avec mes parents. Il y avait un pensionnat là-bas (Assiniboia Indian Residentia­l School, ndlr).

« Ma famille accueillai­t des filles autochtone­s, plus âgées que moi, qui allaient à l’Université. Pour moi elles étaient des grandes soeurs. Et je ne savais rien des pensionnat­s, qu’elles avaient été prises de leurs familles… On n’explique pas tout aux enfants. Peut-être même que mes parents ne le savaient pas. »

Sur cette part d’histoire canadienne peu connue en dehors et même au sein du pays, elle a une explicatio­n simple : « On en a honte. »

« Il faut que les personnes qui ont vécu cela en parlent. Sinon, ça va juste être refoulé, faire du mal. Elles doivent trouver leur paix avec ce passé. »

Pour l’enseignant­e de SaintLazar­e, ces rencontres et leur caractère personnel amènent une compréhens­ion chez les élèves que de simples cours ne peuvent pas transmettr­e.

Comme la musique qu’elle leur fait écouter et la création d’objets traditionn­els, le but est de créer de l’empathie, sans passer nécessaire­ment par les chemins éducatifs habituels. Comprendre une histoire, à travers l’émotion qu’elle suscite :

« La plupart du temps on est dans notre petit monde. Avoir devant soi une personne qui a vécu tout ça, ça le rend réel. On peut lire, voir des films, en discuter… Ça reste intellectu­el. Face à une personne qui raconte son vécu, l’impact est plus fort. »

 ?? Photo : Gracieuset­é Brenda Pruden ?? À l’école de la DSFM de Saint-Lazare, deux enseignant­s ont invité une aînée de la réserve de Waywayseec­appo à venir parler de son passé dans un pensionnat autochtone. Un témoignage qui a fait prendre conscience aux élèves la réalité de cette partie sombre de l’histoire canadienne.
Photo : Gracieuset­é Brenda Pruden À l’école de la DSFM de Saint-Lazare, deux enseignant­s ont invité une aînée de la réserve de Waywayseec­appo à venir parler de son passé dans un pensionnat autochtone. Un témoignage qui a fait prendre conscience aux élèves la réalité de cette partie sombre de l’histoire canadienne.
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