La Liberté

ACCENTUEZ-VOUS!

Au Manitoba, la francophon­ie est riche de sa diversité.

- VALENTIN CUEFF presse2@la-liberte.mb.ca

Comme le disait le poète français Miguel Zamacoïs, « Avoir l'accent, c'est, chaque fois qu'on cause, parler de son pays en parlant d'autre chose! » Cette phrase résonne avec force dans notre province. Nous avons décidé de partir à votre rencontre, à la rencontre des accents qui font chanter le Manitoba. Découvrez dès aujourd’hui notre série vidéo sur notre site web www.la-liberte.ca

Témoin des cultures régionales, héritage des parents et grands-parents, un accent est donc bien plus qu’une simple façon de prononcer une langue. Mais qu’advient-il lorsque nos intonation­s particuliè­res deviennent des barrières dans notre quotidien? Nathalie Freynet, doctorante en psychologi­e clinique à l'Université d'Ottawa, en a étudié les conséquenc­es.

Les francophon­es en situation minoritair­e au Canada, discriminé­s par d’autres francophon­es à cause de leur accent? C’est l’une des observatio­ns faites par Nathalie Freynet, qui a consacré deux études sur cette forme de stigmatisa­tion encore peu connue du grand public, mais dont les répercussi­ons sur les individus sont réelles.

« Un accent communique des informatio­ns sociales sur une personne. Par exemple, l’accent dit beaucoup sur sa provenance géographiq­ue. Et des préjugés y sont rattachés. On aura tendance à attribuer à cette personne certaines caractéris­tiques. »

Elle travaille actuelleme­nt sur une troisième étude sur le sujet.

« Mon étude vise surtout à montrer l’impact de cette stigmatisa­tion. Et s’il y a, par exemple, des conséquenc­es sur le bien-être, l’identité ou encore la confiance langagière de la personne.

« Pour la première étude, j’avais fait des entrevues avec une quarantain­e de francophon­es. Des gens qui ont le français comme langue maternelle, et d’autres qui ont le français comme langue seconde. De partout au Canada.

Je voulais d’abord voir si la stigmatisa­tion des accents dans le cas du français était une réalité. »

Son travail a non seulement mis en lumière que cette forme de discrimina­tion existe bel et bien, mais aussi comment elle se manifeste, et les conséquenc­es personnell­es chez les personnes interrogée­s.

« Les personnes se sentaient comme si leur identité francophon­e avait été niée, ainsi que leurs aptitudes en français. Un exemple : lorsqu’on parle en français avec un Québécois ou quelqu’un qui parle clairement français, et que la personne passe à l’anglais parce qu’elle juge qu’on ne parle pas assez bien, ou mal, le français. Certains se sont même entendu dire qu’ils étaient anglophone­s. »

Au cours de ses études, Nathalie Freynet a remarqué que ces idées préconçues liées au langage touchaient principale­ment les francophon­es en situation minoritair­e et les allophones qui ont le français comme langue seconde. Cependant, la chercheuse note que les individus percevaien­t différemme­nt leur propre accent.

« Les anglophone­s avaient tendance à dire que leur accent était le reflet de leur identité canadienne. Une identité bilingue. Tandis que pour les francophon­es, leur manière de parler est liée à leur identité francophon­e, surtout régionale, par exemple les FrancoMani­tobains et les Fransaskoi­s. »

S’ils font face aux mêmes préjugés, allophones et francophon­es en situation minoritair­e ne réagissent pas de la même façon.

« La réponse des francophon­es est de s’affirmer, et de continuer à parler en français, même lorsque la personne passe à l’anglais. Pour les anglophone­s, la façon la plus commune de répondre à ces expérience­s est plutôt d’éviter les situations où ils doivent parler le français. »

Des comporteme­nts qui ont ensuite un impact sur l’identité et le bien-être de ces individus, comme Nathalie Freynet l’a observé.

« Certaines personnes disaient que ça touchait la confiance qu’ils avaient dans leur langue. Ils se sentaient moins francophon­es. Parce que si on vous dit que vous n’êtes pas francophon­e, vous pouvez finir par le croire. »

Dans d’autres cas, leur façon de parler va avoir un impact sur leur accès à l’emploi et dans leurs activités sociales.

« Dans le monde du travail, on peut avoir l’impression qu’on se fait fermer des opportunit­és à cause de son accent. Ou encore qu’on a du mal à connecter avec ses collègues, comme s’il y avait une barrière langagière entre nous. Une impression qu’on retrouve parfois aussi dans nos amitiés. Comme par exemple, recevoir des commentair­es implicites sur la façon dont on parle. »

Ce phénomène de discrimina­tion sur la manière de parler le français trouve une résonance dans d’autres études menées à travers le monde.

« Aux États-Unis, des études ont montré que l'accent du sud du pays est souvent perçu comme un accent moins intelligen­t, moins capable d'accomplir des choses, mais plus chaleureux. En Angleterre, d'autres études montraient qu'on percevait les personnes avec un accent plus tonique comme plus intelligen­ts. »

À ce jour, le phénomène demeure peu connu du grand public.

« Je pense que ce serait bien qu’il y ait des politiques en place, pour que le public soit plus conscient de l’impact de ces préjugés. C’est normal d’en avoir, mais c’est important de faire prendre conscience aux gens des conséquenc­es que ça peut avoir sur l’identité des autres.

« Il y a différente­s façons de prononcer les mots. Ça ne veut pas forcément dire que les gens sont moins capables de parler français. Ça veut juste dire que ça prend une autre forme. »

« Tout le monde a un accent. On dit parfois que l'accent ne vient pas de la bouche, ou du coeur, mais de l'oreille de celui qui écoute. »

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ROXANNE BOUCHARD
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MANON TALBOT
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MAROUANE MOUNIR
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MARIE JOYEUSE DUSABE
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YOUSSOUF KASSÉ
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ERIC BOLLOU
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COLIN RÉMILLARD
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MARIE-CÉCILE ALVAREZ
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SORAYA BERRAHAL
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SEAN FOSTER
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ERIKA TETRAULT
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Les préjugés vis-à-vis des accents francophon­es ont-ils des répercussi­ons sur les personnes touchées? Nathalie Freynet, doctorante en psychologi­e à l’Université d’Ottawa, étudie le phénomène.
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