La Liberté

Éducation française ou canadienne?

- PAR BERNARD BOCQUEL bbocquel@mymts.net

Les discussion­s en cours pour (on l’espère) arriver à une sortie de crise honorable afin de remettre le Bureau de l’éducation française sur les bons rails fournissen­t une bonne occasion pour, notamment, réfléchir sur la pertinence de l’adjectif qui qualifie ce Bureau. Mais avant de se pencher sur l’adjectif « française », arrêtons-nous d’abord sur la pertinence du mot « Bureau ». Il va nous permettre de souligner d’emblée l’importance de procéder à des ajustement­s de vocabulair­e quand vient le temps de consacrer une évolution historique.

Lorsqu’en 1970 le gouverneme­nt néo-démocrate d’Ed Schreyer passe la Loi 113 qui redonne la possibilit­é d’enseigner non seulement du français, mais en français, tout reste à faire sur le plan pédagogiqu­e. Au ministère de l’Éducation est mise en place dès 1971 une cellule chargée d’élaborer un programme pour enseigner en français. Elle est baptisée « Section française ». À l’époque, on milite pour des « écoles françaises ». Personne ne penserait à « écoles françaises de France ».

C’est le mot « Section » qui fait un peu étriqué. Pour asseoir le sérieux du travail effectué par les pédagogues, en 1974 on rebaptise la cellule « Bureau de l’éducation française ». En bref, BEF. Un « coordonnat­eur » en a la charge. C’est un haut fonctionna­ire québécois, Olivier Tremblay, qui relève directemen­t du sous-ministre, Lionel Orlikow. Bras droit du ministre de l’Éducation, Orlikow et ses alliés réussissen­t en 1976 à conférer une légitimité supplément­aire au Bureau de l’éducation française en plaçant à sa tête un « sous-ministre adjoint ».

Or, au ministère de l’Éducation, un sous-ministre adjoint s’occupe au moins d’une « Division ». Le Bureau acquiert le statut de Division en 1983, à la création d’une quatrième « direction » au sein du BEF, la Direction des ressources éducatives françaises, la DREF. Mais à ce moment-là, on nage en pleine crise de la constituti­onnalisati­on avortée de services gouverneme­ntaux en français. La dernière des préoccupat­ions aurait alors été de changer le nom de « Bureau de l’éducation française » à « Division de l’éducation française ». D’ailleurs pourquoi risquer de faire des vagues? Il y a déjà assez de fonctionna­ires anglophone­s qui avalent mal l’existence même du BEF. Lorsque finalement les luttes juridico-politiques d’un groupe de parents archi-motivés ont permis la naissance en 1994 de la Division scolaire francomani­tobaine (DSFM), le sens de l’adjectif « français » avait évolué. Les écoles dont la DSFM avait la responsabi­lité étaient de moins en moins vues comme des « écoles françaises », mais plutôt des « écoles francophon­es », voire des « écoles francomani­tobaines ». Au ministère de l’Éducation, les équipes chargées de développer des programmes scolaires pour les écoles francophon­es et d’immersion oeuvraient cependant toujours au BEF.

Le BEF a continué de faire sans vagues son travail jusqu’à l’automne 2017, lorsque le culte de la réduction des dépenses publiques cher au gouverneme­nt Pallister a entraîné l’éliminatio­n du poste de sousminist­re adjoint chargé de la « Division du Bureau de l’éducation française ». Aux yeux du gouverneme­nt, une réorganisa­tion mineure. Aux yeux des personnes clés dans le monde de l’éducation en français, un nonsens. Le ministre de l’Éducation a accepté qu’un comité réexamine le dossier.

Souhaitons bien sûr que la raison prévale pour préserver l’intégrité et l’autorité d’une des pièces essentiell­es du dispositif éducatif en français. Souhaitons aussi que le BEF actualise enfin son nom, qu’il se présente à la mesure de l’enjeu réel : le bilinguism­e fonctionne­l d’une autre génération, le projet canadien par excellence. Si la jeunesse d’ici allait enfin à l’école canadienne, ne serait-il pas juste que les programmes scolaires soient officielle­ment pensés par une « Division de l’éducation canadienne »?

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