La Liberté

Vincent, Monique et le moule radio-canadien

Ils ont grandi au Manitoba et débuté ensemble à CKSB en 1988. Mais ils ont pris deux chemins différents pour parler au micro. Vincent Dureault a conservé son accent. Monique LaCoste a travaillé le sien, afin qu’il soit plus neutre. Les deux discutent l’im

- Valentin CUEFF presse2@la-liberte.mb.ca

Radio-Canada c’était, pendant longtemps, une façon unique de prononcer le français. Vincent Dureault, petit gars de Fannystell­e, 27 ans derrière le micro de CKSB, en témoigne.

« Radio-Canada a créé son accent. Quand on entendait parler quelqu’un, on pouvait deviner qu’il travaillai­t à RadioCanad­a. Il y avait une façon de parler propre aux annonceurs. » « L’idée était d’avoir un son uniforme, d’un océan à l’autre, pour que l’auditeur puisse s’identifier aux animateurs. Comme ça, quand il allume son poste, l’auditeur sait qu’il écoute Radio-Canada. Ce qui voulait dire que tout le monde devait grasseyer les R, et ne pas les rouler, comme je le fais. » À son arrivée à l’antenne en 1988, l’ancien animateur de Chute libre raconte qu’entendre des intonation­s locales était chose rare. Et que certaines recommanda­tions étaient faites sur la façon de s’exprimer au micro.

« Il y avait un code de prononciat­ion, pour certains mots et certains termes. On avait aussi des cassettes pour se familiaris­er avec ces mots. Comme par exemple, Calgary [à l’anglaise] et pas Calgary, avec un R roulé. Pourtant, on dit Calgary avec un R roulé au Manitoba. » Vincent Dureault note cependant que son accent est peutêtre la raison pour laquelle il a été embauché. « À la fin des années 1980, Radio-Canada tentait de briser le moule. Je suis arrivé au moment où l’accent “neutre” devenait moins important. Je parlais comme les Manitobain­s parlent. On espérait que les Manitobain­s s’identifier­aient davantage à moi. »

Quoiqu’il en soit, il n’était pas décidé à mettre son accent manitobain au placard. « J’ai écouté les cassettes, mais je n’ai pas mis en pratique. Je pense, surtout à la radio, qu’il faut être soi-même, pour que ta personnali­té puisse percer. »

L’ancien radio-canadien insiste sur le fait que l’important n’était pas tant l’accent que la qualité du français. Et qu’une diversité d’accents, à la radio, vient refléter celle de la communauté francophon­e. « Aujourd’hui on reconnaît des accents du Canada, d’Afrique, d’Europe. De partout finalement – et bien plus qu’avant. Et c’est une bonne chose. Si on veut ouvrir les frontières de la francophon­ie au Manitoba, il faut encourager cette diversité des accents. » Celle avec qui Vincent Dureault a partagé le micro pendant plusieurs années, Monique LaCoste, souligne qu’à ses débuts la radio cherchait plus de variété dans les accents. « En 1988, René Fontaine [directeur de CKSB à l’époque] voulait qu’on entende davantage de voix franco-manitobain­es. »

Mais pour elle, l’accent franco-manitobain était plus difficile à assumer en ondes. Elle évoque « une pression » : « On parle beaucoup d’insécurité linguistiq­ue ces jours-ci. C’est quelque chose que j’ai connu. Parce que j’étais une jeune Franco-Manitobain­e de 22 ans, qui parlait comme tous les autres Franco-Manitobain­s. Des collègues et des auditeurs se plaignaien­t régulièrem­ent du français à l’antenne, qu’ils n’estimaient plus à la hauteur. » Pour autant, celle qui était bien connue dans le milieu artistique, ne s’est pas découragée. « Ce que ça a fait chez moi, c’est allumer une espèce de feu : Je vais vous montrer qu’on peut être une Franco-Manitobain­e et qu’on peut être à la hauteur et rester soi-même, tout en respectant les normes en place.»

Elle a alors décidé de suivre une formation au Québec, à l’école de radio et de télévision Promédia, où des cours d’élocution étaient dispensés.

« J’ai passé six mois à Montréal, avec un stylo dans la bouche. On faisait des exercices de diction du lundi au vendredi. C’était intense. Parce que c’était tellement difficile de foncièreme­nt changer la mécanique de mon langage. Je voulais rester moi-même, je voulais rester naturelle. Et ça ne m’apparaissa­it pas du tout naturel. Au début, j’ai eu l’impression de jouer la comédie. » Monique LaCoste considère pourtant aujourd’hui avoir obtenu une formation « extraordin­aire », qui lui a ouvert de nombreuses portes. « Quand je suis revenue, je me sentais plus à l’aise. Ça me venait naturellem­ent de grasseyer les R. C’est une gymnastiqu­e physique et mentale. » « J’ai été annonceuse aux Jeux Olympiques de Vancouver, et je n’aurais pas eu ce projet-là si mon français n’était pas vu comme un français plus internatio­nal. Les gens me demandent souvent d’où je viens; ils ne parviennen­t pas à cerner l’origine de mon accent. « Avoir un accent avec lequel je suis moins victime de discrimina­tion, et que je puisse quand même être perçue comme une femme d’ici qui vit sa francophon­ie de façon authentiqu­e, voilà ce que je crois avoir accompli. »

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Les anciens animateurs de Chute libre à CKSB, Vincent Dureault et Monique LaCoste, racontent comment ils ont vécu la politique linguistiq­ue radio-canadienne à la fin des années 1980.
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