Témoin d’un demi-siècle de changements
Juliette Lee est l’une des doyennes de Churchill. L’infatigable bénévole a passé plus de 30 ans à oeuvrer pour le musée Itsanitaq, qui renferme un éventail invraisemblable d’art inuit. Pour son service à la communauté, elle a obtenu la médaille du Sénat pour le 150e anniversaire de la Confédération.
Quand êtes-vous arrivée à Churchill?
Juliette Lee : En mai 1962, ça fait donc presque 56 ans que je demeure ici. On a conduit de La Prairie au Québec à Le Pas. Il y avait mon père, mes deux petites filles, et un monsieur qui venait travailler au port. Mon mari était déjà ici depuis un mois ou deux.
En arrivant, mon mari a loué une petite maison où on n’avait pas d’eau courante. L’eau était livrée, alors tout le monde avait un baril de 45 gallons dans la cuisine. Le livreur venait, remplissait le baril et la machine à laver, et ça nous coûtait 45 cents. Mais j’étais incapable de m’accoutumer à l’absence d’eau courante et de télé. À Montréal on pouvait recevoir 14 chaînes! Churchill a eu son premier téléviseur en 1964. En 1966, on a déménagé dans une plus grande maison, avec une citerne de 300 gallons, et une pompe pour le bain et la chambre d’eau. On a été expropriés en 1973 quand le gouvernement a acheté le terrain pour le redéveloppement du village. Alors on a encore déménagé dans une autre maison, mais comme elle était moins grande, ils nous ont creusé un soubassement. On y habite encore.
Vous avez aussi fondé une famille...
J. L. : J’ai eu quatre enfants. Maintenant il y en a une en Alberta, une à Winnipeg, une en Arizona. Et mon garçon, qui est décédé en 1987. Andrew allait au Nord, livrer des marchandises à une compagnie d’exploration. Il a eu un accident. Il a été à travers la glace.
Mon mari est retraité depuis plusieurs années. Il a 86 ans. Il est de l’Alberta. Il était venu au Québec pour travailler sur la canalisation du fleuve SaintLaurent, c’est comme ça qu’on s’est connus. Il est parti une première fois à Churchill en 1961, et a dû retourner terminer le boulot en 1962. Il travaillait en construction pour rallonger de quoi au port. Mais au lieu de rentrer au Québec, comme il est mécanicien et opérateur de machinerie lourde, il a travaillé 32 ans au centre de recherche. Moi, j’ai commencé à travailler quand la plus jeune de mes filles était en 12e. J’avais 28 ans, et je travaillais à temps partiel à la bibliothèque publique. J’ai bien aimé ça, j’aime beaucoup les enfants.
Churchill a dû beaucoup changer depuis 1962…
J. L. : Quand je suis arrivée, c’était un village de plus de 5 000 personnes. Dont 3 000 qui étaient là avec l’armée. On est maintenant environ 900 personnes. J’ai connu beaucoup de familles francophones dans l’armée, je me suis fait de bonnes amies. Mais la base a fermé vers la fin des années 1960 et ça a beaucoup réduit la population.
Quand le village a été redéveloppé en 1973, l’hôpital, le théâtre, la piscine, les bureaux municipaux, des jeux d’enfants, ont tous été déplacés de la base militaire au nouveau complexe. Il y a aussi que lorsque je suis arrivée en 1962, on ne voyait jamais d’ours dans la ville. Les enfants jouaient dans les roches sur la rive de la baie d’Hudson, je n’avais pas peur pour eux. C’était comme ça jusqu’en 1973. [La base des Forces Armées Canadiennes bloquait le trajet des ours polaires le long de la baie d’Hudson, ndlr] Mais c’est sûr que maintenant, je regarde des deux bords avant de sortir de la maison.
Quitter Montréal pour Churchill, c’est un gros ajustement.
J. L. : À mon âge, j’aime ça ici. Mais quand j’étais jeune, le théâtre et le magasinage me manquaient. À ce jour, je sais que la prochaine fois que j’irai à Winnipeg j’aurai une grosse liste. Une chose est sûre, une vie à Churchill, c’est différent d’une vie à Winnipeg ou à Montréal.