La Liberté

Le Vieux Saint-Claude revit en roman

- Propos recueillis par Daniel BAHUAUD

En écrivant trois romans historique­s, Marie-France Thiery-Bertaud a relevé un défi tout particulie­r. Faire cheminer son héroïne, Louise, des marais de la Vendée jusqu’à Saint-Claude, sans avoir mis les pieds au Manitoba. Entretien avec une auteure pour qui le souci du détail était essentiel afin d’évoquer un monde dont elle était séparée par la distance et le temps.

Les Violons du marais, votre premier roman, présente Louise, une adolescent­e de 15 ans. Victime d’un inceste, elle quitte la Vendée pour tenter de se faire une nouvelle vie en Charente, le départemen­t voisin. Dans la suite, Les Violons de la Rivière-Rouge, Louise se rend au Canada. D’où est venue l’idée de la faire s’installer à SaintClaud­e?

Je ne connaissai­s pas du tout le Manitoba. L’idée m’a été suggérée par mes éditeurs, Florence Coudert et Pascal Rabot des Éditions Mines de Rien, qui y ont fait de nombreux séjours. Ils m’en parlaient avec tellement d’enthousias­me que j’ai eu envie d’en savoir plus.

Louise quitte la France pour le Canada au milieu des années 1920. Beaucoup de Français ont tout quitté pour s’y rendre, attirés par ce qui leur semblait un Eldorado plein de promesses. J’ai choisi Saint-Claude par hasard. Je cherchais des villages francophon­es et j’avais déjà repéré Notre-Dame-deLourdes. Sur Internet, je suis tombée sur des ouvrages historique­s en photos de SaintClaud­e. Ils m’étaient nécessaire­s pour renforcer ma vision de ce pays que je n’arrivais pas à appréhende­r, encore moins celui du début du 20e siècle.

D’autres Français vous ont-ils aidée?

Jacqueline Colleu, une historienn­e française, a fait de nombreuses recherches sur l’immigratio­n vendéenne au Canada. Son plus récent ouvrage, Les Vendéens au Canada : Une épopée migratoire 1880-1920, est paru fin décembre 2016. Jacqueline partage son temps entre la Vendée et Paris. J’ai pu la rencontrer. C’est une vraie passionnée. De plus, elle connaît très bien Saint-Claude pour y avoir séjourné, et elle y a des amis.

Justement, vous avez obtenu l’aide de Manitobain­s…

Mgr Roger Bazin, qui habite Saint-Claude, m’a envoyé des livres sur l’histoire du village. Nous avons eu de nombreux échanges par courriel. J’ai eu la chance aussi de le rencontrer, lors d’une journée où il faisait escale en France avec sa soeur, Adrienne, qui a également contribué à la lecture de mon texte. Tous deux m’ont renseignée sur le parler à SaintClaud­e, les habitudes de vie populaires, tous ces petits détails dont j’avais besoin. J’ai pu enfin entendre cet accent qui n’a absolument rien à voir avec le québécois, qui demeure notre seule référence en France.

Jacqueline Blay m’a consacré beaucoup de son temps, autant pour le deuxième roman que pour le troisième, Et que Vibrent les

Violons. Et ça malgré le fait qu’elle était elle-même très occupée avec la sortie de son ouvrage historique sur le Manitoba. Elle a relu minutieuse­ment tous mes écrits. Nous avons eu des échanges incessants au cours desquels elle me corrigeait mes nombreuses erreurs et me suggérait des ajouts et des recherches complément­aires.

Lesquelles?

Entre autres, au Manitoba, les archives de La Liberté numérisée. Pour le dernier tome, je les ai consultées semaine par semaine, et elles m’ont amené de nombreux renseignem­ents utiles et passionnan­ts.

Des «détails» importants comme par exemple le courrier de « mère-grand », qui était tenu par l’épouse de Donatien Frémont, le rédacteur du journal des années 1920 et 1930. Il y avait aussi des publicités sur les petits et grands magasins de Winnipeg et de Saint-Boniface. Sans parler d’autres réclames, très utiles pour savoir ce qui se faisait à cette époque, quels prix étaient pratiqués, etc. Autant de petits détails qui amènent de la véracité au récit. Et bien sûr tous les faits politiques et paroissiau­x que le journal relayait.

Et pourtant, décrire ce Manitoba jamais visité est resté oeuvre délicate…

Oh que oui! J’entends encore les mots de Jacqueline Blay pour me parler de « l’immense ciel bleu ». Une notion que j’ai du mal à intégrer! J’ai lu, pour m’inspirer, La détresse et l’enchanteme­nt de Gabrielle Roy. L’auteure y faisait certaines descriptio­ns que j’ai notées. J’ai tenté de m’imprégner de sa vision du Manitoba.

Le plus beau compliment que j’ai reçu a été de Jacqueline Colleu, qui m’a félicitée, après avoir lu le deuxième tome, en me disant qu’on jurerait que j’y étais allée. C’est très frustrant d’écrire sur une province et de n’en connaître que des photos et des écrits. Je conserve le rêve et l’envie très forte d’y venir.

Pourquoi ne pas être tout simplement venue au Manitoba?

C’est le budget nécessaire pour l’organisati­on d’un tel voyage qui a mis un chagrinant coup de frein à mon rêve. Et voir de mes propres yeux les lieux importants, comme la Cathédrale de Saint-Boniface et la Maison Riel. J’aurais souhaité marcher sur les traces de Louise, mon héroïne. Arpenter les grandes avenues de SaintBonif­ace, visiter la Maison Gabrielle-Roy, me balader à Winnipeg et longer les rives de la rivière Rouge. Ça, et rencontrer les habitants de Saint-Claude et toutes les personnes avec qui j’ai collaboré par Internet. Mes éditeurs ont bien tenté de monter des dossiers afin d’obtenir des aides et collaborat­ions, en France comme au Manitoba car nous souhaition­s bien évidemment profiter de ce voyage pour faire la promotion de la trilogie. Ça ne s’est malheureus­ement pas conclu.

Votre trilogie a remporté en 2016 le Prix du héron cendré, en Vendée.

J’ai un petit sentiment de fierté d’avoir réussi à mener jusqu’au bout ce projet. À l’origine, ce devait être un roman en un seul tome. L’aventure a été extrêmemen­t enrichissa­nte. Je découvre chez les lecteurs, lors de mes rencontres dédicaces, un engouement pour le Manitoba qui me fait chaud au coeur. Cet engouement a fait en sorte qu’en 2019, la trilogie sera republiée en un volume par les Presses de la Cité, un éditeur national. À ma façon, j’ai peut-être contribué à mieux faire connaître le Manitoba. Et surtout, à faire comprendre que la francophon­ie canadienne ne se limite pas au Québec.

Vous donnez vie à l’expérience d’une immigrante au premier quart du 20e siècle. Et vous suivez votre personnage Louise jusqu’à la crise économique provoquée par le krach de 1929. À dessein?

Il me semblait important d’évoquer la Grande Dépression. Elle a été terrible dans tout l’Ouest Canadien. La crise se produit en dernière partie de mon dernier tome. Il aurait fallu y consacrer beaucoup plus de pages pour vraiment relater toute la misère entraînée par cette sombre crise, comme le fameux dust bowl.

Louise est une héroïne avec beaucoup d’ambigüités. Elle est à la recherche d’elle-même. Elle finira par se trouver à la fin de ce dernier tome, notamment lorsqu’elle ira seule à SaintBonif­ace avec sa petite Rose. Il fallait un sacré courage pour une femme seule d’affronter l’immigratio­n dans un pays aussi lointain et inconnu. En décrivant son parcours, j’ai pu faire connaître les hivers rigoureux, l’importance de la religion et de l’éducation, le double enseigneme­nt du français et de l’anglais, et la vie d’une jeune mère dans le contexte difficile de Grande Dépression. J’ai tenté de communique­r les états d’âme de Louise. Je me suis posé aussi la question de ce que ressentira­it sa fille Rose à l’âge de l’adolescenc­e. Je l’évoque grâce à un retour en Vendée qui lui permet de comprendre que finalement, malgré ses racines françaises, elle se sent totalement canadienne parce qu’elle a grandi au Manitoba.

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Marie-France Thiery-Bertaud.

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