La Liberté

« Moi mes souliers »

- GEORGES DRUWÉ

Ce titre vous rappelle sans doute cet air bien aimé du chansonnie­r québécois, Félix Leclerc. Du moins vous tous qui avez vécu comme moi en compagnie de cette génération d’artistes et de poètes. C’est en fin de compte une toute simple mais combien profonde méditation sur l’existence humaine, une réflexion faite sur les dédales mystérieux qui profilent les contours de notre parcours terrestre telle qu’en témoignent ces compagnons fidèles de voyage, nos souliers. Oui nos souliers, ces pièces de vêtements bien humbles qui nous relient physiqueme­nt à cette terre des hommes, qui en épousent toutes les aspérités, qui en reflètent toutes les secousses et qui portent dans leur cuir, leurs talons et leurs semelles, les séquelles de notre passage.

Il y a les petites bottines blanches du bébé, toutes pures et toutes fraîches, promesses d’un avenir encore indéfini, mais qui en peu de temps voient l’usure sur leurs pointes érodées par les randonnées à quatre pattes de ce nouvel être à la recherche de victoire et de liberté.

Il y a les beaux souliers tout neufs de l’enfant, du garçon, de la fillette en ce premier jour d’école. Ils crient leur joie d’être grands, heureux sur les bancs d’école, beaux comme des sous neufs. Et pourtant de retour à la maison, ils sont maintenant un peu déçus des suites de ces deux récréation­s occupées à courir dans le gravier de la cour d’école et de l’effet de leur jeu innocent et enivrant sur l’éclat de leurs chaussures.

Il y a les souliers vernis des nouveaux mariés. Ils feront tout ce qu’ils peuvent pour ne pas les salir en souvenir de ce jour merveilleu­x. Peut être voudrontil­s les garder au fond de l’armoire, sans tare comme dans leur début. Mais malgré tous ces souhaits ils ne pourront empêcher la poussière de les ternir et ainsi devenir témoins du temps passé et de leur fidélité.

Il y a les bottes du soldat couché à même le sol, plissées et rugueuses et ruisselant­es du sang versé par celui qui se demandait à l’instant ce qu’il était venu faire ici au loin en cette mission que l’on disait pour la défense de son pays.

Il y a les souliers de ce passant qui voit là sur le trottoir ce gueux, pieds nus, les vêtements en désarroi. Il s’arrête, le salue aimablemen­t et demandant son nom, lui offre du même coup ses chaussures. Sans doute arrivetil chez lui les pieds endoloris, mais le coeur heureux… à la vue de ses pieds nus qui se souviendro­nt de son geste.

On pourrait continuer ainsi à écouter sans fin des histoires de souliers, de savates, de mocassins, d’espadrille­s, de souliers de pauvres, de souliers de riches; mais prenons plutôt un instant pour prendre conscience des expérience­s que reflètent nos propres chaussures. Regardons de près ces dévoués compagnons de route. Laissons lesnous raconter leur vécu. Par quels chemins sontelles passées nos chaussures? Sans doute elles révèlent l’histoire de toute une vie. Estce que toutes leurs éraflures sont des rappels d’accompliss­ement et de fierté ? Cette goute de peinture, ce talon écorché, cette semelle trouée, ce cuir qui a perdu son éclat rappellent­ils des temps joyeux? Ou ontelles été protégées des réalités d’une vie d’engagement.Yenatil qui évoquent des moments difficiles. Les souliers sont des témoins impartiaux, ils ne jugent pas, mais leur mémoire est longue et impassible.

Nos souliers sont à l’image des choix que l’on a embrassés dans la vie. Ils sont les témoins soit d’une vie qui a connu le risque et l’aventure soit celle d’une vie qui a cherché à éviter par prudence les égratignur­es. En laquelle de ces deux orientatio­ns notre vie de foi nous convoquete­lle? En fin de voyage terrestre, notre passage à la gloire seratil lié à l’usure de nos semelles plutôt qu’au lustre de leur cuir. Félix nous invite à un moment de sagesse dans la conclusion de sa chanson :

« Au paradis paraîtil mes amis, c’est pas la place pour les souliers vernis, dépêchezvo­us de salir vos souliers si vous voulez être pardonnés. » Vous pouvez aussi lire la Chronique religieuse de la semaine, ainsi que les chroniques antérieure­s sur le site Web de l’Archidiocè­se de SaintBonif­ace : http://www.archsaintb­oniface.ca/main.php?p=217

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