La Liberté

Enlever les oeillères

Scolarisée au Collège Louis-riel de 2002 à 2007, Sara(1) a été témoin de racisme. La trentenair­e parle des facteurs qui ont favorisé ce climat délétère et propose des pistes de solutions pour lutter contre le racisme.

- Ophélie DOIREAU odoireau@la-liberte.mb.ca

Sara n’a pas souhaité revenir sur ses expérience­s de racisme dans l’entrevue. Il lui importait plutôt de développer des explicatio­ns plus profondes sur les causes de ce racisme et d’avancer des pistes de solutions.

Pour elle, plusieurs facteurs ont favorisé le climat de racisme et de silence. « Dans le cas du Collège Louis-riel, il s’agit d’enseignant­s et d’élèves. Du fait de la relation d’autorité, certains élèves ont préféré ne pas parler et ne pas dénoncer parce qu’ils pensaient tout simplement que si leurs enseignant­s le disaient, alors c’était correct.

« L’adolescenc­e est un moment de la vie compliqué. Lorsqu’on est victime de racisme, il est probable que l’acte soit difficile à identifier.

« Dans une perspectiv­e plus large, la taille de la communauté francophon­e au Manitoba a aussi très probableme­nt joué un rôle. Les enseignant­s se connaissen­t tous et se voient peut-être en dehors du travail. Et parfois au sein de l’école, il y a des membres de la même famille du côté administra­tif comme du côté des élèves.

« Ce dernier facteur fait qu’on se sent très rapidement hors du club. Et on se demande rapidement : Comment est-ce qu’on va nous protéger? Quel va être le degré d’impartiali­té de l’administra­tion?

« De plus, il y a très peu d’espaces pour parler du racisme. Alors on se demande encore : Comment peut-on s’attendre à ce que des élèves

puissent en parler et puissent

mettre des mots dessus? » Pour Sara, son expérience d’intégratio­n au Collège LouisRiel n’a rien eu d’enviable. « J’étais alors l’une des seules personnes racisées. Et on se sent très visible. On ne veut pas être dérangé et on ne veut pas déranger non plus. Tant qu’il n’y aura pas une masse critique qui mettra le sujet du racisme sur la table, personne n’en parlera.

« Je me rappelle qu’il n’y avait aucune mixité sociale entre les nouveaux arrivants et les personnes de la communauté francophon­e. C’était difficile de rentrer dans leur cercle. Et ce n’est pas forcément une question d’adaptabili­té culturelle : je suis arrivée au Canada toute petite et j’ai grandi au Canada. Je suis Canadienne.

« Le racisme ne se manifestai­t pas de manière directe, mais tu ne te sentais pas intégrée. Je vivais un sentiment d’isolement social. »

Sara évoque également le déni de la discrimina­tion au sein de la Division scolaire franco-manitobain­e (DSFM). « Je pense que la communauté francophon­e manitobain­e a des oeillères. Il y a le fait qu’ils ont longtemps été oppressés par les anglophone­s. Sauf qu’aujourd’hui, ils ne se rendent pas compte qu’ils peuvent être les oppresseur­s d’autres minorités.

« Je pense qu’une partie de ce racisme est dû à de l’ignorance. Pendant longtemps, cette communauté francophon­e a été très homogène. Et lorsque le visage de la communauté a commencé à changer, on a exclu une partie des personnes dans les discussion­s scolaires. »

Sara pense que « dans le cursus scolaire général, l’absence de livres d’auteurs noirs est un vrai manque. Lorsqu’on lit des livres sur le racisme, ce sont des Blancs qui les ont écrits.

« Tout comme dans les cours d’histoire, on ne parlait pas de la contributi­on des Autochtone­s dans la constructi­on du pays. Lorsque j’étais à l’école, l’histoire du Canada commençait avec l’arrivée des Européens. Je me rappelle également qu’on ne parlait pas des pensionnat­s autochtone­s. »

Avant d’envisager des pistes de solutions, Sara fait valoir un point : « Très souvent, on confond la lutte contre le racisme avec l’inclusion et la diversité. La lutte contre le racisme exige d’avoir une perspectiv­e historique du racisme au Canada.

« Il faut que les enseignant­s comprennen­t qu’ils évoluent dans une société avec des biais vis-à-vis des minorités racisées. Les préjugés sont souvent inconscien­ts. Après cette prise de conscience, un travail de formation peut commencer pour leur permettre d’avoir les outils et le vocabulair­e nécessaire­s.

« Plutôt que des journées à thèmes, il faut faire un travail en amont. Pour l’instant, j’ai l’impression que l’administra­tion voit ces témoignage­s comme des cas isolés. Mais non : c’est un problème général, c’est un problème de société.

« Les ressources que l’on va investir vont déterminer si le problème est pris au sérieux du côté de l’administra­tion ou si on privilégie des solutions faciles.

« Désormais, l’administra­tion est devant le fait accompli. Ce n’est pas la DSFM qui a engagé le dialogue dans ses écoles, c’est le dialogue internatio­nal qui a permis qu’on en parle. »

Sara conclut sa mise en perspectiv­e sur une mise en garde.

« Je pense qu’avec le tragique décès de George Floyd, on a désormais une belle fenêtre d’opportunit­é pour parler du racisme comme état de fait de manière publique.

« Mais je ne voudrais pas qu’une fois le phénomène de mode passé, on arrête les discussion­s. Il faudra continuer d’en parler, continuer d’offrir des espaces de parole. Le dialogue doit se poursuivre tant que le problème de racisme existera. »

(1) Sara est un nom fictif donné à notre témoin par respect pour sa vie privée.

L’importance d’avoir une perspectiv­e historique

 ?? Photo : Gracieuset­é Sara ?? Sara a décidé de témoigner de manière anonyme en reconnaiss­ant que s’exprimer publiqueme­nt dans les médias est chose difficile.
Photo : Gracieuset­é Sara Sara a décidé de témoigner de manière anonyme en reconnaiss­ant que s’exprimer publiqueme­nt dans les médias est chose difficile.

Newspapers in French

Newspapers from Canada