« Un besoin criant qu’il faut adresser »
Les organismes en petite enfance saluent l’accord du Fédéral sur les services de garde, annoncé le 12 juin, et les 15 millions $ qui seront versés annuellement au Manitoba pour créer plus d’espaces de garderie. Mais ils s’interrogent sur les mesures précises qui seront prises pour assurer la qualité et le développement des garderies francophones lorsque la Province négociera l’entente bilatérale prévue par l’accord.
L’accord du Fédéral sur les services de garde prévoit l’investissement de 7,5 milliards $ sur 11 ans pour soutenir et créer un plus grand nombre de places dans les garderies du pays.
« Nous voulons aider les jeunes enfants et les familles à accéder à des services de garde de grande qualité, abordables, souples et totalement inclusifs », a déclaré par voie de communiqué Jean-Yves Duclos, le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social.
Dans sa vision à long terme, le Fédéral précise qu’il vise à accroître le nombre de places abordables pour les familles à revenu faible en appuyant la création de nouvelles places dans les garderies subventionnées. De plus, il souhaite que « les systèmes d’apprentissage et de garde des jeunes enfants reconnaissent les besoins particuliers des communautés francophones et anglophones minoritaires et ceux des peuples autochtones. » (1)
Brigitte L’heureux, la directrice générale de la Fédération des parents du Manitoba, voit l’accord d’un bon oeil, tout en exprimant quelques réserves : « Puisque c’est la Province qui va négocier l’entente avec le Fédéral, il faut s’assurer que les besoins des francophones soient respectés. Pour ça, il faut bien les articuler. La FPM souhaite rencontrer Scott Fielding, le ministre provincial des Familles, pour lui présenter un portrait de la situation francophone.
Selon la FPM, il y aurait environ 40 garderies francophones. À l’heure actuelle, l’organisme compte 1 232 places dans les garderies francophones, soit 117 dans les pouponnières, 177 en prématernelle, 662 pour jeunes de niveau préscolaire et 476 pour jeunes de niveau scolaire.
« Les cinq prématernelles du projet pilote de la DSFM ne sont pas incluses dans ce calcul, précise Brigitte L’heureux. Ni les 18 garderies familiales inscrites à la FPM.
« De plus, près de 500 jeunes figurent sur les listes d’attente des garderies. Mais il y a de la recherche à faire. En réalité, ce chiffre pourrait être bien plus élevé. On ne sait pas combien de parents ont envoyé leurs enfants en garderie anglophone parce qu’ils ne peuvent pas accéder à une garderie francophone. On ne sait pas non plus quel est l’impact de la proximité des garderies et la disponibilité d’un service en français sur le choix des parents. »
Sur le terrain, Marie Rosset, la directrice de la garderie du P’tit bonheur, fait remarquer que « notre liste d’attente est hallucinante ». « Nous pouvons accueillir 114 enfants à la fois, sans parler de 20 jeunes en prématernelle. Mais notre liste d’attente a dépassé les 200 enfants. »
Dominique Arbez est la coordonnatrice du programme régulier en éducation de la jeune enfance à l’École technique et professionnelle de l’Université de Saint-Boniface. La professeure s’inquiète qu’il n’y ait pas de critères définis sur la manière dont les 15 millions $ accordés au Manitoba seront dépensés.
« Le Fédéral parle de qualité du service. Qu’est-ce que ça signifie? Si on ajoute des places, ce qui en soit est une bonne chose, sans s’assurer que le rapport entre le nombre d’élèves et d’éducateurs soit bas, on ne pourra pas bien prendre soin des jeunes. À trop d’endroits, les garderies peinent d’avoir le personnel pour assurer un excellent service.
« Par ailleurs, il faut voir à ce que les milieux soient conçus pour les besoins de la petite enfance. On a besoin de garderies construites spécifiquement comme garderies. Non pas des sous-sols d’église adaptés temporairement.
« De plus, il y a des familles qui, à l’heure actuelle, se font refuser une place en garderie parce que leur enfant a des besoins spéciaux. Il faut donc plus d’éducateurs bien formés. Et des garderies adéquatement subventionnées afin qu’elles puissent répondre aux besoins de chaque enfant, quelque soit ses besoins et sa situation socioéconomique. C’est ça, l’inclusion. »
Brigitte L’heureux estime par ailleurs que la Province « doit voir à la bonne formation des éducateurs ».
« Il faut professionnaliser davantage les services de garde. Il faut investir dans les programmes de formation qui assurent que nos éducatrices soient bien qualifiées. Et puis il faut que le choix de carrière en service de garde soit davantage perçu comme étant viable. Devenir éducatrice doit devenir un choix rentable. On a beau être dévouée, si on ne peut pas payer son hypothèque, on n’est pas encouragée à rester dans le domaine. Et c’est difficile pour les garderies de retenir leur personnel. »
Dominique Arbez abonde dans le même sens, en précisant que « le programme accéléré en éducation de la jeune enfance à l’USB est sous-financé ». « Chaque année, on est en attente de financement. On n’a pas un engagement stable de la Province. Et en ce moment, on ne peut même pas offrir de diplôme avancé. On a conçu un programme en 2008, mais c’était l’USB qui devait assumer son plein financement. Nos étudiants étaient obligés de payer plus cher pour cette formation que s’ils fréquentaient l’Assiniboine Community College. On n’a pas les reins assez solides pour continuer d’offrir le programme, alors notre dernière cohorte de quatre diplômés vient de graduer. « À mon sens, tout cela est une injustice. Surtout en 2017 lorsque nous avons une Loi 5 qui prévoit l’essor et l’épanouissement de la francophonie. » Pour sa part, Rochelle Squires, la ministre des Affaires francophones, affirme qu’elle « surveillera avec intérêt la création du Programme manitobain d’éducation préscolaire et de garderies. Le gouvernement provincial tâche d’inclure toutes les communautés et se servira des suggestions des intervenants principaux pour élaborer sa stratégie. Des consultations continues feront partie du processus qui émane de l’accord et du financement fédéral. »
Dominique Arbez rappelle que « la petite enfance est un besoin criant qu’il faut adresser ». « L’entente bilatérale qui se dessine est une opportunité pour attaquer de front les besoins des francophones en petite enfance. On ne peut plus se permettre de faire les choses à petites doses. Il faut attaquer le tout.
« La Province a besoin de comprendre ce message. Mais toute la francophonie doit y voir. Si on n’adresse pas nos défis en petite enfance, on va perdre des francophones. Je lance le défi à tous les secteurs du nouveau conseil d’administration de la SFM, qui sera élu en octobre, d’adresser le problème et de voir à la création d’un volet permanent pour la petite enfance. »
(1) Voir la page Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants du site Internet du ministère de la Famille, des Enfants et du Développement social : www.canada.ca/fr/emploideveloppement-social/programmes/ apprentissage-garde-jeunesenfants/rapports/2017-cadremultilateral.html