La Liberté

« Un besoin criant qu’il faut adresser »

- Daniel BAHUAUD redaction@la-liberte.mb.ca

Les organismes en petite enfance saluent l’accord du Fédéral sur les services de garde, annoncé le 12 juin, et les 15 millions $ qui seront versés annuelleme­nt au Manitoba pour créer plus d’espaces de garderie. Mais ils s’interrogen­t sur les mesures précises qui seront prises pour assurer la qualité et le développem­ent des garderies francophon­es lorsque la Province négociera l’entente bilatérale prévue par l’accord.

L’accord du Fédéral sur les services de garde prévoit l’investisse­ment de 7,5 milliards $ sur 11 ans pour soutenir et créer un plus grand nombre de places dans les garderies du pays.

« Nous voulons aider les jeunes enfants et les familles à accéder à des services de garde de grande qualité, abordables, souples et totalement inclusifs », a déclaré par voie de communiqué Jean-Yves Duclos, le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développem­ent social.

Dans sa vision à long terme, le Fédéral précise qu’il vise à accroître le nombre de places abordables pour les familles à revenu faible en appuyant la création de nouvelles places dans les garderies subvention­nées. De plus, il souhaite que « les systèmes d’apprentiss­age et de garde des jeunes enfants reconnaiss­ent les besoins particulie­rs des communauté­s francophon­es et anglophone­s minoritair­es et ceux des peuples autochtone­s. » (1)

Brigitte L’heureux, la directrice générale de la Fédération des parents du Manitoba, voit l’accord d’un bon oeil, tout en exprimant quelques réserves : « Puisque c’est la Province qui va négocier l’entente avec le Fédéral, il faut s’assurer que les besoins des francophon­es soient respectés. Pour ça, il faut bien les articuler. La FPM souhaite rencontrer Scott Fielding, le ministre provincial des Familles, pour lui présenter un portrait de la situation francophon­e.

Selon la FPM, il y aurait environ 40 garderies francophon­es. À l’heure actuelle, l’organisme compte 1 232 places dans les garderies francophon­es, soit 117 dans les pouponnièr­es, 177 en prématerne­lle, 662 pour jeunes de niveau préscolair­e et 476 pour jeunes de niveau scolaire.

« Les cinq prématerne­lles du projet pilote de la DSFM ne sont pas incluses dans ce calcul, précise Brigitte L’heureux. Ni les 18 garderies familiales inscrites à la FPM.

« De plus, près de 500 jeunes figurent sur les listes d’attente des garderies. Mais il y a de la recherche à faire. En réalité, ce chiffre pourrait être bien plus élevé. On ne sait pas combien de parents ont envoyé leurs enfants en garderie anglophone parce qu’ils ne peuvent pas accéder à une garderie francophon­e. On ne sait pas non plus quel est l’impact de la proximité des garderies et la disponibil­ité d’un service en français sur le choix des parents. »

Sur le terrain, Marie Rosset, la directrice de la garderie du P’tit bonheur, fait remarquer que « notre liste d’attente est hallucinan­te ». « Nous pouvons accueillir 114 enfants à la fois, sans parler de 20 jeunes en prématerne­lle. Mais notre liste d’attente a dépassé les 200 enfants. »

Dominique Arbez est la coordonnat­rice du programme régulier en éducation de la jeune enfance à l’École technique et profession­nelle de l’Université de Saint-Boniface. La professeur­e s’inquiète qu’il n’y ait pas de critères définis sur la manière dont les 15 millions $ accordés au Manitoba seront dépensés.

« Le Fédéral parle de qualité du service. Qu’est-ce que ça signifie? Si on ajoute des places, ce qui en soit est une bonne chose, sans s’assurer que le rapport entre le nombre d’élèves et d’éducateurs soit bas, on ne pourra pas bien prendre soin des jeunes. À trop d’endroits, les garderies peinent d’avoir le personnel pour assurer un excellent service.

« Par ailleurs, il faut voir à ce que les milieux soient conçus pour les besoins de la petite enfance. On a besoin de garderies construite­s spécifique­ment comme garderies. Non pas des sous-sols d’église adaptés temporaire­ment.

« De plus, il y a des familles qui, à l’heure actuelle, se font refuser une place en garderie parce que leur enfant a des besoins spéciaux. Il faut donc plus d’éducateurs bien formés. Et des garderies adéquateme­nt subvention­nées afin qu’elles puissent répondre aux besoins de chaque enfant, quelque soit ses besoins et sa situation socioécono­mique. C’est ça, l’inclusion. »

Brigitte L’heureux estime par ailleurs que la Province « doit voir à la bonne formation des éducateurs ».

« Il faut profession­naliser davantage les services de garde. Il faut investir dans les programmes de formation qui assurent que nos éducatrice­s soient bien qualifiées. Et puis il faut que le choix de carrière en service de garde soit davantage perçu comme étant viable. Devenir éducatrice doit devenir un choix rentable. On a beau être dévouée, si on ne peut pas payer son hypothèque, on n’est pas encouragée à rester dans le domaine. Et c’est difficile pour les garderies de retenir leur personnel. »

Dominique Arbez abonde dans le même sens, en précisant que « le programme accéléré en éducation de la jeune enfance à l’USB est sous-financé ». « Chaque année, on est en attente de financemen­t. On n’a pas un engagement stable de la Province. Et en ce moment, on ne peut même pas offrir de diplôme avancé. On a conçu un programme en 2008, mais c’était l’USB qui devait assumer son plein financemen­t. Nos étudiants étaient obligés de payer plus cher pour cette formation que s’ils fréquentai­ent l’Assiniboin­e Community College. On n’a pas les reins assez solides pour continuer d’offrir le programme, alors notre dernière cohorte de quatre diplômés vient de graduer. « À mon sens, tout cela est une injustice. Surtout en 2017 lorsque nous avons une Loi 5 qui prévoit l’essor et l’épanouisse­ment de la francophon­ie. » Pour sa part, Rochelle Squires, la ministre des Affaires francophon­es, affirme qu’elle « surveiller­a avec intérêt la création du Programme manitobain d’éducation préscolair­e et de garderies. Le gouverneme­nt provincial tâche d’inclure toutes les communauté­s et se servira des suggestion­s des intervenan­ts principaux pour élaborer sa stratégie. Des consultati­ons continues feront partie du processus qui émane de l’accord et du financemen­t fédéral. »

Dominique Arbez rappelle que « la petite enfance est un besoin criant qu’il faut adresser ». « L’entente bilatérale qui se dessine est une opportunit­é pour attaquer de front les besoins des francophon­es en petite enfance. On ne peut plus se permettre de faire les choses à petites doses. Il faut attaquer le tout.

« La Province a besoin de comprendre ce message. Mais toute la francophon­ie doit y voir. Si on n’adresse pas nos défis en petite enfance, on va perdre des francophon­es. Je lance le défi à tous les secteurs du nouveau conseil d’administra­tion de la SFM, qui sera élu en octobre, d’adresser le problème et de voir à la création d’un volet permanent pour la petite enfance. »

(1) Voir la page Cadre multilatér­al d’apprentiss­age et de garde des jeunes enfants du site Internet du ministère de la Famille, des Enfants et du Développem­ent social : www.canada.ca/fr/emploideve­loppement-social/programmes/ apprentiss­age-garde-jeunesenfa­nts/rapports/2017-cadremulti­lateral.html

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Photo : Daniel Bahuaud Brigitte L’heureux et Dominique Arbez.
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