« Ce premier album fait de nous un groupe politique »
Bokanté, qui signifie « échange » en créole, vient à peine de sortir un premier album que déjà, les huit musiciens-baroudeurs embarquent pour une tournée de 37 dates à travers le Canada, les États-Unis et l’Europe. Par chance, leur chemin s’arrête à Winnipeg le temps d’une soirée au West End Cultural Centre (1), où la chanteuse Malika Tirolien pourra donner toute la mesure de son talent.
Elle a beau chanter les blessures du monde d’aujourd’hui, en dépeindre toute la gamme des souffrances et des écueils, c’est toujours avec un bonheur communicatif que Malika Tirolien répond aux questions. Des rires en cascade, qui donnent un aperçu de sa remarquable tessiture. C’est cette signature vocale, alliée à sens inné du mot juste - elle est, après tout, la petite-fille du célèbre poète guadeloupéen Guy Tirolien – qui font de la native des Antilles l’une des
représentantes les plus en vue de la scène jazz internationale.
Inde, Chine, Antilles, ÉtatsUnis : depuis sa deuxième performance au Jazz Fest de Montréal l’été dernier, Malika Tirolien et son groupe ont pavé sa Voie Ensoleillée, du nom de son premier album autoproduit, sur toutes les scènes du monde. Pas de hasard à cela. Si le talent est indéniable, derrière les compositions efficaces et l’apparente aisance de ses vocalises, on devine l’étude du piano classique et les heures de travail.
La chanteuse, qui s’était envolée en 2001 pour Sherbrooke puis, deux ans plus tard, pour Montréal afin d’étudier le jazz, a trouvé au Canada de quoi nourrir son énergie débordante. « Là, j’ai travaillé avec beaucoup de collectifs, comme Kalmunity et Groundfood », rappelle la chanteuse. C’est à Montréal, encore, qu’elle rencontre pour la première fois la formation américaine Snarky Puppy, emmenée par le bassiste Michael League. « Il m’a proposé de venir jouer à New York avec eux, pour une série de concerts avec invités ». Ce sera le début d’une collaboration prolifique qui, de l’enregistrement d’un album public – Family Dinner, dont la chanson interprétée par Lalah Hathaway sera récompensée d’un Grammy Award en 2014 – aux tournées communes, emmènent tout naturellement Malika Tirolien et Michael League à donner naissance à un projet parallèle.
« Michael m’a proposé de rejoindre un projet pour lequel il a rassemblé six autres musiciens aux horizons et aux univers différents, que pour la plupart je ne connaissais pas. Mais Michael a l’art de savoir rassembler des personnes aux belles vibrations, pas uniquement musicales, alors je n’ai pas hésité! »
Malika Tirolien se lance dans l’écriture, qui lui vient tout naturellement en créole. « C’est une langue qui se marie très bien avec les différentes influences de l’album : Delta blues, Afrique de l’Ouest, Caraïbes. C’est aussi ce que symbolise le nom du groupe, Bokanté, qui signifie « échange » en créole. Un échange à la fois culturel dans lequel chacun apporte son histoire, sa musique, sa vision. »
Sorti le 9 juin à peine, l’album Strange Circles de Bokanté a rencontré aussitôt un véritable succès auprès de la critique autant que du public. « C’est un album qui fait de nous un groupe politique, poursuit Malika Tirolien. Immigration, extrémisme religieux, racisme… Nous voulions vraiment dénoncer les problèmes actuels, parler d’apogée et de déclin de la civilisation. Et rappeler que nous sommes tous « un » : ce qui se passe, même loin de nous, nous affecte tous. C’est notre karma. »
Un karma qui sourit à Malika Tirolien : la voici de retour sur les routes d’Amérique du Nord et d’Europe avec Bokanté. Des routes forcément ensoleillées. (1) Vendredi 23 juin à 20 h au West End Cultural (première partie Casimiro Nhussi). Informations sur le site jazzwinnipeg.com