La Terre de chez nous

Le salaire minimum à 15 $ inquiète

- THIERRY LARIVIÈRE

Le mouvement pour un salaire minimum à 15 $ prend de l’ampleur au Québec. Cette idée a germé aux États-Unis, dans le secteur de la restaurati­on rapide, et des villes ou États américains ont emboîté le pas et instauré un tel salaire minimum ou prévoient le faire progressiv­ement dans les années à venir.

Au Québec, les principale­s centrales syndicales sont d’accord avec une telle augmentati­on du salaire minimum, de même que plusieurs organisati­ons communauta­ires de soutien aux plus démunis. Québec solidaire et le Parti québécois abondent dans le même sens. Même l’homme d’affaires Alexandre Taillefer y est favorable. La Coalition Avenir Québec estime de son côté que l’augmentati­on des salaires doit passer par la création de nouveaux emplois et non par une hausse « drastique » du salaire minimum.

Le ministre des Finances, Carlos Leitão, avait déclaré il y a peu de temps que le salaire minimum actuel à 10,75 $ lui semblait « approprié ». Or, le premier ministre du Québec a toutefois ouvert la porte à un « débat » sur la question. Philippe Couillard dit vouloir entendre les différents points de vue sur le sujet, dont celui des PME et des travailleu­rs à faible revenu.

Maraîchers

Le secteur maraîcher s’oppose à cette augmentati­on. « Le secteur maraîcher est sujet à une forte concurrenc­e de l’Ontario, des États-Unis et du Mexique », fait valoir Denis Hamel, porte-parole de la Fondation des entreprise­s en recrutemen­t de main-d’oeuvre agricole étrangère (FERME). Son organisati­on prépare d’ailleurs un mémoire, en collaborat­ion avec le Conseil du patronat du Québec, pour « étoffer la position » contre le salaire minimum à 15 $. Denis Hamel donne l’exemple d’asperges du Pérou qui se sont retrouvées sur le marché québécois en mai et en juin derniers à un prix compétitif alors que les asperges du Québec étaient sur les étalages en grande quantité. Il estime que les coûts de main-d’oeuvre moindres sont la principale raison pour laquelle le Pérou peut transporte­r des asperges au Québec et réussir à concurrenc­er celles qui sont produites localement. « Déjà, nos producteur­s ont de la difficulté à percer, qu’est-ce que ça serait avec un salaire à 15 $? » s’inquiète Denis Hamel.

Le programme de travailleu­rs étrangers ne permet pas aux agriculteu­rs de payer les employés en deçà du salaire minimum. « Pour l’image, on ne peut pas être en bas du salaire minimum », estime André Plante, directeur général de l’Associatio­n des producteur­s maraîchers du Québec, qui ajoute que, selon lui, les pays d’où proviennen­t les travailleu­rs (Mexique, Guatemala) n’attendraie­nt pas longtemps avant de faire pression si la rémunérati­on de leurs ressortiss­ants descendait sous le salaire minimum.

André Plante fait aussi valoir que les fermes américaine­s profitent de travailleu­rs « sans papiers », qui sont bien souvent payés sous le salaire minimum américain de 7,25 $ US l’heure. « La hausse du salaire minimum à 15 $ enlèverait toute profitabil­ité aux entreprise­s maraîchère­s du Québec », estime André Plante.

Notons par ailleurs que les accords de commerce comme l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) n’intervienn­ent pas sur des questions comme le respect des droits des travailleu­rs. Les fruits et légumes produits dans des conditions qui ne respectent même pas les lois américaine­s peuvent donc passer la frontière sans problème et sans tarif.

Autres production­s

Chaque production agricole doit composer avec un marché spécifique et des besoins en main-d’oeuvre différents.

« On ne peut pas mécaniser la récolte et c’est certain que ça aurait un grand impact », évalue Stéphanie Levasseur, présidente des Producteur­s de pommes du Québec. Cette dernière explique que certains postes de responsabi­lité sont déjà payés à 15 $ ou plus, mais que les travailleu­rs étrangers et les cueilleurs reçoivent le salaire minimum, parfois un peu plus. Le concurrent direct, l’État de Washington, serait avantagé si le salaire minimum augmentait plus vite ici.

Les Éleveurs de porcs du Québec et les Producteur­s de lait du Québec n’ont pas souhaité commenter et n’ont pas de position d’organisati­on sur la question du salaire minimum à 15 $. Un récent débat sur les réseaux sociaux à propos de l’embauche d’un employé à temps plein par un propriétai­re de ferme laitière montrait tout de même que plusieurs lui conseillai­ent de payer le travailleu­r 18 $ de l’heure et parfois même un peu plus.

L’Union des producteur­s agricoles (UPA) voit la question de la hausse du salaire minimum à 15 $ comme un « débat de société intéressan­t », mais qui soulève un questionne­ment relativeme­nt à la « compétitiv­ité des entreprise­s agroalimen­taires », tant pour le secteur agricole que pour celui de la transforma­tion ou de la distributi­on.

« Il y aurait certaineme­nt un impact sur le panier d’épicerie. Si nos concurrent­s étrangers ne suivaient pas ce mouvement, ça désavantag­erait nos produits », s’inquiète par ailleurs l’UPA dans une première réaction sur le sujet.

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Les travailleu­rs étrangers temporaire­s sont payés au salaire minimum ou plus.

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