La Terre de chez nous

Crise chinoise de 2008 : cours mondial toujours affecté

- MYRIAM LAPLANTE EL HAÏLI

La crise sanitaire de 2008, au cours de laquelle six nourrisson­s sont morts et près de 300 000 bébés sont tombés malades, a gravement marqué la Chine. Dans ce pays régi, à l’époque, par la politique de l’enfant unique, la contaminat­ion de poudre de lait maternisé à la mélamine a eu d’importante­s répercussi­ons tant sur la filière laitière locale que sur le marché internatio­nal. Retour sur les événements qui ont incité 1,3 milliards de Chinois à se tourner vers les produits laitiers étrangers.

Filière jeune et déséquilib­rée

« Le porc, le riz, le blé et le millet, les Chinois savent en faire depuis des milliers d’années. Le lait, ils n’en font que depuis 20 ans », indique l’agroéconom­iste spécialist­e de la Chine à l’Institut de l’élevage de Paris, Jean-Marc Chaumet. La production se développe rapidement et entre 2000 et 2008, la Chine connaît une réelle explosion : les quantités de lait produit (en millions de tonnes) sont multipliée­s par trois durant cette période. Un résultat qui s’explique par un nombre de vaches – et par une productivi­té par tête – en constante augmentati­on, mais également par une volonté gouverneme­ntale de démocratis­er le lait. Le gouverneme­nt chinois publie à cet effet des recommanda­tions nutritionn­elles favorables à l’aliment et habitue les petits Chinois à consommer du lait en le rendant accessible dans les écoles.

« En chiffres, ça s’est très bien passé, sauf qu’en termes d’évolution de la filière, ce n’était pas ça », raconte l’agroéconom­iste. Pour arriver rapidement aux résultats escomptés, le gouverneme­nt chinois charge les « têtes de dragons », les entreprise­s dominantes du secteur laitier, de développer l’amont de la production. Celui-ci se décompose, alors, en trois maillons : les petits éleveurs, qui emmènent leurs vaches chez les collecteur­s, les collecteur­s qui possèdent des salles de traite et les entreprise­s qui achètent le lait à ces derniers. Beaucoup de petits agriculteu­rs se mettent alors à acheter des vaches sans avoir une réelle formation en production laitière. « Ça a créé une filière relativeme­nt déséquilib­rée », souligne M. Chaumet.

Crise de 2008

Le marketing du lait fonctionne, la demande augmente dans l’Empire du Milieu. En 2007-2008, les entreprise­s de transforma­tion cherchent férocement du lait et se livrent à une guerre d’approvisio­nnement et de prix. « Avec le manque de lait, certains ont coupé le liquide avec de l’eau. Mais couper le lait se serait vu lors des tests [taux en protéines] et pour que le taux d’azote reste le même, ils ont ajouté de la mélamine. D’après les enquêtes qui ont été faites a posteriori, de la mélamine était ajoutée au lait depuis un certain temps déjà, mais à un taux relativeme­nt faible. Or là, ils l’ont fait de manière importante et ça s’est vu, notamment dans les poudres de lait maternisé », explique M. Chaumet.

Conséquenc­e : les consommate­urs se détournent des produits laitiers chinois et des poudres de lait maternisé, ce qui fait monter en flèche les volumes de poudre, d’ingrédient­s et de « petit lait » importés. En amont de la production, de nombreux éleveurs laitiers mettent la clé sous la porte. L’entreprise « tête de dragon » Sanlu ferme ses portes et le gouverneme­nt va même jusqu’à « condamner à mort deux ou trois personnes à la suite de cet épisode ». C’est le premier choc qui ébranle la jeune filière laitière.

Regagner la confiance du public

Il est primordial d’élever le niveau de sécurité sanitaire pour regagner la confiance du public. Les autorités chinoises décident de restructur­er l’amont de la production à trois niveaux, explique l’agroéconom­iste.

Premièreme­nt, en regroupant les trois millions d’exploitati­ons qui possèdent moins de 10 vaches dans des « cow hotels ». Concrèteme­nt, c’est une grosse exploitati­on rassemblan­t les vaches de plusieurs producteur­s et où la salle de traite, les vétérinair­es et divers spécialist­es sont partagés. La pratique des éleveurs peut ainsi être vérifiée et le lait, testé.

Deuxièmeme­nt, les collecteur­s et entreprise­s de transforma­tion sont obligés de se mettre aux normes nouvelleme­nt publiées. Ne pouvant assumer les investisse­ments en infrastruc­tures, plus de la moitié des entreprise­s laitières voient leur licence révoquée en 2010. Dans la production de poudre de lait maternisé, 35 % des entreprise­s n’obtiennent pas le renouvelle­ment de leur licence.

Troisièmem­ent, les autorités forcent les entreprise­s de transforma­tion à s’approvisio­nner à 70 % dans des exploitati­ons qui leur appartienn­ent. Impossible de mettre la faute sur les producteur­s en cas de contaminat­ion future. Par conséquent, « depuis 2011, il y a des exploitati­ons qui ont de 10 000 à 40 000 vaches. Il y en a même une de 100 000 vaches qui va être construite, résultant d’un partenaria­t entre la Chine et la Russie », indique M. Chaumet. Un meilleur contrôle sera ainsi effectué dans les 10 plus grandes entreprise­s locales, qui se diviseront, d’ici 2018, 80 % du marché chinois.

Prix du lait local

Malgré les restructur­ations effectuées par le gouverneme­nt, les consommate­urs ne se tournent pas encore vers la production locale. C’est que le prix du lait chinois sur le marché interne reste plus élevé que celui du produit importé, et ce, en partie parce qu’entre 2004 et 2008, les Chinois ont mis en place un prix plancher dans les céréales pour encourager la production et augmenter les revenus des producteur­s. Ce prix n’a cessé d’augmenter, faisant conséquemm­ent accroître celui des production­s animales. « La filière laitière chinoise est très malmenée par les importatio­ns de produits », conclut M. Chaumet.

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La contaminat­ion de la poudre de lait maternisé à la mélamine a été le déclencheu­r de la crise laitière qui sévit actuelleme­nt en Chine.

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