La Terre de chez nous

Quand l’ensilage tue

- MYRIAM LAPLANTE EL HAÏLI mlaplante@laterre.ca

« On ne devrait jamais monter dans un silo sans un système respiratoi­re autonome. »

SAINT-POLYCARPE — « On le sait qu’il faut faire fonctionne­r la ventilatio­n jusqu’à 21 jours après avoir rempli le silo, mais pendant l’ensilage, personne ne fait attention », affirme le propriétai­re de la Ferme Belcourt, Adrien André. Se percher en haut du silo « pour le remplir égal et ne pas ensevelir la machine », M. André l’a fait toute sa vie. Un exercice de routine qui a pourtant coûté la vie à son frère Henri le mois dernier.

Dioxyde d’azote

« C’est une histoire quasiment incompréhe­nsible, surtout lors du remplissag­e », dit M. André. La ventilatio­n avait fonctionné toute la nuit et les portes d’aération étaient ouvertes. Rien ne laissait présager la rude épreuve que la famille André s’apprêtait à vivre.

Il restait deux voyages de luzerne à « monter » dans le silo de 60 pi au moment où Henri s’est hissé en haut de l’échelle, afin de surveiller le remplissag­e depuis le panier à l’extérieur. L’homme a inhalé des vapeurs de dioxyde d’azote pendant près de 15 minutes, mais ne s’en est pas rendu compte, puisque le gaz était mélangé à la poussière causée par le remplissag­e.

Henri est redescendu, a continué à travailler durant une heure et a fait le tour de l’étable. Puis, il a décidé de rentrer chez lui en raison d’un mal de tête qui l’incommodai­t. « Ça prend entre deux et six heures avant de faire effet », a appris Adrien André après s’être entretenu avec les médecins. L’homme de 74 ans était retraité du domaine de la constructi­on et allait régulièrem­ent aider son frère et son neveu à la ferme familiale.

Une fois chez lui, il s’est allongé sur son lit et a commencé à ressentir les effets du gaz. L’ambulance est arrivée, et « quand on leur a dit que ce matin-là on avait ensilé de la luzerne, les secouriste­s l’ont plongé dans un coma artificiel. Mon frère n’en est jamais ressorti », raconte, ému, Adrien André à la Terre. L’homme a été « débranché » une semaine plus tard, le 11 septembre.

Sécheresse

Bien que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ait confirmé vouloir mener une enquête pour connaître les circonstan­ces entourant l’accident, la sécheresse qui a sévi dans le sud-ouest de la province cet été semble avoir été la grande responsabl­e du drame.

Les experts en fourrages de Valacta Robert Berthiaume et Daniel Lefebvre confirment qu’en période de sécheresse, la photosynth­èse de la plante ne s’effectue pas à son plein potentiel. Celle-ci n’est alors pas en mesure de transforme­r en protéines les nitrates contenus dans les fertilisan­ts, qui s’accumulent donc dans la plante. Une fois fauché, le plant en fermentati­on dégage du dioxyde d’azote. « Ce qui n’a pas aidé non plus, c’est que la luzerne est fauchée sur 16 pi de large et ramenée en andains de 1 1/2 pi sur 4 pi, fait valoir Adrien André. L’azote n’a pas eu le temps de s’évaporer. »

Par prévention, « on ne devrait jamais monter dans un silo sans un système respiratoi­re autonome comme celui que portent les pompiers, souligne Robert Berthiaume. Les accidents liés aux gaz sont plus fréquents qu’on pense ». La famille André a commandé des détecteurs de dioxyde d’azote pour ses prochains ensilages. « Personne n’en a et pourtant, tous les producteur­s qui ensilent devraient en avoir », conclut la femme d’Adrien André, Suzanne André.

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