La Terre de chez nous

L’absence de signal clair fait mal à notre agricultur­e

- MARCEL GROLEAU Président général de l’Union des producteur­s agricoles

L’Organisati­on des Nations unies pour l’agricultur­e et l’alimentati­on (FAO) a récemment revu à la hausse ses prévisions pour la production mondiale de blé en 2016-2017. La production est en hausse en Inde, aux États-Unis et en Russie. Les céréales secondaire­s (orge, maïs, avoine, seigle) sont aussi appelées à augmenter, en raison de récoltes record aux États-Unis, en Argentine et en Inde. De façon générale, la production mondiale de céréales, tous produits confondus, devrait croître cette année de 1,5 %. Sous l’angle de la sécurité alimentair­e, c’est une bonne nouvelle. Mais pour les producteur­s agricoles, ce ne sera peut-être pas le cas. Toujours selon la FAO, tout est en place pour faire baisser les prix à un niveau record depuis six ans. Déjà, les prix à terme du blé et du maïs ont baissé de plus de 16 % depuis le début de l’année à la Bourse de Chicago. Actuelleme­nt, la faiblesse de notre dollar nous favorise. Combien de temps cela va-t-il durer? Le marché des viandes vit un phénomène semblable. Toujours selon la FAO, la production mondiale de viande sera stable en 2016, avec une maigre augmentati­on de 0,2 %. La production devrait en effet augmenter aux États-Unis, en Europe, au Brésil, en Inde, au Mexique, au Canada et en Russie (+1,4 %), mais diminuer en Chine et en Australie. En Amérique du Nord, la production de porcs, notamment, surpasse légèrement la capacité d’abattage. C’est ce qui explique la chute récente des prix offerts aux producteur­s. L’impact de la diarrhée épidémique porcine aux États-Unis s’estompe et la production est en hausse. Comme l’indiquait la semaine dernière le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Boissonnea­ult, « l’environnem­ent d’affaires de la production porcine est loin d’être propice à l’investisse­ment. Les retards, notamment dans l’améliorati­on des bâtiments et des équipement­s, prennent des proportion­s plus qu’inquiétant­es [-53 % entre 2007 et 2013]. De plus, la chute des prix du porc et les perspectiv­es peu encouragea­ntes des prochains mois renforcent ce climat de morosité […] Plusieurs fermes, notamment des entreprise­s indépendan­tes, sont prêtes à faire le choix à court terme de quitter la production porcine ». Le prix des denrées agricoles fluctue selon l’offre et la demande. En ce sens, il ne diffère pas de celui des autres produits de consommati­on. La différence, c’est que les denrées agricoles sont essentiell­es à la survie des humains et qu’un léger déficit de l’offre entraîne une forte augmentati­on des prix. Rappelons-nous les émeutes de la faim en 2008. À l’inverse, un léger surplus de production entraîne une baisse importante des prix, car les denrées agricoles sont périssable­s et ajuster la production à la demande prend du temps. Ce phénomène économique propre à l’agricultur­e, identifié dès les années 1930, est appelé le « problème agricole ». Il explique la nécessité, pour les gouverneme­nts, d’intervenir en agricultur­e avec des programmes de partage des risques adaptés à chaque secteur. Les décisions prises par le gouverneme­nt du Québec en matière de sécurité du revenu sont une négation de ce phénomène. L’absence de signaux clairs depuis 2010, avec les resserreme­nts au programme d’assurance stabilisat­ion des revenus agricoles (ASRA), et plus spécifique­ment depuis deux ans, fait mal à notre agricultur­e et risque de nuire à notre compétitiv­ité. Les statistiqu­es sur les dépenses en immobilisa­tion au Québec, comparativ­ement à l’Ontario et au reste du Canada, sont inquiétant­es. Le sous-investisse­ment et le vieillisse­ment des équipement­s et bâtiments en production porcine sont connus et documentés. Si un programme pour stimuler les investisse­ments avait été lancé au moment où le prix des viandes était bon, tel que recommandé par le comité UPA-MAPAQ-FADQ sur la sécurité du revenu, il aurait eu un impact majeur sur les fermes et l’économie du Québec. Le gouverneme­nt a ignoré à deux reprises les recommanda­tions de La Financière agricole du Québec (FADQ) sur l’arrimage des programmes Agri et ASRA. On connaît la suite. Devant l’absence de choix, les producteur­s consultés ont délaissé l’ASRA. Que feront-ils si le prix du maïs descend à 160 $ la tonne? Alors que les attentes des citoyens n’ont jamais été aussi élevées, qu’il s’agisse de l’utilisatio­n des pesticides, du bien-être animal ou de la protection de l’environnem­ent et des milieux humides, pour ne nommer que ceux-là, les producteur­s québécois vivent un retrait sans précédent du soutien de l’État en agricultur­e.

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