La Terre de chez nous

Salaire minimum à 15 $ de l’heure en agricultur­e : pas sans conséquenc­es

- MARCEL GROLEAU Président général de l’Union des producteur­s agricoles

Le débat autour du salaire minimum à 15 $ de l’heure fait de plus en plus jaser. Au Québec, plusieurs groupes communauta­ires et syndicats militent activement en faveur d’une telle hausse pour lutter contre la pauvreté. L’argument principal est qu’un travailleu­r au salaire minimum devrait gagner un revenu supérieur au seuil de la pauvreté. Personne ne peut être contre cela. En agricultur­e, augmenter le salaire minimum à 15 $ de l’heure aurait toutefois des conséquenc­es importante­s, plus particuliè­rement dans le secteur horticole. On y trouve environ 60 % de la maind’oeuvre salariée agricole au Québec (de façon principale­ment saisonnièr­e), ce qui représente une part importante des coûts de production. Pour le secteur des fraises et des framboises, les travailleu­rs saisonnier­s représente­nt 90 % de la main-d’oeuvre salariée (environ 10 000 travailleu­rs), dont le quart est constitué de travailleu­rs étrangers temporaire­s (TET). En raison de la cueillette manuelle, la main-d’oeuvre représente de 50 à 60 % des dépenses, majoritair­ement payée au salaire minimum. Une augmentati­on à 15 $ de l’heure se traduirait par une hausse de 20 % des dépenses par exploitati­on. Sachant que la marge des entreprise­s du secteur se situe entre 3 et 8 %, celles-ci se retrouvera­ient en situation déficitair­e, à moins de transférer au marché ces coûts additionne­ls. Dans le secteur des pommes, la main-d’oeuvre représente 39 % des dépenses. La main-d’oeuvre représente donc une part importante des coûts de production. Plusieurs opérations maraîchère­s et horticoles ne peuvent être remplacées par la mécanisati­on. C’est pourquoi ces entreprise­s emploient 54 % des TET. L’agricultur­e n’échappe pas aux principes économique­s de base. La possibilit­é de transférer au marché l’augmentati­on des coûts dépend de la compétitio­n. Dans le cas de denrées agricoles comme la viande, les céréales, les fruits ou les légumes, la compétitio­n est mondiale. Les fraises du Mexique et surtout de la Californie sont sur nos marchés. Les pommes du Chili et de l’Afrique du Sud aussi, tout comme les légumes de la Chine et d’ailleurs. Nous avons déjà des enjeux de compétitiv­ité avec les produits en provenance de ces pays. Ils disposent des mêmes technologi­es que nous, mais sont avantagés par des règles sociales et environnem­entales moins exigeantes, incluant des salaires beaucoup plus bas et le recours à des produits interdits chez nous. Il n’y a malheureus­ement aucune règle de réciprocit­é dans les ententes de commerce au chapitre des normes environnem­entales et sociales, pourtant très différente­s d’un pays à l’autre (ce que nous dénonçons régulièrem­ent). Or, les coûts de main-d’oeuvre dans les pays mentionnés sont de beaucoup inférieurs à notre salaire minimum. C’est la raison pour laquelle de nombreux travailleu­rs du Mexique et du Guatemala sont heureux de venir au Canada à titre de travailleu­rs saisonnier­s. La situation peut être différente dans d’autres secteurs. Dans certains cas, la main-d’oeuvre peut représente­r des coûts moins importants alors que dans d’autres, les marges bénéficiai­res peuvent permettre des salaires plus élevés. La compétitio­n peut également être strictemen­t locale. L’inquiétude vient aussi du fait que le premier critère d’achat est le prix pour plus de 80 % des consommate­urs. L’achat local gagne en popularité, mais le consommate­ur a ses limites lorsque l’écart de prix entre le produit local et le produit importé devient trop important. Lutter contre la pauvreté est une responsabi­lité collective et j’y adhère. Le nombre de familles à revenu modeste augmente. L’écart entre les classes sociales se creuse partout dans le monde, mais aussi chez nous. Nous vivons une époque où il n’y a jamais eu une telle concentrat­ion de la richesse. Le débat sur le salaire minimum est utile, car il ouvre la discussion sur cet enjeu social. Mais une augmentati­on rapide du salaire minimum ne serait pas sans conséquenc­es en agricultur­e et cette seule mesure ne serait pas suffisante pour pallier le problème de la pauvreté.

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